Israël, tête baissée?

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Israël, tête baissée?

2 août 2006 — Le texte que publie Atimes.com, en date du 3 août, signé de Syed Saleem Shahzad, correspondant de l’agence au Pakistan actuellement au Sud Liban, est d’un particulier intérêt. Il rencontre des informations parcellaires et des hypothèses déjà soulevées. Il est assorti de détails et de témoignages qui renforcent le crédit général qu’on peut accorder à la vision générale qui en découle.

L’intérêt principal du texte est qu’il prend en compte deux éléments nouveaux essentiels :

• Comment l’Irak a changé le visage et l’action des mouvements anti-US et anti-israéliens pour la simple et évidente raison que l’Irak a montré de façon dramatique que la plus puissante armée du monde pouvait être dramatiquement et décisivement tenue en échec. Selon ce jugement, ce serait dans un nouvel Irak que Tsahal est en train de se précipiter.

• Il y a des fractures très importantes au sein de l’establishment israélien, essentiellement entre Tsahal et les extrémistes civils d’un côté, le Mossad de l’autre. Ce constat, dont nous avons déjà eu des signes est intéressant parce qu’il reproduit certaines lignes de fracture existantes à Washington (notamment la position continuellement critique des aventures bushistes de la CIA, comme le Mossad est critique de l’actuelle attaque contre le Hezbollah) ; qu’il suggère effectivement que la direction israélienne a évolué (dans le sens de la décadence) identiquement à son modèle d’influence US. Il y a dans ces hypothèses ou constats le poids de l’évidence dès lors qu’on accepte la thèse d’Israël comme appendice du Pentagone et de l’establishment US.

Le texte de Syed Saleem Shahzad nous dit notamment ceci :

« Now, Asia Times Online has learned from contacts both in Lebanon and in the region that Israel, too, has embarked on a military adventure in defiance of warnings from within its establishment of the need for caution.

» As with Iraq, the consequences could be dire.

» An alliance of hawkish Israeli politicians and military top brass is determined to eradicate Hezbollah once and for all from Lebanon, despite warnings from Mossad, the Israeli intelligence agency, Asia Times Online is told.

» Those arguing for restraint say that the Iraqi war has changed the dynamics and mood in the Middle East. The region is no longer the same as when Israel could flex its muscles with impunity: there is now a groundswell of anti-Israeli and anti-US sentiment.

» And Israeli intelligence admitted to the ruling establishment before the war began that it had failed to penetrate the tightly knit folds of the ideologically and religiously motivated cadre and leadership of Hezbollah. Therefore, they opposed the war until their proxy network could gather more information on Hezbollah's military strength, manpower, logistics and positions.

» Israeli intelligence dispatches warned that Hezbollah, with Iranian backing, had grown way beyond a small resistance group like Hamas in Palestine and would fight with much more than small weapons and suicide attacks.

» The dispatches cautioned that before going into any large-scale war, it was essential to measure the full extent of Hezbollah's war machine, otherwise it could turn into a military catastrophe. »

L’establishment israélien en crise

Les conditions se précisent de plus en plus pour renforcer le constat que nous nous trouvons devant une crise majeure qui ne concerne qu’au premier abord le Hezbollah, mais qui concerne en réalité les structures mêmes de la direction israélienne. Il s’agit d’une crise majeure justement à cause de ce facteur interne, comme la guerre en Irak est une crise majeure à Washington à cause des fractures et des oppositions qu’elle fait naître dans l’establishment washingtonien.

En un sens, le pouvoir civil est semblable à Tel Aviv et à Washington. Olmert est dans une position de faiblesse parce qu’il n’a aucun passé, et surtout rien de ce passé militaire si nécessaire en temps de crise dans un establishment hyper-militarisé pour établir une quelconque autorité. Cette position de faiblesse soumet Olmert à toutes les influences, et celle de la clique Netanyahou (président du Likoud et relais en Israël de la clique Cheney et neocons de Washington) est aujourd’hui prépondérante à Tel Aviv. A Washington, la faiblesse intérieure de GW Bush, même si elle est différente (pour lui, par aveuglement, inculture, faiblesse de caractère et lunatisme), correspond à celle de Olmert dans ses effets en laissant le champ ouvert à toutes les influences. Les extrémismes triomphent à cause de la faiblesse stupéfiante du monde politique et l’absence totale de pensée originale, hors du moule conformiste.

Tsahal a une position particulière, différente de celle du Pentagone à Washington. Son statut, sa position de force dans le système dépendent des aventures militaires, au contraire du Pentagone qui assoit sa puissance sur un déploiement expansionniste d’ores et déjà réalisé (réseau de bases, flottes, etc.) et déteste les aventures trop risquées (l’Irak, bien sûr). En attendant, Tsahal fait pour le Pentagone des missions intéressantes, notamment en détournant l’attention de la catastrophique situation irakienne (voir plus bas).

La position particulière du Mossad retrouve la logique de celle de la CIA à Washington. De même que le KGB, dans l’URSS bréjnevienne en état de décadence accélérée qui favorisait le conservatisme ossifié, était le service de sécurité le plus ouvert, le plus imaginatif, le moins conservateur notamment à cause de ses contacts extérieurs obligés, de même pour la CIA et pour le Mossad, dans leurs establishments respectifs.

Face à cette étrange situation, effectivement les divers mouvements de résistance arabes prennent du poids et de l’audace. Les qualifier d’“islamistes” pour pouvoir invoquer un vaste complot mondial et aussitôt sonner le tocsin pour la civilisation occidentale en attendant le prochain attentat est épuisant de sottise, — à peu près à mesure des divers discours définitifs du philosophe Tony Blair. Ces mouvements sont divers et, surtout, ils constituent une réaction contre une pression nihiliste et déstructurante israélo-américaniste insupportable. Ils ne renvoient à aucun plan de complot général contre la vertueuse civilisation occidentale, comme les cerveaux aliénés et enfiévrés de nos experts en construisent pour eux. C’est le poids des sottises de l’idéologie hystérique américaniste et de l’aveuglement de l’arrogance qui va avec qui renforce continuellement les forces de résistance. Pour l’instant, on parle des Arabes, mais il est évident que les Vénézuéliens, les Mexicains dans les rues de Mexico, les Russes qui soutiennent Poutine, les opinions publiques occidentales contre leurs dirigeants, les dirigeants français lorsqu’ils se désintéressent un instant de leurs scandales et de la prochaine présidentielle, — tout cela évolue dans le même sens en suivant la même ligne de résistance nécessaire, voire imposée par la pression américaniste. Nous assistons à un mouvement antagoniste colossal de deux dynamiques historiques contraires, et nullement à une guerre idéologique ou à un bazar type “clash de civilisations”.

La crise israélo-libanaise ouvre un chapitre nouveau de l’histoire occidentale. Il s’agit du chapitre où la petite nation israélienne, perçue comme un bloc depuis son origine grâce à ses racines fondatrices mythiques et tragiques, se découvre comme une structure en complète décadence, complètement subvertie par l’influence américaniste. Plus que jamais, l’américanisme doit être perçu comme une pathologie, notamment par son extraordinaire capacité pandémique au niveau de la psychologie, et la dynamique prédatrice de toutes les structures souveraines et de légitimité nationale qui en découle.

Dans tous les cas, cette crise est une avancée importante dans la zone des grandes incertitudes. Israël est infiniment plus fragile que Washington, — on ne parle pas de l’épouvantail habituel de l’anéantissement d’Israël par les Arabes mais de la question de la solidité structurelle interne de son establishment. Dans la crise actuelle, si les comptes sont faits justement, on voit aisément qu’Israël fait une guerre essentiellement pour le compte de Washington, ce qui est une cause de plus pour le désarroi intérieur qui ne saurait tarder à s’installer, — et la cause même qui découvre le point d’asservissement de la souveraineté israélienne aux exigences washingtoniennes. Certains s’en aperçoivent, à Tel Aviv, par exemple Ze'ev Sternhell, qui concluait un texte incroyablement amer et pessimiste (« Let's declare victory and start talking »), le 28 juillet dans Haaretz, par ce paragraphe qui ne fait que dire, avec quelle amertume, la réalité cynique des rapports Washington-Tel Aviv :

« And a word about the price of American support. Sometimes it seems as if U.S. President George W. Bush wants Israel both to destroy Lebanon and to sustain painful losses. That way, Israel provides him with an excellent alibi for the war in Iraq: The fight against terror is global, the blood price is the same, the methods of operation and the means are identical, and the time needed for victory is long. The Israeli vassal is serving its master no less than the master is providing for its needs. »