L’allégorie du Titanic

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L’allégorie du Titanic

Il existe aujourd’hui, en un flot constant qui ne cesse d’enfler, une prolifération d’écrits, de spéculations, de prévisions, et désormais comme on va le voir d’allégories et de paraboles sur l’effondrement du Système sous toutes les formes et par tous les biais possibles. (Que ce soit les formes de crises de divers domaines, ou les biais des puissances et des entités géopolitiques qui en seraient affectées.) C’est justement cet aspect assez nouveau de l’allégorie qui nous a intéressé dans un long commentaire sur la situation financière et monétaire des USA par rapport à leur situation générationnelle, de Jim Quinn, sur son site The Burning Platform le 21 mai 2013, repris sur ZeroHedge.com le 22 mai 2013.

Le titre est évocateur, bien entendu : «And the Band Played On...» Il couronne une très longue analyse des USA, avec en arrière-plan, la situation budgétaire, monétaire et financière de cette puissance et les catastrophes qu’elle recèle. Mais cet arrière-plan, – puisqu’il s’agit de cela, – sert surtout à une analyse critique et polémique de type démographique, sur les différentes générations de la population US, leurs places, les situations qu’elles affrontent, les responsabilités des unes et des autres, des unes par rapport aux autres, etc., avec l’ultime génération (Milennial, ou génération du millénaire, dont l'auteur situe la naissance en 1982), arrivant “aux affaires” actuellement et qui, selon Quinn, serait directement placée devant la catastrophe (Millenial Crisis). La dernière partie du texte est de cette forme qui nous intéresse, une allégorie de la situation des USA restituée par la fin du Titanic (sous le titre : «Our country has entered a period of Crisis»). Le titre sur l’orchestre qui continue à jouer se comprend alors aisément.

«We may or may not successfully navigate our way through the visible icebergs and more dangerous icebergs just below the surface. The similarities between the course of our country and the maiden voyage of the Titanic are eerily allegorical.

The owners of the ship (Wall Street, Washington politicians, crony capitalists) are arrogant and reckless. They declare the ship unsinkable, while only providing half the lifeboats needed to save all the passengers in case of disaster in order to maximize their profits. The captain (Ben Bernanke) has been tendered the greatest cruise liner (United States) in history. The initial voyage across the Atlantic Ocean has drawn the financial elite ruling class (financers & bankers) onboard, occupying the luxurious state rooms on the upper decks. But, the lower decks are filled with young poor peasants (Millennials) who are sneered at and ridiculed by those in the upper decks. A maiden voyage should always be approached cautiously. A prudent captain would not take undue risks.

»Our captain (Ben Bernanke) wants to make his mark on history. He considers himself an expert in navigating dangerous waters (Great Depression) because he studied dangerous waters at his Ivy League school. It doesn’t matter that he never actually captained a ship in the real world. He declares full steam ahead (reducing interest rates to 0% and throwing vast amounts of fiat currency into the engine room boilers). Midway through the voyage, the captain is handed a telegram warning of icebergs (potential financial catastrophe) ahead. If he slows down the vessel, he will not set the speed record and receive the accolades of an adoring public. He ignores the warning and steams on to his rendezvous (eternal disgrace) with destiny.

»In the middle of the night, the lookouts (Ron Paul, John Hussman, Zero Hedge) cry iceberg!! But, it is too late. The great ship (United States) has struck an enormous iceberg (debt & currency crisis). At first, it seems like everything will be OK. The captain and crew assure the passengers that everything is under control and their evasive action has saved the ship. But below the waterline, the great ship (United States) is taking on water (toxic levels of debt, un-payable entitlement promises, trillion dollar deficits, political & financial corruption). The engine room (Federal Reserve) works frantically to alleviate the damage (QE to infinity). The captain is sure the compartmentalization of the ship will save it. One of the designers of the ship (David Stockman) sadly declares that the ship will surely sink. The captain orders the band (CNBC, Fox, MSNBC, CNN) on deck to distract the passengers from their impending fate with soothing music. The owners of the ship (Wall Street, Washington politicians, crony capitalists) aren’t worried. They collected their fees upfront and over-insured the vessel. They anticipate a windfall when the ship sinks. It worked last time.

»To avoid mass panic, the crew (government apparatchiks) has locked the youthful poor peasants (Millennials) below deck. The captain and his crew are content to let them go down with the ship. They’ve decided the women, children, and senior citizens (Middle Class) can also be sacrificed. The financial elite ruling class (financers and bankers) are piling into the boats with the ship’s jewels, escaping the fate of the peasants. The captain (Ben Bernanke) has no intention of going down with the ship. In a cowardly act, he leaps onto the 1st lifeboat to be launched. We are on a voyage of the damned. The great cruise liner (United States) has a fatal wound and is headed for a watery grave. Are we going to let the owners, captain and crew dictate who will be saved in the few lifeboats or will we rise up and throw these guilty parties overboard?

»It comes down to the abuse of power by a few evil men and their henchmen as they have centralized their control over our financial, political, economic and social institutions. The existing social order is an ancient, rotting, fetid swamp of parasites that will be drained during this Fourth Turning. The Millennials are rising and will be the spearhead of the coming revolution. As each day passes they will become a more powerful force and the power of the existing regime will wane. Meanwhile, the band will play on as the ship of state descends into the abyss.»

Ce qui nous intéresse et nous arrête dans ce texte, évidemment, c’est l’idée d’allégorie, et le développement qui en est fait, d’ailleurs assez justement interprété et mis en scène selon ce que nous savons de la fin du Titanic et de l’esprit qui habita cette aventure. De ce point de vue, cette allégorie du Titanic, qui vient si aisément à l’esprit lorsqu’on veut exprimer d’un mot ce qu’on ressent de la situation de la crise générale, a cette vertu supplémentaire de correspondre assez justement aux divers éléments caractéristiques de notre crise d’effondrement. L’aventure du Titanic est extrêmement illustrative, et tragiquement illustrative de la situation de la modernité, voire de la situation du Système lui-même selon notre jargon. En son temps et dans les circonstances qu’on sait, le cas du Titanic répond complètement aux thèmes de l’idéal de puissance, des systèmes du technologisme et de la communication, de l’hubris qui caractérise tous ces développements dans leurs extrémités nécessaires (c’est-à-dire, des extrémités qui sont ontologiquement liées à ces développements et à leur finalité, et non pas de simples “accidents” de ces développements). L’aventure du Titanic, la gigantisme et la puissance de la chose, l’assurance relevant du suprématisme de la puissance du technologisme contre les conditions de la nature, la certitude irréductible de type scientifique des “spécialistes” et concepteurs de la chose, le rôle de la communication dans la promotion de ce suprématisme arrogant tant au niveau des concepteurs qu’au niveau des utilisateurs, accessoirement mais d’une façon permanente les intérêts mercantiles qui lui sont liés, enfin le suprématisme psychologique de type anglo-saxon qui caractérise cette aventure, tout se trouve rassemblé pour parfaitement figurer le sort actuel du Système. (Ce suprématisme singulièrement anglo-saxon a été justement identifié, dans les années 1945-1950, sous la forme du “racisme anglo-saxon” par le philosophe de l’histoire Arnold Toynbee explorant l’ambition d’“occidentalisation” du monde par ces mêmes Anglo-Saxons, sortis vainqueurs de la guerre de 1945 et ayant repris le flambeau de l’idéal de puissance des mains du pangermanisme définitivement abattu. Il n’y a pas, pour notre époque accouchée par le déchaînement de la Matière, de plus parfaite opérationnalisation de l’hubris, dont on voit qu’il est fondamentalement un trait de la psychologie qui affecte tous les domaines de la pensée et du comportement, et nullement le moteur d’une action spécifique.)

Cette allégorie du Titanic est donc complètement justifiée et éclairante. Comme l’on sait, l’allégorie est une figure fondamentale de rhétorique, qui est “une autre manière de dire”, et plus précisément une manière de dire «une idée abstraite par du concret». Selon nous, le procédé de l’allégorie naît également d’une pression de la psychologie sur la pensée pour rendre un produit de cette pensée plus compréhensible, pour inciter cette pensée à être plus impérative et plus explicite d’elle-même, y compris dans ce qu’elle n’ose encore exprimer ; et cette pression de la psychologie à cause de l’urgence de la situation que doit expliciter cette pensée avec la psychologie très sensible à cette urgence. C’est en ce sens que nous ferons de ce cas de l’allégorie du Titanic, cas exemplaire de l’abondance actuelle d’une activité intellectuelle de plus en plus touchée par la perception de notre crise d’effondrement, un signe de plus que la psychologie incube effectivement cette idée de la crise d’effondrement, selon ce que nous en disions le 23 mai 2013.


Mis en ligne le 24 mai 2013 à 09H10