L’agenda de Rasmussen

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Il y a plusieurs points intéressants à noter concernant les premières activités du nouveau secrétaire général de l’OTAN (depuis le 1er août), le Danois Anders Fogh Rasmussen. En général, on peut assez bien apprécier, dans ses premières semaines, ce que pourrait être le mandat d’un secrétaire général de l’OTAN, notamment par certains choix à caractère symbolique, par les premiers contacts, les premiers échos, etc. La période est d’autant plus intéressante que Rasmussen succède à un secrétaire général effacé, médiocre, sans réelle politique après avoir été installé à son poste par raccroc; que la succession se fait à un moment extrêmement important, notamment selon trois circonstances: la catastrophique guerre en Afghanistan; la remise à jour dans un sens ou l’autre des relations avec la Russie; une nouvelle administration US dont l’arrivée concrétise, quoi qu’elle en veuille, un très fort recul de la puissance US et de l’influence US realisés durant les années Bush.

Voici quelques points et considérations concernant le démarrage du secrétariat général Rasmussen, suivant des contacts que nous avons eus concernant ces problèmes. Tout cela met en évidence des situations nouvelles, qui impliquent de possibles évolutions importantes.

• Rasmussen aura visité ou rencontré les dirigeants de six pays de l’Alliance avant de rencontrer le président des USA (successivement, voyage en Islande le 20 août, rencontre de la présidente de la Lituanie à l’OTAN, voyage en Grèce et en Turquie, visite du président Sarkozy à Paris le 4 septembre, visite du Canada, tout cela avant Washington). Nous n’affirmerons pas formellement que c’est sans précédent mais cela nous paraît l’être – que la première rencontre d’un nouveau secrétaire général avec le président US soit placée si en arrière dans ses premiers contacts. La préséance n’est plus ce qu’elle était, – mais la préséance répond aux réalités politiques en s'adaptant à leur évolution.

• Le premier contact (l’Islande) l’a été avec un pays qui s’est trouvé bien isolé ces deux dernières années, notamment avec la crise économique, mais aussi avec des tensions stratégiques caractérisées par un désintérêt US remarquable par sa brutalité, des relations renforcées avec la Russie (notamment pendant la crise économique) et un renouveau d’importance stratégique du pays en raison des conséquences stratégiques sur l’accès aux mers qui découlent du réchauffement climatique et de la fonte des glaces polaires. Il y a là un dossier stratégique important, qui va évoluer, qui semble au premier rang des préoccupations personnelles de Rasmussen (cela accentué par la “solidarité nordique” de son origine danoise).

• Les deux premiers contacts (Islande et Lituanie) l’ont été avec des pays absolument dévastés par la crise économique. L’équipe du secrétariat et la bureaucratie de l'OTAN n’avaient rien donné à dire sur ce domaine au secrétaire général, observant que ce n’était pas des préoccupations de l’OTAN. On nous dit que Rasmussen s’en est étonné, avec mauvaise humeur, selon l’idée que la crise économique, surtout lorsqu’elle touche avec une telle force des pays comme elle l’a fait avec l’Islande et la Lettonie, devient une question stratégique de première importance. Cela indique sans doute une intention de Rasmussen d’élargir les préoccupations de l’OTAN à ce domaine.

• La présidente de Lituanie a remis sur la table l’idée d’un renforcement de l’Article 5 (aide à un pays de l’Alliance agressé), une première fois développée au moment de la crise géorgienne. Le dossier est délicat, à cause des implications avec la Russie. Rasmussen n’a pas répondu avec une très grande habileté, évoquant l’idée d’un renforcement de l’Article 5 en fonction “de nouvelles menaces”, citant parmi celles-ci la “cyber-guerre” et la piraterie. Des commentaires que nous avons recueillis, on conclut que la trouvaille n’est pas heureuse – ou bien est-elle volontairement malheureuse? «Envisager d’adapter l’Article 5 à des cas comme la cyberguerre et la piraterie n’a guère de sens, sinon éventuellement celui de le vider de toute substance.» Il est absolument inconcevable d’envisager l’Article 5 pour de tels cas, absolument ambigus et ne mettant en aucun cas en question des positions nationales justifiant une intervention de l’Alliance. On observera effectivement que cela pourrait être, après tout, une façon de noyer le poisson… (Commentaire irrespectueux : «On hésite à conclure: a-t-il fait des commentaires malheureux parce qu’il est mal informé et un peu novice, ou bien est-il intelligent et a-t-il fait cela pour torpiller l’idée ?»)

• D’une façon générale, on estime que deux grands problèmes préoccupent Rasmussen et impliqueront de facto une division de l’Alliance entre USA et Europe du point de vue des priorités (sans que ces priorités s’opposent d’ailleurs, puisque les bonnes relations avec la Russie sont une préoccupation majeure des USA pour l’Afghanistan). D’une part, la guerre en Afghanistan, qui est actuellement, dans le cadre de l’OTAN, la préoccupation exclusive des Américains. D’autre part, une amélioration radicale des relations de l’OTAN avec les Russes. Les pressions française et allemande à cet égard sont très fortes. Rasmussen a été très mécontents que l’OTAN n’ait pas envoyé à la Russie un message de condoléances, comme l’ont fait certains pays-membres et l’UE, à l’occasion de l’attaque terroriste de Nazran du 21 août. Certaines indications nous laissent croire qu’il a voulu rattraper cela, qu’il a pris sa plume et écrit une lettre personnelle à Medvedev.

Une première conclusion est que Rasmussen a un agenda, parce qu’il est obligé d’avoir un agenda. La situation dans l’ensemble euro-atlantique et autour est radicalement nouvelle depuis un an, marquée essentiellement par une évolution notable, voire considérable du rapport des forces. Pour l’OTAN, et cela considéré relativement, la Russie (plus importante stratégiquement pour l’Europe) va peser plus qu’elle ne pesait, les USA (affaiblis fondamentalement et complètement absorbés par l’Afghanistan) moins qu’ils ne pesaient, avec les ajustements dans les relations à faire selon ces deux constats. Une évolution intéressante est donc que l’Afghanistan tendrait à être moins un problème de l’OTAN qu’un problème US, et les relations avec la Russie plus un problème de l’OTAN et moins un problème US; l’Europe devant se déterminer en fonction de cette évolution, dont elle est d'ailleurs en partie la cause et où ses priorités sont différentes de celles des USA.


Mis en ligne le 26 août 2009 à 10H11