Grosses pénalités furtives et technologiques du raid

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Il fallait bien que l’on eût une saga technologique en marge de l’élimination, type Cosa Nostra, de ben Laden. C’est donc l’affaire de l’hélicoptère, stealth (technologie furtive) et ultrasecret, et qui a pourtant été victime d’un accident fatal. La chose s’est passée au-dessus du site de l’attaque ; les SEAL ont détruit les restes de l’hélicoptère secret, – mais pas tous les restes… On verra que c’est là que se noue l’intrigue. Il est également possible que deux hélicoptères de ce type (des UH-60 BlackHawk modifiés) aient été perdus durant l’opération.

Dès le 3 mai 2011, Bill Sweetman signalait que le modèle détruit dans un accident était un hélicoptère équipé de technologies furtives (sur son site Ares d’Aviation Week).

«It was a secretly developed stealth helicopter, probably a highly modified version of an H-60 Blackhawk. Photos published in the Daily Mail and on the Secret Projects board show that the helicopter's tail features stealth-configured shapes on the boom and tip fairings, swept stabilizers and a “dishpan” cover over a non-standard five-or-six-blade tail rotor. It has a silver-loaded infra-red suppression finish similar to that seen on some V-22s.

»No wonder the team tried to destroy it. The photos show that they did a thorough job – except for the end of the tailboom, which ended up outside the compound wall. (It almost looks as if the helo's tail hit the wall on landing.)

»Stealth helicopter technology in itself is not new and was applied extensively to the RAH-66 Comanche. Priorities are usually different versus fixed-wing aircraft. Reducing noise and making it less conspicuous is the first job (more main and tail blades reduce the classic whop-whop signature). […]

»The willingness to compromise this technology shows the importance of the mission in the eyes of US commanders -- and what we're seeing here also explains why Pakistani defenses didn't see the first wave (at least) coming in.»

Le même 3 mai 2011, Reuters donnait quelques indications sur l’accident, sans donner en d’autres précisément sur la nature “furtive” de l’appareil, – dito, l’emploi de technologies furtives. Tout juste parlait-on d’une “nouvelle version” du UH-60 BlackHawk, ou d’une version modifiée pour l’opération : «[T]he helicopter packed with soldiers made a “controlled but hard landing” after encountering higher-than-expected temperatures at bin Laden's compound near Islamabad, Senator Dianne Feinstein told reporters on Tuesday…»

Un nouvel élément apparaît, notamment avec le Daily Telegraph du 5 mai 2011, qui rend l’affaire beaucoup plus intéressante, en même temps qu’il nous montre un nouvel aspect du raid qui semble échapper au contrôle des autorités washingtoniennes. Il s’agit de la crainte qu’une partie jugée importante, ou significative, de l’hélicoptère, qui a été saisie par les Pakistanais, puisse terminer dans les mains des Chinois…

«The American troops used thermite grenades to destroy the helicopter’s main body but its rear section was left intact and taken away by the Pakistani military soon after the night raid on Monday. It is feared that if Islamabad refuses a request from Washington for the return of the tail section that the issue could turn into a diplomatic rift. […]

»Peter Felstead, the editor of Jane’s Defence Weekly, said analysts had carefully studied the pictures and concluded that it was a “stealth helicopter that we have not seen before”. “The Americans will be extremely keen to get the wreckage back but there will also be real concerns about the technology finding its way to China,” he said. “This kind of technology would be extremely useful to them at this point.”

»Pakistan has a well-established military relationship with China, working jointly on the JF17 Thunder fighter project. The Chinese have exclusive access to a naval port. The People’s Liberation Army is in the early stages of developing an attack helicopter that would benefit significantly from stealth technology. The Chinese are experts at reverse-engineering, using Western technology to develop its own armoured vehicles, warships and aircraft. It recently released photographs of an aircraft that closely resembled the US Air Force’s highly advanced F22 Raptor…»

Ce dernier point concerne bien entendu l’avion de combat chinois dit “de 5ème génération”, le J20, dont on fait désormais grand cas. Au reste, et pour accentuer la similitude, sinon des cas, du moins des commentaires et des spéculations, diverses appréciations ont été émises concernant le J20 et ses caractéristiques furtives, d’emploi des technologies de la furtivité, à partir d’informations que les Chinois auraient acquises en disposant d’un accès aux débris d’un avion furtif de l’USAF, un F-117A, abattu au-dessus de la Serbie lors du conflit du Kosovo. au printemps 1999. (Les mêmes spéculations d’utilisation des débris du F-117A ont été développées pour le chasseur russe T-50, également un avion de combat de la 5ème génération employant des technologies furtives.)

Il est évidemment acquis que la bureaucratie et ses procédures conduisent sans le moindre détour à privilégier l’hypothèse la plus catastrophique possible, – c’est-à-dire, l’hypothèse basée sur le principe de la supériorité absolue des USA, et impliquant que toutes les autres puissances sont à l’affût de tous les secrets US qu’il leur serait possible de récupérer. L’hypothèse du Telegraph recouvre évidemment une probabilité à 99% : le Pentagone ne peut pas ne pas impérativement supposer que les Pakistanais vont faire un arrangement avec leurs amis chinois pour un accès aux débris de l’hélicoptères furtif et secret du raid contre ben Laden. D’autre part, le contexte y encourage, qui voit le Pakistan se tourner de plus en plus nettement vers la Chine pour son équipement militaire, dans des proportions bien plus importantes qu’il n’a fait jusqu’ici, et cela aux dépens des liens de ce même Pakistan avec les USA. Un texte de Dominic Di- Natale, de FoxNews, le 26 mars 2011, donnait des indications précises sur cette évolution pakistanaise…

«Pakistan earlier this month test-fired a nuclear-capable missile from an undisclosed location – the second in a month of try-outs for its short-range surface-to-surface Hataf 2 class rocket, co-developed with the Chinese. It was the latest in a series of arms collaborations between the two nations, which view their strategic partnership as a counterweight to a boldly confident India, which has American support. […]

»[I]n November, [2010 …] Islamabad announced it had ordered an arsenal of SD10 mid-range homing missiles and radar systems to equip its JF-17 Thunder jet fighters from China. More is on the way. China is scheduled to send Pakistan 250 JF-17s over the next five to ten years, a $1.3bn deal to buy J-10 fighters and a recent order for six submarines, all advanced under-sea vessels with an air independent propulsion system. A Pakistani government official was recently quoted as saying it was vital for the navy to acquire more submarines to offset “the pressure we will definitely come Under” due to the rapid expansion of India's naval capability. “Our Chinese brothers have always come to our help and we are asking them for assistance once again,” he said.»

Dans ces conditions, les militaires US n’ont-ils pas pris un très grand risque de leur point de vue, et un risque inutile en utilisant en territoire pakistanais et dans l'espace aérien pakistanais des hélicoptères avec des technologies qu’ils considèrent comme secrètes, avec en plus tout le poids symbolique de leurs sacro saintes technologies furtives ? Oui, bien sûr, pour toutes ces propositions.

• Un “très grand risque” ? L’importance de cette observation dépend évidemment du degré d’importance des éléments expérimentaux incorporés dans l’hélicoptère (les hélicoptères) furtif(s). Quoi qu’il en soit, il y a bien un risque, surtout du point de vue US, avec l’obsession du secret qui caractérise la bureaucratie US. Cela implique simplement qu’à partir du moment où survient un incident comme celui qui a eu lieu, l’évaluation de la situation par cette bureaucratie est extrêmement “dramatisée”. Pour la bureaucratie du Pentagone et dès lors qu’effectivement une partie de l’hélicoptère est dans des mains impies (pakistanaises, c’est-à-dire potentiellement chinoises), tous les secrets du programme, tout l’équilibre de la filière de la sacro sainte technologie furtive sont en danger. Les Pakistanais, c’est-à-dire éventuellement et donc probablement les Chinois, ont dans leurs mains, en plus d’un débris de technologies furtives, une carte de particulière grande valeur. Ce risque considérable pris par la bureaucratie US, et qui s’est soldé effectivement par une situation critique du point de vue de cette bureaucratie, contraste sans aucun doute avec les nécessités opérationnelles de l’opération.

• Un “risque inutile” ? …En effet et sans doute, la mission pouvait être parfaitement remplie avec des hélicoptères normaux, surtout dans l’espace aérien pakistanais dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas inconnu aux forces US, et qu’il est en partie, ou, dans tous les cas, épisodiquement contrôlé par ces forces. L’arrivée du raid n’a pas été repérée par les défenses et les radars pakistanais, simplement parce que les hélicoptères US volaient à base altitude comme c’est l’évidence pour ce type d’opération, et certainement pas, et évidemment pas à cause des caractères furtifs de certains d’entre eux… (Ces caractères furtifs n’avaient guère de valeur en eux-mêmes du point de vue de l’opération en général puisqu’une partie des hélicoptères de la formation n’avaient pas de technologies furtives, puisque diverses circonstances de la mission, en autant de points d’appui, notamment des probables opérations de ravitaillement en vol, se faisaient en partie avec des appareils non pourvus de technologies furtives. En aucun cas, on ne trouve, dans cette mission, au travers de ses équipements, une unité des capacités de furtivité des systèmes engagés.).

…En fait, comme le rapportait la dépêche Reuters déjà citée du 3 mai 2011, alors que l’affaire du caractère furtif de l’hélicoptère détruit n’était pas encore un facteur important, cette mission s’est effectuée dans la hantise d’un ratage semblable à celui d’avril 1980, lors de la mission de sauvetage des otages de Téhéran. Une obsession de plus de trente années, ce qui marque la durabilité extrême, qu’on peut sans doute qualifier de pathologique, des effets des catastrophes au sein de la bureaucratie du système du technologisme. On voit que les structures de la mission étaient engagées, après l’accident, sur la voie des redondances multiples (un hélicoptère de remplacement de l’hélicoptère détruit, lui-même doublé par un autre hélicoptère de remplacement), cela indiquant effectivement la crainte d’un échec de la mission.

«Helicopter problems forced the U.S. military to abort another high-profile mission in 1980 – an attempt to rescue U.S. citizens held hostage at the U.S. embassy in Iran. “They agonized over that. A lot of lessons were learned,” including the need for extra helicopters to carry out the mission, and rescue helicopters, said John Pike, founder of the globalsecurity.org website. […]

»In Sunday's mission, two Black Hawk helicopters were supposed to hover over the bin Laden compound and allow Navy special operations forces to rappel to the ground. When one of the helicopters ran into problems – including temperatures that were 17 degrees higher than expected – and had to land abruptly, two Boeing Co Chinook helicopters were called in to help get the U.S. troops out, said one U.S. government official, speaking on condition of anonymity. One Chinook would have sufficed, but a second one was sent in case that helicopter also ran into trouble, said Pike.»

A la lumière de ces divers éléments, on voit que l’utilisation de technologies et de procédures secrètes durant le raid représente effectivement une opération risquée, qui n’est compréhensible que dans la mesure où l’on doit tenir compte de facteurs très contradictoires et très impératifs. L’introduction de l’emploi des technologies furtives, s’il se justifie par une réelle crainte obsessionnelle de l’échec, mais équilibrée par la crainte de ce qui est justement arrivé, – la perte d’un hélicoptère, – trouve tout de même une justification renforcée, et peut-être décisive, par un autre aspect. La bureaucratie du Pentagone cherche, dans ce cas, par une démonstration opérationnelle qu’elle espère brillante, à justifier de la nécessité d’introduire/de développer jusqu’à la production et l’équipement de nouveaux programmes d’hélicoptères de combat intégrant des technologies furtives. De ce point de vue, la mission des hélicoptères était double : liquider ben Laden et ramener pour les dirigeants civils du Système la démonstration de la nécessité de développer des hélicoptères furtifs.

De ce point de vue également, il y a un échec certain, au niveau de la communication. L’incidence de l’hypothèse pakistano-chinoise concernant les restes de l’hélicoptère contient sans aucun doute un élément politique potentiellement important, qui rappellera constamment l’extrême fragilité de ces nouveaux systèmes proposés par la bureaucratie. Cela est d’autant plus pressant et pesant que le côté US est très mal à l’aise pour “exiger”, par exemple la restitution de “la pièce manquante”, – alors que les Pakistanais hurlent à la violation de leur souveraineté nationale. Les Chinois, eux, tiennent un morceau de ferraille qui fait trembler le Pentagone et les aide éventuellement à développer leurs propres technologies, et qui constitue également un levier interférant sur la politique d’intervention systématique du système militariste US.


Mis en ligne le 6 mai 2011 à 14H16

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