L’Afghanistan perd son gouvernement hollandais

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C’est une des premières victimes majeures, occidentale et atlantiste, etc., de la guerre en Afghanistan. Une crise gouvernemental a éclaté sur le sujet, dans la nuit de vendredi et samedi. Le cas de rupture était le retrait ou non, comme prévu, du contingent hollandais de 1.800 hommes en Afghanistan. Les libéraux étaient pour le maintien, au moins d’une force minimale; les travaillistes ont continuellement appuyé la décision initiale de retrait, ayant déjà avalé une couleuvre en 2008 avec une prolongation du déploiement de deux ans, contre leurs engagements électoraux. Les travaillistes ont démissionné, laissant un gouvernement minoritaire réduit aux “affaires courantes”.

Voyez sur ce sujet, notamment, DutchNews.nl de ce 20 février 2010.

• Les experts s’émeuvent aussitôt. «“A withdrawal will damage the reputation of the Dutch as a reliable partner that is willing and able to contribute to important military missions,” Edwin Bakker, a senior research fellow at the Clingendael Institute in The Hague told news agency Reuters.»

• L’armée est désespérée par cette décision (voyez le texte du même DutchNews.nl du 19 février 2010). On ne prévoit pas pour autant de tentative de coup de force.

• Selon le plus récent sondage, le public approuve la position des travaillistes par 66%; 49% des personnes interrogées sont pour un retrait immédiat, contre 38%. Enfin, et légèrement contradictoire ou bien significatif de l’intérêt du public pour cette affaire, 45% estiment que l’Afghanistan ne vaut pas une crise ministérielle, contre 39%.

• A moins d’une surprise bien improbable puisque le cabinet est réduit à une minorité parlementaire et donc impuissant, l’issue est maintenant de nouvelles élections, organisées dans les 83 jours à partir de la signature du décret de dissolution par la Reine. Ce sera une élection très intéressante.

Notre commentaire

@PAYANT Effectivement, c’est le premier effet politique majeur de la guerre d’Afghanistan dans un pays de la “coalition” otanienne. Pour cela, c’est un événement important, mais pas pour cela seulement. Les autres facteurs objectifs de l’importance de l’événement sont les suivants:

• La Hollande est le prototype du “membre exemplaire” de l’OTAN. Sérieux, avec un contingent important en Afghanistan, des soldats de bonne valeur; pays à l’atlantisme impeccable, toujours attentif aux désirs et ordres de Washington. En plus, posant comme une démocratie exemplaire, fonctionnant à merveille dans le système.

• Il n’empêche, ces dernières années, le “modèle” a eu quelques déboires. Le vote négatif au référendum sur la Constitution européenne, le 31 mai 2005, suivant de trois jours celui de la France, en est un bon exemple. Il y a aussi des tensions au niveau de l’immigration, avec des poussées anti-immigration puissante, en plus d'une désaffection notoire pour la classe politique qui rend l'exercice de la démagogie courante par les politiciens, en plus de leur devoir de conformisme pro-occidentaliste et pro-US, assez délicat.

• Au sein de l’OTAN, l’affaire hollandaise a toutes les chances de faire beaucoup de bruit. Elle survient au moment où les USA et l’OTAN veulent un effort maximal des pays européens en Afghanistan, et voilà qu’on leur annonce un retrait de 1.800 hommes. L’affaire est très délicate: OTAN et USA doivent-ils s’émouvoir et sermonner durement la Hollande, d’autant que les autres membres vont être d’autant plus mal à l’aise avec leurs propres contingents, devant cette réduction? Mais un trop grand retentissement ne risque-t-il pas d’ouvrir un vrai débat sur l’utilité de la présence en Afghanistan, avec tous les risques inhérents?

• Enfin, pour notre propre intérêt, il y a l’affaire JSF, qui est toujours une forte source de polémique potentielle en Hollande. Les parlementaires travaillistes sont beaucoup plus durs que leur représentation au gouvernement, c’est-à-dire assez hostiles à l’achat. La crise éclate au moment où le JSF lui-même est en crise et où le gouvernement, malgré un impeccable ministre de la défense si pro-US qu’on le juge comme un lobbyiste de Lockheed Martin, commence à s’en inquiéter et a promis de faire participer le Parlement au débat sur le cas si, comme c’est probable, le programme JSF est jugé par le Pentagone comme contrevenant à la loi Nunn-McCurdy qui prévoit de fortes mesures de restructuration.

Cette affaire est un excellent exemple des tensions qui traversent désormais continuellement le système avec des situations internes tendues et des engagements de politique extérieure qui n’ont d’autres justifications que le suivisme otanien d’une politique US complètement déboussolée. Les dirigeants et ministres travaillistes ont démissionné plus parce que leur base parlementaire ne leur laissait aucun autre choix, que parce qu’ils l’avaient effectivement désiré. Les dirigeants travaillistes ont jusqu’ici trahi un certain nombre d’engagements électoraux et on pouvait imaginer qu’un de plus ne leur poserait pas de grand problème.

Désormais, avec la perspective des élections, la porte est ouverte à la montée aux extrêmes. La crise a éclaté sur un sujet qui ne passionne guère les Hollandais, mais qui sera imposé par les événements au centre des débats. On sera donc obligés de s’intéresser aux raisons de l’engagement en Afghanistan. Cela promet de belles galéjades et une surenchère garantie. Dans le même ordre d’idée, et parce que cela représente une dépense considérable au moment où les finances publiques sont comme partout en difficultés, l’affaire du JSF peut également faire son apparition sur la scène électorale. C’est dans cette sorte de circonstances, où une crise gouvernementale éclate sans que les dirigeants en présence l’aient vraiment voulu, sans sujets majeurs de désagrément mais avec des bases parlementaires de plus en plus indisciplinées, qu’on peut voir surgir au premier plan des sujets jusqu’alors écartés d’un commun accord de la classe politique. Il sera alors temps de découvrir combien certains dossiers qu’on tenait pour acquis sont pour le moins discutables, et peuvent même fournir un excellent débat de polémique et de politique de sécurité nationale. Les crises par inadvertance sont toujours les plus intéressantes…

Cette tendance sera accentuée par le fait que les travaillistes ne sont pas en très bonne position dans les sondages. Pour y remonter, ils vont donc devoir se distinguer, se justifier, notamment sur les questions polémiques ainsi mises à jour. Ils ont démissionné sur l’Afghanistan et sur la parole donnée, malgré quelques trahisons initiales, lors des élections précédentes. C’est là qu’ils voudront (devront) se battre pour renforcer leur position, appuyant ainsi leur décision de démission, d’autant que la cause afghane n’a pas le vent en poupe dans le public. Au-delà, avec un peu de chance et l’un ou l’autre événement fortuit, c’est toute la politique d’engagement atlantiste, JSF compris, qui pourrait être passée en revue lors du débat électoral. Comme l’on part d’une politique ultra-atlantiste où il n’y a plus rien à perdre, une telle évolution peut ménager l’une ou l’autre surprise intéressante.


Mis en ligne le 20 février 2010 à 12H21

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