Finalement, ce serait plutôt le G2 1/2

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Finalement, ce serait plutôt le G2 1/2

30 juillet 2009 — C’était paraît-il l’Amérique de Joe Biden qui allait accueillir les Chinois lundi et mardi, l’Amérique qui va manipuler à sa guise la Russie réduite à merci (en l’avertissant de la chose), qui réussit tous ses complots et fait ce qu’elle veut, partout où elle veut, en réussissant des coups fameux (Irak, Afghanistan) derrière des faux-échecs camouflés en vraies déroutes. Dans cet état d’esprit, on peut considérer que la lecture du rapide commentaire de Robert Scheer, le 28 juillet 2009, sur Truthdig.com, est un excellent exercice pour rétablir l’esprit, ses neurones et son inspiration.

«What a hoot. The Chinese Communists invaded Washington on Monday demanding not that we sacrifice our freedoms but rather that we balance our budget. Creditors get to make that kind of call. And the Marxists of Beijing, who have turned out to be the world’s most prudent bankers, are worried about their assets invested in our banana republic.

»“China has a huge amount of investment in the United States, mainly in the form of Treasury bonds. We are concerned about the security of our financial assets” was the way China’s assistant finance minister put it. Briefing reporters at the U.S.-China Strategic and Economic Dialogue, he added, “We sincerely hope the U.S. fiscal deficit will be reduced, year after year.” Quite sincerely, one suspects, given a U.S. budget shortfall this year that is slated to reach $1.85 trillion.

»Suddenly, it was U.S. officials who were promising deep reform to their disgraced economic system rather than demanding it from incompetent foreigners. President Barack Obama’s economic team of Clinton-era holdovers, who a decade ago had hectored China on the virtues of fiscal responsibility, now were falling over themselves to reassure the Chinese that their $1.5 trillion stake in U.S. government-issued securities is safe, and that they should buy more at this week’s $200 billion Treasury auction. If they don’t, we’re in big trouble.

»U.S. Treasury Secretary Timothy Geithner promised to behave, saying the U.S. is “committed to taking the necessary measures to bring our fiscal deficits down to a more sustainable level once recovery is firmly established.” Now let’s hope that the Chinese Communists and their natural allies among congressional deficit hawks will be able to keep him to his word.»

Scheer rappelle justement que cette sorte de rencontre, où les USA se présentent en quémandeur, avec un «new conciliatory—nay, deferential—tone toward China», n’est pas une spécialité d'Obama, de la sorte que les conservateurs et républicains repprochent à Obama (voir notre Bloc-Notes de ce 30 juillet 2009, sur un commentaire de Jeffrey T. Kuhner, du Washington Times, le 25 juillet 2009). C’est Hank Paulson qui a inauguré la chose dans cette façon si voyante et humiliante, comme nous le rapportions le 5 décembre 2008, en présentant la visite du secrétaire US au trésor à Pékin. Il ne s’agit pas d’“une” politique (celle d’Obama en l’occurrence) mais d’une situation politique désormais confirmée.

Au reste, cette même humilité de fond est présente dans le commentaire, plus grave et moins sarcastique que Scheer, parfois même nettement inquiet, lorsqu’on élargit le spectre politique.

• Le Wall Street Journal, par exemple et bon exemple, le 29 juillet 2009, observe gravement combien les Chinois sont désormais des gens importants, qu’il importe d’écouter avec gravité et un certain respect… Egalement, avec une crainte certaine. Il suffit de lire les deux premières et la dernière phrases de l’édito.

«“We exercise our leadership best when we are listening,” President Obama said in April, when asked how his foreign policy differs from that of George W. Bush. Let’s hope that he and Congress were listening when Chinese officials visited the U.S. this week. […] The Chinese have economic problems of their own, but when they come visiting with a message of sound money and spending restraint, Americans ignore them at our peril.»

• Une source “neutre”, ou prétentée comme telle dans tous les cas? Reuters, par exemple, Simon Denyer le 29 juillet 2009. Là, pas d’explication technique, pas de théorie monétaire, – simplement un constat, – «… the balance of power is shifting.»

«It’s too early to tell whether President Barack Obama’s new approach to China will be more successful than his predecessor’s. But this week’s high-level dialogue in Washington underlined how the balance of power is shifting.

»The U.S. side, determined to be more respectful and less confrontational, tiptoed around the sensitive issue of China’s currency, avoiding any public appeal for an upwards revaluation in the yuan. There was a passing reference to the rights of China’s ethnic and religious minorities, but no sign the other side would take any more notice of foreign interference in its internal affairs than it has in the past.»

• Maintenant, un avis plus général, mais cantonnée à la seule économie. Il est de Hamish McRae, ce 29 juillet 2009 dans The Independent. Le titre nous dit tout: «The Chinese are our teachers now.» McRae observe que la Chine (et l’Inde également) a beaucoup mieux contrôlé son économie depuis que la crise a éclaté. Elle utilise mieux les règles du capitalisme débarrassé des folies ultra-libérales, avec une intervention du gouvernement extrêmement efficace. Sa capacité à réagir est supérieure à celle des pays anglo-saxons. Les effets se font sentir. («Now a bigger one: the Shanghai Stock Exchange has just passed Tokyo to become the second largest in the world after Wall Street in terms of the value of the companies traded on it – London is number four.»)

«The balance of power is shifting»

Bref, c’est du sérieux, et finalement rien de commun avec les éructations satisfaites de Joe Biden. A Washington, pendant deux jours, ce fut l’occasion d’une appréciation des puissances respectives, bien plus qu’une confrontation ou une coopération dans le sens d’une alliance, – selon les deux termes extrêmes de l’alternative que préfère l’américanisme. Les Chinois ne tiennent pas à la confrontation, non plus qu’ils n’entendent s’engager dans un système “à l’américaine”, avec la recherche d’une domination sous la forme d’un condominium.

Les Américains n’ont pas trouvé le partenaire qu’ils espéraient, tel que l’avait défini Zbigniew Brzezinski avec son idée de G2. Il semble même qu’ils n’aient même pas vraiment tenté, qu’ils se soient aussitôt trouvés eux-mêmes confrontés à un sentiment inattendu d’infériorité vis-à-vis de la Chine. Ce n’est pas le fait des Chinois, puisque ceux-ci ne sont pas intéressés par la confrontation, d’où sort en général ce sentiment d’infériorité chez l’un des “adversaires”. Au contraire, les Chinois sont restés dans leur registre habituel, d’une certaine impassibilité et d’une extrême courtoisie, cela n’excluant certes pas la fermeté du fond de la pensée. Les Américains ont perçu cette fermeté en même temps qu’ils ont mesuré leur faiblesse, – et ceci expliquant sans doute cela.

Reuters a donné comme titre à sa dépêche: «Obama handles China delicately.» Nous serions tentés de proposer la formule contraire: ce sont les Chinois qui ont “manié” les Américains avec délicatesse. Peut-être ont-ils deviné, parce qu’ils ont la finesse psychologique pour eux, qu’il n’y avait guère d’effort à faire, guère de pression à exercer, au contraire des habitudes américanistes dans l’autre sens, dans cette sorte de rapport mais dans des circonstances différentes, pour faire apparaître l’évidence de la position de faiblesse des USA.

Cela nous conduit au constat, qui est en même temps une confirmation, que les USA ont essuyé, ces huit derniers mois, un très rude coup, un si rude coup qu'il en est peut-être décisif, qu’ils seront sans doute psychologiquement incapables de s’en relever. Après les campagnes hystériques sur la “reprise” (les “green shoots”), la scandaleuse relance des banques, l’espèce de poussée massive semblant signifier que le système n’abandonnait rien et prétendait être restauré dans toute sa puissance hégémonique, la rencontre de cette semaine contribue à déchirer le voile. Sans réelle surprise, nous constatons que le roi est nu.

Les Américains, malgré leur américanisme dopé et prétendant renaître de ses cendres, ou à cause de cela peut-être, nous ont soudain montré combien leur système a été profondément dévasté par la crise. L’effet psychologique de la crise est lui-même absolument dévastateur, la psychologie enchaînant directement sur la catastrophe systémique. La rencontre avec la Chine est la référence extérieure qui met en lumière cette situation nouvelle, bien plus que divers événements précédents qui la laissaient déjà deviner. Alors qu’on a souvent tendance à juger de la crise d’un point de vue intérieur ou/et en s’en tenant au seul domaine économique, l’événement, avec sa référence extérieure massive qu’est la Chine, nous rappelle que la crise est aussi, qu’elle est même d’abord l’occasion d’un réarrangement tout aussi massif des positions des uns et des autres sur le plan le plus général (compris le politique, sans aucun doute). Dans ce cas, le principal fautif et le coupable fondamental en subit les effets de plein fouet.

«[T]he balance of power is shifting», écrit Reuters, et Scheer commence l’un de ses paragraphes de commentaire marquant la réalisation par les officiels US de leur position: »Suddenly...» La rapidité du processus psychologique de réalisation du phénomène est remarquable, justement alimenté paradoxalement par les affirmations virtualistes d’un “retour à la normale” qui aurait été un retour à la position dominante. Nous avons la conviction que, si les USA s’étaient montrés plus coopératifs ces derniers mois, si, par exemple, ils avaient accepté de commencer à envisager un changement du statut du dollar, ils auraient pu et pourraient évoluer d’une façon plus équilibrée et conserver plus de leur puissance fondamentale, et de leur puissance d’influence, que dans le cours maximaliste qu’ils ont choisi. Mais cette hypothèse est absurde. Les USA ne sont pas un système qui a la capacité de transiger, de s’adapter tactiquement, de concevoir des relations plus équilibrées qui lui feraient reconnaître la puissance d’autrui sans craindre de perdre dans cette démarche ce qui fait sa propre raison d’être. Les USA haïssent le concept de “concert des nations”, qu’ils parent d’une sorte d’appréciation maléfique remontant à l’angoisse et au ressentiment originels des premiers “pélerins” quittant l’Europe pour le Nouveau Monde. Par définition, ils sont seuls et/ou en position dominante, – ou ils ne sont pas, ou ils ne sont plus.


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