L’argent-Roi en campagne

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Mis à part le cas, que nous documentons abondamment, de la candidature de Ron Paul, l’un des aspects les plus intéressants de cette campagne présidentielle US est mis en évidence par un article de Amy Goodman, sur Truthdig.org, le 4 janvier 2012. Il s’agit de l’intrusion massive et non répertoriée de l’argent du corporate power, suite à la décision de la Cour Suprême de janvier 2010 dégageant toute entrave à cet égard (voir nos textes du 22 janvier 2010 et du 26 janvier 2010).

Amy Goodman, qui représente bien l’aile “dissidente” de gauche du parti démocrate avec sa station de radio Democracy Now !, est restée prudente sur la candidature de Ron Paul, qui divise de plus en plus nettement cette “dissidence” de gauche. (Après une réaction négative générale à la suite de la campagne anti-Paul sur les newsletters racistes, un nombre grandissant de “dissidents” de gauche se rapproche de Paul.) Néanmoins, Goodman ne s’interdit pas une allusion transparente, dans un paragraphe, sur les manipulations et fraudes du Caucus de l’Iowa, dont il apparaît à la lecture, par le seul rapprochement des phrases de commentaires, qu’elle sous-entend que Paul en fut la principale victime. (La citation sur l’intervention de Karl Rove est aussi transparente : archétype de l’organisation de la corruption et de la fraude, Rove, l’homme qui a “fait” GW Bush, est un ennemi juré de Ron Paul, de sa place de commentateur royalement rétribué de Fox.News, station également absolument hostile à Ron Paul à cause de sa politique étrangère.)

«Mitt Romney technically prevailed in the Iowa caucuses, squeaking out an eight-vote margin over late-surging Rick Santorum. Libertarian Ron Paul garnered an impressive 21 percent of the vote in the crowded field. Note that the Republican Party does not allow a recount of the handwritten, hand-counted ballots, and that the final Romney edge was first reported on right-wing Fox News Channel by none other than its paid commentator Karl Rove, the architect of George W. Bush’s two controversial presidential election wins.»

…Mais il est bien question d’argent. Il est partout, l’argent, et les annonceurs et les médias-Sysème attendent une manne de $4 milliards pour cette élection de 2012. Elle viendra surtout des organisations dites “super PAC”, qui recyclent l’argent du corporate power, tout cela dans l’anonymat le plus complet ; on peut vraiment parler de “l’argent-Roi”, sans odeur, sans couleur et sans visage, aussi privé d’existence substantielle que l’entropie elle-même… Et il apparaît que cette intervention est essentiellement destructrice, diviseuse, negative, au contraire de celle des candidats en général.

«While Romney’s Iowa operation maintained a positive campaign strategy, a super PAC that supported him went on the offensive. Restore Our Future, according to NBC’s Michael Isikoff, spent $2.8 million in ads in Iowa, more than twice the amount spent by the Romney campaign itself, all attacking Gingrich. The super PAC is not limited in how much corporate or individual money it can take in, and does not have to disclose the identity of its donors… […]

«Election seasons are usually a boon for local TV stations, which sell airtime over the public airwaves. Iowa broadcasters were reporting a less-than-projected windfall, however, due to the record number of candidate debates, in which the candidates got to present themselves to the public, in essence, “for free.” The last-minute onslaught of negative ads brought station revenues back up. Dale Woods, general manager of WHO TV in Des Moines, told Broadcasting & Cable magazine: “It’s normally never negative here, but that’s one dynamic I’ve seen change with the PAC money involved. The candidate buys are positive, but the PAC money is negative. I think that’s a dynamic you’ll see all over the country.”»

Goodman termine sur une note d’optimisme, qui justifie son titre («Republicans Divided, Citizens United»), – que nous aurions plutôt composé, plus justement à notre sens, “‘Politicians Divided, Citizens United”, – car, bien entendu, la crise qui frappe le parti républicain (au sens du parti-Système) touche également le parti démocrate. C’est là tout l’enjeu de la situation aux USA, qui se clarifie à une très grande vitesse. (La clarification est aussi, dans cette logique, dans l’évolution mentionnée : face au Système, comme on le voit ci-dessous à propos de cette initiative, un professeur progressiste représentant la gauche “dissidente”, tentant d’organiser une coalition pour obtenir l’abrogation de l’arrêt de la Cour Suprême, et qui fait appel à Tea Party également ; c’est l’inéluctable recherche du rassemblement des populismes de gauche et de droite.)

«But there’s hope. People are fighting back against this flood of secret money infecting U.S. elections. State legislators in California are calling for a constitutional amendment overturning Citizens United. The New York City Council is voting on a similar measure, following Los Angeles, Oakland, Calif., Albany, N.Y., and Boulder, Colo. Last week, Montana’s Supreme Court restored a 100-year-old ban on corporate spending directed at political campaigns or candidates.

»Harvard law professor Lawrence Lessig is calling for a constitutional convention. As defined in the U.S. Constitution, 34 state legislatures would need to call for a convention, which could allow an amendment banning corporate money from elections. Lessig, a favorite of progressives, is recruiting the right-wing tea party to help. He told me, “People can call for a convention for any purpose … the only option we have for intervening to fix this corrupted system is the only option the framers gave us, which is outsiders organizing to fix the problem in Washington.”»

Nous ne serions pas loin de penser que c’est cette débauche d’argent, avec l’intervention massive du corporate power, qui donne à cette campagne, dès ses débuts, cet aspect incertain, morne, sans la moindre substance, sans aucun candidat de quelque valeur que ce soit, sans une personnalité capable de rassembler une majorité ; une campagne basée sur la destruction de l’autre plutôt que sur la présentation et la promotion de soi-même et de son propre programme, et cela expressément voulu par l’argent venu du corporate power, – en un sens, une campagne sans “soi-même et son propre programme”, une campagne où l’anonymat caractérise aussi bien l’argent que les candidats. (Il faut lire le jugement du neveu de Rick Santorum, partisan de Ron Paul, qui dénonce le vide politique complet de son oncle tout en protestant de l’amour familial qu’il lui porte  : «The Trouble with My Uncle, Rick Santorum», par John Garver, le 3 janvier 2012.)

L’argent-Roi fait sentir sa loi, qui est celle de la bassesse, de la Chute, de la quantité entropique contre la qualité, de l’absolue médiocrité, de la tendance absolument négative (destruction de l’autre) qui fait déjà ressembler la course républicaine à un tir aux pigeons réciproque et à une destruction générale, avec tous les candidats-Système se démolissant les uns les autres. Le poids même de la chose pèse déjà sur la campagne, et avec cela, son absence d’unité, sa déstructuration, ses rebondissements sans surprise ni intérêt, avec l’abondance de candidats-Kleenex (successivement Bachmann, Perry, Cain, Gingrich, Santorum, chacun sorti comme d’une boite à malices des sondages qui jouent aux yoyo, puis jetés aussitôt, dès consommation effectuée, – sort habituel du Kleenex)… Romney est un peu à part, puisqu’il a sa médiocrité personnelle (sa fortune et ses accointances à Wall Street), mais il ne parvient pas, comme on ne cesse de l’observer, et justement à cause de cette médiocrité, à dépasser ces 25%-30% qui en font un candidat sans espoir. Cerise sur le gâteau, le soutien du sénateur McCain à Romney ressemble à une sorte de coup de pied de l’âne ordonné par une puissance supérieure, – car un tel soutien ressemble bien à un boulet de plus, qui abaisse Romney un peu plus, plutôt que l’élever.

…Tout cela, il va sans dire puisque l’on s’en doute évidemment, est observé en mettant Ron Paul à part, qui mène décidément campagne dans un autre monde, hors-Système. On voit mal comment Paul pourrait échapper à un destin de rassembleur des forces antiSystème, droite et gauche, lui qui s’alimente à la “soupe populaire” du financement, avec ses appels réguliers sur Internet, et qui reste impeccablement et inexorablement populiste. La dernière allusion de Goodman à un rassemblement entre la gauche progressiste et Tea Party pour tenter de tuer l’arrêt de la Cour Suprême ne peut trouver son expression électorale que dans Ron Paul. C’est cela ou rien.


Mis en ligne le 5 janvier 2012 à 10H02