JSF: étonnants détails de l'intérieur de l’effondrement en cours

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Un article du Star Telegram de Forth Worth (ce point a son importance), publié le 28 février 2010, à partir d’un document (de la Defense Contract Management Agency du Pentagone) obtenu par le journal, donne des détails stupéfiants sur le programme JSF. Bien entendu, l’état du programme est simplement catastrophique et nul ne peut raisonnablement plus prétendre savoir vers où il se dirige, et si quelqu'un dirige encore quelque chose....

Voici quelques détails qui nous paraissent extrêmement significatifs (le rapport rassemble des informations valables au mois de novembre 2009).

• La livraison en retard des composants du JSF, jusqu’alors attribuée pour 12% seulement à Lockheed Martin [LM] (le reste impliquant des sous-contractants), est montée à 30% pour le même. L’un des meilleurs sous-contractants est Northrop Grumman, qui livre des sections centrales du fuselage en très bon état. LM a “cannibalisé” certaines de ces sections pour réparer ou préparer des avions incomplets qui attendaient de commencer leurs essais en vol…

• Parce qu’il se trouvait à cours de réserves budgétaires, LM, avec l’accord du JSF Program Office, a supprimé 1.400 vols d’essais et deux avions pour ces vols, tout cela pour près d’un $milliard. La chose avait été présentée comme un gain sur les essais en vol par rapport aux bonnes performances de l’avion, alors qu’il s’agissait d’un artifice comptable pour permettre à Lockheed Martin de ne pas sombrer dans la faillite du programme. Aujourd’hui, le Pentagone augmente en catastrophe le nombre de vols d’essai et d’avions affectés à ces essais.

• LM a complètement restructuré le programme du développement et des essais en vol 6 fois en huit ans ! Divers détails donnés dans le rapport accumulent tous les retards d’avions livrés, de vols d’essais effectués, dans une proportion qui fait penser que l’actuel programme révisé (premier avion pré-opérationnel en 2015, premier avion opérationnel en 2019) sera à nouveau retardé rapidement (dans les prochains mois) de un à deux ans.

• Avis d’experts consultés par le journal… Richard Aboulafia : «Aerospace industry analyst Richard Aboulafia said the data indicate that the program is in worse shape than he believed based on Pentagon officials' comments. “The message that the JSF program would be different than all the others, meet schedule and meet budget, didn't turn out, did it? This is not a good turn of events.” Aboulafia said Pentagon leaders “just have to take very strong action right now” and do whatever has to be done to get F-35 development and testing moving in the right direction.»

• Le réformiste Winslow Wheeler «…praised Gates and company for taking on the Pentagon's bureaucracy and demanding a realistic appraisal of the F-35 program. But Wheeler said it's a mistake to continue buying more F-35s in 2011 and beyond, before all the quirks and capabilities of the airplanes can be determined by extensive testing. That's a view that the Government Accountability Office has voiced repeatedly when it said the F-35 plans were far too ambitious and optimistic. “Gates is committed to the program and doesn't want to change its fundamental nature, the concurrent testing and production,” Wheeler said. “He's crossing his fingers and hoping for the best. This program is going to get far worse than [the Pentagon] is predicting.”»

Notre commentaire

@PAYANT On notera plusieurs choses remarquables dans ces informations, pour ce qu’elles nous donnent comme perception générale, à l’intérieur et autour du programme JSF. Bien entendu, tout cela dans le mode catastrophique...

• D’abord, que ces informations viennent du Fort Worth Star Telegram, le quotidien de la ville où se trouve la grande usine LM qui produit le F-35. Evidemment favorable à Lockheed Martin par tradition et par intérêt, le Star Telegram avait commencé à publier certaines critiques ces derniers mois. Il le fait ici à partir de documents obtenus de façon exclusive, ce qui marque, pour le moins une politique délibérée hostile au F-35, sinon une alimentation de documents allant dans ce sens, peut-être venue de certains cadres de LM. Le tout (LM, Fort Worth et Star Telegram) formant jusqu’à ces dernières années une communauté unie pour la défense de la production LM, cette évolution du Star Telegram semblerait montrer des divisions significatives à l’intérieur de cette communauté, sinon à l’intérieur de LM, à l’égard du F-35, qui en dit long sur la situation du programme.

• L’évolution radicale de l’avis d’Aboulafia, expert du Teal Group largement soutenu par LM. Jusqu’ici impérativement favorable au JSF, annoncé comme le seul avion de combat du XXIème siècle et comme le destructeur de l’industrie européenne, Aboulafia vire sa cuti à 180°, – selon l’image tentante mais assez peu bienveillante des “rats [qui] quittent le navire”. Presqu’autant que le rapport détaillé dans l’article, c’est une indication convaincante de l’état catastrophique du programme. D’une façon générale, les experts (Wheeleer, bien sûr) ne se cachent plus pour prévoir le pire pour le JSF.

Les détails recueillis dans ce rapport sont surréalistes. Lockheed Martin “cannibalisant” des parties neuves de JSF venues de Northrop Grumman pour compléter certains de ses propres avions terminés mais incapables de voler, voilà qui dénote un désordre autant que des déficiences extraordinaires de production. (La “cannibalisation”, ou emprunts de parties d’avions inutilisables pour compléter d’autres avions du même type, se fait en général sur les programmes en fin de carrière, pour lesquels n’existe plus un flux d’alimentation de pièces détachées, etc. Ici, c’est exactement le contraire chronologique.) La part grandissante de Lockheed Martin dans les retards de livraison est également une indication sérieuse d’une évolution vers la totale perte de contrôle du programme par le “centre”, ce qui est la condition fondamentale et décisive pour la plongée d’un programme dans ce qu’on nomme la “death spiral”, lorsque l’évolution du programme devient fondamentalement négative (plus son développement et sa production avance, plus les avatars, les erreurs et les fautes s’accumulent, tout “progrès” du programme étant immédiatement générateur de son double négatif).

Les détails concernant les mesures prises pour récupérer des pertes budgétaires, au risque, dont il a été prouvé depuis qu’ils étaient catastrophiques, de compromettre le programme d’essai, montrent une situation similaire dans la gestion comptable du programme JSF. De ce point de vue, à la menace de “death spiral” du programme, on peut ajouter sans hésiter que ce même sort menace Lockheed Martin lui-même, en fonction de l’impact financier qu’aurait une catastrophe dans le cours du programme JSF. L’énormité de la catastrophe que serait un effondrement du programme JSF menacerait effectivement toutes les structures et l’équilibre financier de l’industrie de l’armement US, au travers de l’équilibre de LM. Nous irions ainsi de “too big to fall” (le JSF) en “too big to fall” (Lockheed Martin), – pour aboutir au bout de la chaine, à l’industrie de l’armement et au Pentagone?

Il n’est plus du tout impossible qu’on en arrive rapidement à la solution “de désespoir” préconisée par Wheeler depuis un certain temps. Il s’agirait d’une décision de moratoire suspendant le programme pendant un délai donné pour tenter de déterminer son état exact, d’envisager sa restructuration, sa réorientation, voire d’autres mesures radicales. Il est possible que l’annonce prochaine, qui semble quasi-certaine (en avril ou en mai, lors de la publication du prochain rapport de revue des grands programmes, dit Selection Acquisition Report,ou SAR), de l’inclusion du programme JSF parmi les contrevenants à la loi Nunn-McCurdy, donne l’occasion d’une décision radicale de cette sorte à l’encontre du programme JSF.


Mis en ligne le 1er mars 2010 à 14H12