Espoir, désespoir & Tea Party

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Paul Craig Roberts est connu comme un des principaux commentateurs “dissidents”, conservateur venu d’une position ministérielle dans le cabinet Reagan et devenu un dénonciateur acharné et particulièrement pessimiste, sinon désespéré, de l’état actuel du système. Il l’était encore dans une chronique du 16 février 2010 de OnLine Journal, intitulée “L’Amérique devient un pays de serfs dirigé par une oligarchie”. Le 19 février 2010, changement notable de ton, en référence à la chronique citée, dans tous les cas pour un aspect de cette chronique (“les serfs” de l’Amérique).

D’abord son introduction, résumant son texte précédent:

«My February 16 column, A Country of Serfs Ruled By Oligarchs, received confirmation from high places on the very day it appeared. Popular Indiana Democratic U.S. Senator Evan Bayh announced that he was quitting the Senate.

»Yahoo News gave this account: “In an interview on MSNBC this morning, newly retiring Sen. Evan Bayh declared the American political system ‘dysfunctional,’ riddled with ‘brain-dead partisanship’ and permanent campaigning. Flatly denying any possibility that he’d seek the presidency or any other higher office, Bayh argued that the American people needed to deliver a ‘shock’ to Congress by voting incumbents out in mass and replacing them with people interested in reforming the process and governing for the good of the people, rather than deep-pocketed special-interest groups.” In short, Senator Bayh got tired of being a whore for the corporate lobbyists who rule the U.S.»

Puis quelque chose qui le fait changer d’avis…

»[But…] there are grounds for hope in the fact that some of the Tea Party people understand that Americans have been betrayed and abandoned by both parties.

»An unusual candidate has emerged for governor of Texas. Debra Medina is doing well with popular support without machine politics. She has an intriguing idea to abolish the property tax in Texas. Medina makes the valid point that the property tax is a permanent government lien on a person’s home. A person never owns his home even after the mortgage is paid off, because he has to continue paying government for the right to live in his home. […]

»The Texas Public Policy Foundation studied Medina’s proposal and concluded that a rise in the Texas sales tax from 8.25 percent to 8.8 percent would allow the property tax to be abolished as long as some untaxed services, such as mining services, drilling services, legal services, and limousine services were brought into the tax base.

»If Medina is a real representative of the people, she comprises a threat to the oligarchy. The oligarchy will go after her with every known dirty trick. Will Texans stand by her?»

Le 10 février 2010, Jack Dennis, du San Antonio Examiner, mettaient en évidence divers sondage. On y voit que Debra Medina, une infirmière qui semble sortie de la nébuleuse Tea Party et qui a reçu le soutien de l’association des indépendants du Texas (5 millions d’électeurs inscrits à cette association), a pris une place prépondérante dans la campagne électorale pour l’élection du gouverneur du Texas (en avril). On pourrait voir un deuxième tour de cette élection l’opposant contre le gouverneur sortant, le républicain Perry.

D’autres signes sont notables des mouvements fondamentaux en cours aujourd’hui aux USA. Il y a le cas du républicain Marco Rubio, qui est en course pour la désignation comme candidat républicain au Sénat pour novembre 2010, et qui est surnommé, à cause de ses accointances, “le premier sénateur potentiel de Tea Party”, – aussi bien qu’il est connu sous l’expression convenue de “rising star in conservative Republican circles”. Rubio reste prudent, affirmant que Tea Party n’est pas un parti, et, par conséquent, ne concurrence pas le parti républicain, mais l’esprit de la chose est dans tous les esprits.

Notre commentaire

@PAYANT Ces divers points remarquables montrent une évolution autour de Tea Party et dans la perception qu’on en a plutôt que ce qu’il est, – puisque personne ne sait ce qu’est exactement Tea Party. Il s’agit d’une évolution extrêmement rapide, directement connectée à la tension explosive régnant aujourd’hui aux USA autour des diverses opérations électorales de l’année. Cette évolution est remarquable sur deux points.

• Sans aucun doute, Tea Party n’est pas un parti, mais bien un mouvement et, encore plus, “une nébuleuse”. Il s’agit d’une situation ambiguë qui, au lieu de se réduire, ne cesse de s’accroître. Cela implique un trouble grandissant dans le parti républicain, le parti qui est naturellement le plus proche de Tea Party, – en principe, dans tous les cas. Les républicains ne savent toujours pas sur quel pied danser: faut-il tenter de phagocyter Tea Party, – mais la chose s’avère décidément difficile, notamment parce qu’il est impossible de “saisir”, d’identifier Tea Party, ses dirigeants, ses tendances, de façon précise… Comment phagocyter quelque chose qui n’est pas identifié ni mesuré exactement? Ou bien, Tea Party est bien un parti et, alors, il devient un concurrent mortel du parti républicain puisqu’il vise en priorité le même électorat. Les deux cas cités ci-dessus témoignent que cette incertitude est justifiée: une candidate gouverneur qui n’est d’aucun parti mais qui semble être diablement soutenue par Tea Party, un candidat sénateur républicain soutenu par Tea Party et qui proteste de sa loyauté républicaine… Le compte-rendu que le Washington Times fait, le 19 février 2010, de la première journée de la Conservative Political Action Conference (CPAC), où se trouvaient des républicains et des représentants de Tea Party, a confirmé ces différences («…the tenuous relationship among conservatives, tea party activists and the Republican Party establishment was also repeatedly on display.»).

• L’image et la réalité de Tea Party, dans la compétition électorale, semble s’éloigner de l’image xénophobe et raciste, très idéologisée, qu’on a voulu lui accoler. L’image du mouvement tend à devenir plus réformiste radical, plus franchement contestatrice de l’ordre du “parti unique” de Washington, plus populiste dans le sens très général courant aux USA. A première vue, une Medina n’a rien de commun avec une Palin. Le commentaire de Paul Craig Roberts, pourtant extrêmement prompt à pourfendre les oligarchies, adversaire acharné de tout ce qui peut rappeler la tendance neocon à laquelle Palin n’est pas étrangère, complètement distant des mouvements xénophobes classiques, est une autre indication dans ce sens.

Le moins qu’on puisse dire est que la situation est confuse et l’on voit confirmer l’idée, souvent exprimée, que si les démocrates sont en déroute, les républicains n’en profitent qu’en partie, qu’il y a chez eux une incertitude grandissante concernant Tea Party qu’ils voudraient évidemment annexer. De son côté, Tea Party conserve ses caractères de désordre, de mouvement insaisissable, que nombre de commentateurs lui reprochent comme une faiblesse insurmontable, et qu’on peut, qu’on doit aussi bien voir, dans la situation actuelle, comme une vertu évidente. Aujourd’hui, la seule force efficace contre l’ordre du système, si prompt et si doué dans l’art de la récupération, c’est bien évidemment le désordre, insaisissable par essence.

Les situations détaillées ci-dessus montrent qu’on est désormais entré dans les choses sérieuses avec cette année électorale. L’intérêt de la situation est évidemment dans l’état du système, qui est absolument aux abois. L’air triomphant que se donne parfois le parti républicain n’est qu’une façade, permise, par effets relatifs, par l’incroyable déroute psychologique du tout-puissant parti démocrate. Ce parti, qui semble se dissoudre de lui-même, comme miné par sa propre impuissance à s’affirmer, à utiliser sa force dans le sens qu’attendent ses électeurs, encore plus prisonnier que les autres des forces oligarchiques contre lesquelles, par le sentiment de ses électeurs, il a bâti toute sa puissance ces trois dernières années.

Là-dedans, Tea Party est comme un poisson dans l’eau, et bien malin qui dira s’il s’agit d’une carpe ou d’un requin, avec aussitôt le constat que cette imprécision d’identité est justement ce qui fait sa force. Qui ne pourrait comprendre également que cette force est potentiellement, non celle de Tea Party mais celle d’un mouvement populiste qui dépasserait largement Tea Party et s’exprimerait dans une tendance populiste classique avec des éléments de toutes les origines politiques, à droite et à gauche, – mais “tendance classique” qui ne s’est jamais trouvée dans une situation où l’oligarchie qu’elle attaque est aussi désunie, aussi incertaine, aussi inconséquente et décadente. Dans tout cela, nulle stratégie, nulle tactique électorale, car la situation, si elle s’y ébat effectivement, dépasse largement le seul fait électoral de 2010 et caractérise le cadre immense de la crise générale du système et des Etats-Unis d'Amérique en tant que tels. Comme d’habitude, toute prévision est inutile, et seul surnage le constat que le système en crise se vide de sa substance. Simplement rappellera-t-on, sans originalité excessive, que la politique, comme la nature, a horreur du vide.


Mis en ligne le 20 février 2010 à 06H54