Friedman (Thomas) “lâche” l’Afghanistan

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Thomas Friedman, du New York Times, ne représente aucune opinion originale, aucune pensée de quelque intérêt, mais simplement l’indication utile d’être le porte-voix de certains intérêts («Thomas Friedman is nothing if not a megaphone for the corporate elite…», selon Harveey Wasserman, de CommonDreams.org, le 29 octobre 2009). Dans sa colonne du New York Times le 28 octobre 2009, Friedman recommande de ne pas renforcer les contingent US en Afghanistan (plan McChrystal) et, implicitement, de préparer un retrait de ce pays.

L’argumentation de Friedman est en général d’une originalité moyenne, pour qui a suivi d’un œil critique l’engagement US en Afghanistan. Il se termine par ceci, qui avance notamment l’argument, au moins d’une certaine originalité celui-là, qu’il serait temps d’accorder toute son attention à la reconstruction d’un pays – les USA – avant celle des autres.

«The U.S. military has given its assessment. It said that stabilizing Afghanistan and removing it as a threat requires rebuilding that whole country. Unfortunately, that is a 20-year project at best, and we can’t afford it. So our political leadership needs to insist on a strategy that will get the most security for less money and less presence. We simply don’t have the surplus we had when we started the war on terrorism after 9/11 — and we desperately need nation-building at home. We have to be smarter. Let’s finish Iraq, because a decent outcome there really could positively impact the whole Arab-Muslim world, and limit our exposure elsewhere. Iraq matters.

»Yes, shrinking down in Afghanistan will create new threats, but expanding there will, too. I’d rather deal with the new threats with a stronger America.»

Wasserman s’interroge sur le poids et l’influence de cet engagement de Friedman qui, jusqu’ici, a été un constant soutien des entreprises guerrières US outre-mer.

«In early 1968, after the devastating Tet Offense, CBS News anchor Walter Cronkite pronounced the Vietnam War unwinnable. Lyndon Johnson knew he had "lost middle America" and soon declined to run for a second term. The war dragged on for seven more hellish years. But the hearts and minds of the American public had been lost.

»Tom Friedman is no Walter Cronkite. His Times column is influential in certain circles, but has nowhere near the nationally unifying force as Cronkite's evening broadcasts. On the other hand, his admonition to "Don't Build Up" in Afghanistan indicates that the Pentagon PR blitzkrieg demanding more troops has failed in key corporate circles.[…]

»Thomas Friedman is nothing if not a megaphone for the corporate elite. He supports atomic power and consistently pumps global trade agreements, US military adventurism and top-down decision-making in ways that can draw howls of outrage with a single smarmy sentence.

»His Times cohort Roger Cohen has been selling the war as hard as he can. Puff pieces on hawk General Stanley McChrystal's global campaign to build military support for a massive escalation have been filling the Times's pages for weeks now. It recently concocted a non-story about the "impatience" of the military brass awaiting tens of thousands of new troops. It gave front page billing to McChrystal's completely inappropriate campaigning with NATO commanders who love McChrystal's demand for more troops but likely won't be sending more of their own any time soon.

»It's impossible to assign tangible value to Friedman's loss of faith in escalation. But those of us hoping to avoid a catastrophic dive off the Afghani abyss have expected nothing but grief from this mainstay of the Iraqi catastrophe.»

Notre commentaire

@PAYANT Il est effectivement intéressant de voir Friedman publier cet opinion en faveur du retrait. Certes, il n’est pas Conkrite, en termes d’influence, mais il représente des intérêts de l’establishment. Son argument est effectivement basé sur ce qu’on pourrait croire être des intérêts des “corporate élite”, notamment lorsqu’il souligne que l’Irak compte et pas l’Afghanistan. Les adeptes des messages à peine codés auront reconnu l’argument du pétrole; l’industrie pétrolière US, au moins elle, doit encore entretenir l’illusion qu’elle tient le pétrole avec les troupes US toujours en Irak, malgré que ces troupes soient plus ou moins encasernées et paralysées, et d'une valeur combative très réduite. Laissons-les à leurs illusions et constatons simplement que la prise de position de Friedman rejoint, en importance, pour la “gauche” libérale interventionniste US (liberal hawks), la prise de position de George F. Will dans le même sens, mais lui-même pour la droite conservatrice classique.

Certes, sans aucun doute Friedman n’est pas Conkrite; George F. Will non plus… Mais cela fait Friedman plus Gorges F. Will, plus d’autres. La majorité des commentateurs restent favorable à un renforcement en Afghanistan, mais leurs arguments ressortent des automatismes du passé et il est intéressant de noter que des commentateurs-vedettes du type de Will et de Friedman (en plus, représentant les deux ailes du parti interventionniste) ont évolué alors que l’engagement US était déjà effectif, écartant ainsi l’argument du patriotisme intégral (soutenir aveuglément des troupes au combat) qui a paralysé la plupart des critiques de l’époque GW Bush. On sait par ailleurs qu’une importante fraction des experts (ceux qui publient épisodiquement mais sont surtout cantonnés dans les think tanks), de nombreux généraux à la retraite, sont hostiles à un renforcement en Afghanistan. L’intérêt de la situation est que le délai, désormais extraordinaire par sa longueur, d’Obama pour répondre à la sollicitation de McChrystal, au lieu de soulever un tollé comme ce devrait être le cas (il met objectivement en danger l’intervention occidentale et US, si l’on se place du point de vue de la logique des militaires), aurait plutôt comme effet d’accroître le trouble et l’indécision. Le cas Friedman est bien illustratif à cet égard, lui qui a mis près d’un mois et demi à se décider.

Obama est aidé – si l’on admet qu’Obama n’est pas un partisan “naturel” d’une intervention massive, ce qui est désormais acquis sinon il aurait approuvé depuis longtemps le plan McChrystal – par trois faits objectifs:

• L’argument de Friedman sur l’état intérieur des USA est généralement largement partagé, même par ceux qui sont pour l’engagement en Afghanistan. C’est un argument récurrent important. Si l’on considère que les USA portent en Afghanistan un engagement qui ouvre véritablement une nouvelle phase de la guerre, sinon une “nouvelle guerre”, alors c’est une première dans l’histoire des USA, qui ne se sont jamais engagés dans un conflit dans le cours d’une dynamique d’affaiblissement structurel déjà prononcé. (En 1941, au terme de la Grande Dépression, les USA étaient en crise économique, mais nullement affaiblis au niveau des infrastructures – revigorées par le New Deal – ni de la base industrielle, encore moins de la main d’œuvre à destination de la guerre. La guerre était vue comme une “sortie de la crise intérieure”, ce qu’elle fut; l’Afghanistan, c’est le contraire.)

• l’Afghanistan n’est pas la “guerre populaire” de l’establishment, mais une guerre par raccroc, conduite pour des raisons assez incertaines, au contraire de l’Irak (même si les raisons de la guerre contre l’Irak étaient fabriquées) .

• Vraiment, les forces armées US sont au bout de leurs capacités, et les renforts demandés par McChrystal vont découvrir dangereusement certains autres engagements. Cette évaluation est en cours aujourd’hui, en même temps qu’on effectue diverses évaluations concernant les demandes de McChrystal. Le Pentagone est en train de découvrir que l’engagement en Afghanistan risque de mettre en danger d’autres engagements US.

Tout cela introduit le poison de l’incertitude, du flottement et du désordre dans l’establishment face à l’engagement dans la guerre. Cela explique que les atermoiements d’Obama n’ont jusqu’ici, d’une façon qui pourrait paraître surprenante, suscité aucune réaction collective forte de l’establishment.


Mis en ligne le 30 octobre 2009 à 14H19