En attendant l’Arabie…

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Nous choisissons deux textes de commentaire sur la situation de ce que nous désignons comme la “chaîne crisique”, qui décrit la situation en Egypte, en Libye, au Moyen-Orient, la situation du cours du prix du pétrole, la situation de l’évaluation stratégique, la situation de la civilisation américaniste-occidentaliste, etc., – tout cela en même temps. En effet, les événements ont, aujourd'hui, de cette densité-là...

• Le 23 février 2011, le New York Times a publié un article sur la situation stratégique au Moyen-Orient, principalement autour des positions respectives, perçues comme antagonistes, de l’Iran et de l’Arabie Saoudite. La prospective est sombre, – ce qualificatif employé en référence à la position habituelle du quotidien qui n’aime guère l’Iran puisque le gouvernement et l’establishment washingtoniens n’aiment guère l’Iran. Tous les experts consultés vont dans le même sens, ce qui n’a rien pour étonner (les experts chantent toujours sur le même registre, – qui est parfois le bon, comme dans ce cas). La “victoire” de l’Iran est d’ores et déjà proclamée.

«“I think the Saudis are worried that they’re encircled — Iraq, Syria, Lebanon; Yemen is unstable; Bahrain is very uncertain,” said Alireza Nader, an expert in international affairs with the RAND Corporation. “They worry that the region is ripe for Iranian exploitation. Iran has shown that it is very capable of taking advantage of regional instability.”

»“Iran is the big winner here,” said a regional adviser to the United States government who spoke on the condition of anonymity because he was not authorized to speak to reporters. […]

» “If these ‘pro-American’ Arab political orders currently being challenged by significant protest movements become at all more representative of their populations, they will for sure become less enthusiastic about strategic cooperation with the United States,” Flynt Leverett and Hillary Mann Leverett, former National Security Council staff members, wrote in an e-mail.

»They added that at the moment, Iran’s leaders saw that “the regional balance is shifting, in potentially decisive ways, against their American adversary and in favor of the Islamic Republic.” Iran’s standing is stronger in spite of its challenges at home, with a troubled economy, high unemployment and a determined political opposition.

»The United States may also face challenges in pressing its case against Iran’s nuclear programs, some experts asserted. “Recent events have also taken the focus away from Iran’s nuclear program and may make regional and international consensus on sanctions even harder to achieve,” Mr. Nader said. Iran’s growing confidence is based on a gradual realignment that began with the aftershocks of the Sept. 11 attacks. By ousting the Taliban in Afghanistan, and then Saddam Hussein in Iraq, the United States removed two of Iran’s regional enemies who worked to contain its ambitions. Today, Iran is a major player in both nations, an unintended consequence.

»Iran demonstrated its emboldened attitude this year in Lebanon when its ally, Hezbollah, forced the collapse of the pro-Western government of Saad Hariri. Mr. Hariri was replaced with a prime minister backed by Hezbollah, a bold move that analysts say was undertaken with Iran’s support.

» “Iraq and Lebanon are now in Iran’s sphere of influence with groups that have been supported by the hard-liners for decades,” said Muhammad Sahimi, an Iran expert in Los Angeles who frequently writes about Iranian politics. “Iran is a major player in Afghanistan. Any regime that eventually emerges in Egypt will not be as hostile to Hamas as Mubarak was, and Hamas has been supported by Iran. That may help Iran to increase its influence there even more.”»

• Deux jours plus tard, ce 25 février 2011, The Independent élargit la perspective. Les événements l’y invitent : en deux jours, la crise libyenne est devenue un chaos sanglant et le prix du baril de pétrole s’est évidemment envolé puisque la Libye exporte du pétrole. Tous les experts auront noté que ce prix a touché les $120 hier 24 février, pour la première fois depuis la crise de mai-juillet 2008 qui précéda l’effondrement financier du 15 septembre 2008. L’éditorial du quotidien londonien appuie son argument sur le “pacte faustien” de l’Ouest avec ces pays arabes qui ont aujourd’hui bien mauvaise réputation, – l’Arabie Saoudite en tête ; le “pacte faustien” porte évidemment sur le pétrole, sur lequel repose toute notre économie et qui s’avère dépendre effectivement de pays iniques, fragiles et en cours d’effondrement ou menacés dans ce sens. Le lien entre la Libye et l’Arabie est ainsi fait, et la catastrophe pour la clique américaniste-occidentaliste n’a dans ce cas pas besoin de l’épouvantail iranien pour figurer dans la perspective.

«The price of oil is surging. At one point yesterday, the price of a barrel of crude touched $120 – its highest level since 2008. The commodities trading markets are telling the world something it should have grasped long ago: that the global economy is disastrously over-reliant on energy from the most unstable of regions.

»The violent chaos in Libya is the proximate cause of the market jitters. The revolutions in Tunisia and Egypt did not alarm oil traders, but Libya is a significant oil exporter. As Colonel Muammar Gaddafi's regime has imploded, the pumps have stopped. Output has fallen by three-quarters. And when the supply of any commodity suddenly falls, its price generally rises.

»The markets are also casting wary eyes in the direction of Saudi Arabia, the world's biggest oil exporter. This week, King Abdullah promised a £22bn financial relief package for his subjects. This is plainly an attempt to pre-empt the outbreak of popular protests occurring in his country of the sort that have been witnessed across the region. The Saudi Arabian oil minister is also suggesting that his country could increase production to make up for the shortfall from Libya.

»But the situation is not under the Saudi regime's control. A month ago, Hosni Mubarak in Egypt and Muammar Gaddafi in Libya looked entirely secure. Now the first has been forced to resign and the sun has almost set on the regime of the second (although there is no telling how much damage Gaddafi could do on the way out). Anyone who asserts that the same could not happen in Saudi Arabia has few grounds for their confidence. King Abdullah certainly has more resources with which to buy off discontent, but it is impossible to say how effective this will be. When people have the scent of freedom in their nostrils, they can be impossible to deter. The markets certainly understand this.

»The knock-on effects of a spike in oil prices threaten to be painful...»

D’un côté, on observera qu’il y a dans ces divers commentaires un air de déjà vu. L’Arabie Saoudite est un acteur central des supputations stratégiques, et un acteur central fragile, depuis l’embargo pétrolier d’octobre 1973, l’assassinat du roi Fayçal (1975), l’attaque de la grande mosquée de La Mecque (1979). L’Iran est le “méchant” de la pièce, au moins depuis 1978-1979 (révolution islamique), – sans oublier que les ambitions du Shah avant sa chute, jouant l’extrémiste du prix du pétrole (à partir de 1973) contre l’attitude en apparence “modérée” des Saoudiens, dessinaient déjà ce destin. Par conséquent, on serait tenté d’observer que l’instabilité qui nous est exposée avec les deux articles sur la fragilité saoudienne et les ambitions iraniennes a montré, depuis trente ans, une surprenante stabilité.

…Mais l’on resterait court, avec une telle observation qui réduit le champ du regard à la seule occurrence régionale. Le propos de The Independent nous invite à voir plus large, tout comme les événements d’ailleurs puisque l’affaire libyenne et la question du prix du pétrole ont pris le devant de la scène de notre perception durant ce laps de temps considérable (deux jours). Il nous y invite d’autant plus qu’il nous parle de l’“or noir” et du “pacte faustien” passé avec les pays pétroliers, à cause de notre dépendance du pétrole. Cela nous amène, – nous, à dedefensa.org, – à la thèse métahistorique de La grâce de l’Histoire dont l’un des piliers est “le choix du feu” ; il s'agit de ce processus thermodynamique dirigeant les moyens de notre “économie de force”, et dont le pétrole est évidemment l’aliment central, comme l’on dirait d’un sang noir irriguant ce monstrueux organisme fait de puissance incontrôlée que représente aujourd’hui “le Système” (notre civilisation américaniste-occidentaliste). Ainsi la perception, qu’on pourrait juger effectivement excessive, rejoint-elle la vérité profonde en se justifiant à mesure.

Ce que nous nommons “la chaîne crisique” (les événements en cours, si rapides) est effectivement en train de s’intégrer dans la “structure crisique” des crises chroniques depuis des décennies (l’Arabie Saoudite et l’Iran, le pétrole et son prix à payer, etc.) pour renforcer peut-être d’une façon décisive, – sans guère de doute, de notre point de vue, – le potentiel explosif de la situation. Chaîne crisique intégrée dans la structure crisique, et nous sommes bien dans ce “temps crisique” qui définit notre situation générale actuelle. La dimension universelle de la succession d’événements commencés avec la Tunisie en décembre dernier n’est plus à démontrer, tout juste s’agit-il d’acter la chose. Les experts et notre perception y aident puissamment, et les péripéties de la chaîne crisique tracent un chemin convenue à la crise générale en pleine expansion (contraction du temps, expansion de la crise), en annonçant les étapes successives comme si notre destin était écrit dans le sable. Il est assez logique, effectivement, de regarder du côté de l’Arabie Saoudite, comme la prochaine étape de la chose, – comme, il y a un mois, nous attendions avec une unanimité remarquable que quelque chose se passât du côté de l’Egypte.

A en juger par l’effet du chaos libyen sur le prix du pétrole et sur notre perception qui renvoie à une psychologie exacerbée, et que nous serions tentée de qualifier de “crisique” elle aussi, le choc saoudien sera rude pour notre Système. Il ne sera plus question alors de savoir si l’Iran devient dominateur au Moyen-Orient et si le prix du baril dépasse ou non les $120, ou les $150. Il sera question d’observer, d’ailleurs d’une façon qui devient banale, que nous nous sommes un peu plus rapprochés du cœur de la crise du Système. Toute cette affaire n’est plus entre nos mains, à nous les sapiens, et nous devons nous contenter de notre rôle – des “spectateurs impuissants” ou des “observateur privilégiés”, c’est selon, et selon notre humeur par rapport à la chose.


Mis en ligne le 25 février 2011 à 06H51

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