Du racisme à la révolution

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Du racisme à la révolution

Il y a eu encore, ce week-end, de grandes manifestations dans diverses villes des États-Unis, notamment à New York. (Voir Sputnik.News, le 14 décembre 2014. Voir également les films vidéos de Russia Today, le 14 décembre 2014.). L’affluence a été considérable et les cortèges et rassemblements ont souvent pris un tour désordonné, – on veut dire, hors des parcours balisés par les autorités, – avec des signes de solidarité de la part de non-participants aux manifestations. Cet ensemble de faits assez inhabituels aux USA, où les protestations sont très encadrées, très “sectorisées”, pour les maintenir dans le seul domaine cloisonné initial qui les justifie, signale que ce mouvement a un potentiel plus général incluant une orientation qui pourrait devenir antiSystème. C’est de ce cas que nous parlions, le 11 décembre 2014, en détaillant l’enjeu principal de cet événement, qui va au cœur de ce qui pourrait devenir une menace pour le Système...

«Une thèse à ce propos est développée Michael Thomas, sur “Infowars.com”, le 8 décembre 2014, selon laquelle l'administration Obama favorise une “guerre raciale” aux USA. La thèse est substantivée par l’attitude durant les événements de Ferguson & Cie de l’administration, ambiguë, contradictoire, etc., avec une affirmation que la division raciale aux dépens des Africains-Américains se poursuit. [...] [...I]l y a surtout celui qu’en favorisant la “guerre raciale”, c’est-à-dire en opposant blancs et noirs, on écarte le spectre de la “guerre des classes” (les pauvres [99%] contre les riches [1‰])... [...]

»Il est incontestable que, de tous temps, la véritable défense de l’oligarchie US a été la division raciale, empêchant l’union des Noirs, à la condition sociale désastreuse en plus de la condition raciale (les conditions raciales devenant un aspect de leur condition sociale), et d’autre part les “petits blancs” du XIXème siècle qui sont réapparus en masse avec la crise, qui forment aujourd’hui une masse importante des 99%. Mais cette tactique de division, aujourd’hui, est aussi désespérée que la situation US elle-même. Il y a eu très peu de “réaction blanche” anti-noire aux premiers incidents très marqués racialement, et les manifestations sur tout le territoire US qui ont suivi étaient largement interraciales, et de plus en plus centrés sur l’opposition à un “pouvoir policier” perçu comme un bouclier du pouvoir-Système (les 1%)...»

Il est remarquable que le texte de Thomas ait été repris par infowars.com, site clairement de droite et populiste, alors qu’on aurait pu penser que ce site s’abstienne au moins de se montrer favorable à une protestation des Noirs que cette droite populiste ne porte guère dans son cœur. Mais, justement, il y a ces conditions qu’on évoque plus haut d’un point de vue historique, qui pourraient conduire à un basculement où les querelles intra-communautaires qui font le jeu du pouvoir s’effacent devant une possibilité d’union antiSystème. (Pendant ce temps, l’argument du racisme [du suprématisme] dans la police et dans la justice US est utile pour la pérennisation de la tenson, qui est l’objectif antiSystème à favoriser. Sa résolution est impossible selon le tour de passe-passe habituel de l’américanisme et de la modernité, qui est la politique des quotas. On ne peut mettre le travail de police et celui de la justice en quotas parce que le crime et l’illégalité ne sont pas des activités régies par des quotas, parce qu’il s’agit d’activités par définition hors du cadre législatif du Système et contre lui. La revendication qui semblerait largement fondée du point de vue de l’appréciation du racisme-suprématisme de la police et de la justice US est absolument indémontrable et donc non-amendable dans le cadre du Système et restera donc une contestation et une source de tension sans solution.)

L’argument de Thomas, c’est le thème que développe Dave Alpert, psychologue travaillant dans les communautés défavorisés, notamment africaine-américaine dont il fait partie, dans un texte du 9 décembre 2014 sur Intrepid Report. Lui aussi, Alpert, plaide pour la transformation du mouvement, de l’antiracisme et l’anti-violences policières, à quelque chose de plus révolutionnaire (titre de son article : «Is it time for a revolution?»). Alpert observe d ‘abord la résilience du mouvement, sa durée, son souffle si l’on veut ... «There is hope that the people of this country are finally rebelling against the corruption in our economic and political systems. The murder of Michael Brown in Ferguson, Missouri, ignited a community to action. They demanded nothing more than justice and predictably did not get it. What was not predictable was the expansion of the rebellion beyond Michael Brown and Ferguson. It is now a national rebellion demanding that we, as a society, deal with the ramifications of racism. People from coast to coast are taking to the streets and highways and saying, no more business as usual until we deal with and resolve the issue of racism in this country...»

... Puis, après la description des conditions qui ont organisé et formé cette résilience somme toute inattendue par rapport à l’attentisme de la population de ces dernières années, il passe à l’essentiel de son propos, qui concerne effectivement le rapprochement entre les communautés, particulièrement entre Blancs et Noirs. Le ton est nettement de gauche, mais il rejoint, dans ses objectifs, l’argumentation citées plus haut, qui était, elle, nettement de droite.

«What has been very heartening are the large number of white men and women joining the action and participating in civil disobedience. It is time to recognize that the white working class has more in common with the black working class than they do with the white managerial class.

»The power elite will not sit idly and allow the merging of these two forces. They have invested a great deal, historically, in maintaining a competitiveness and separation between the white, black, and Latino workers. The greatest threat to their economic and political dominance is the merging of the working class to demand living wages, affordable housing, health care for all, etc. That is why it’s important to recognize that the struggle for an increased minimum wage runs parallel to the goals of the groups fighting to end police brutality... [...]

»The two struggles that are going on at this moment, minimum wage and police brutality, have opened the door for all of us. We can join them and take to the streets and insist there will be no business as usual until we’re heard and changes are made in the way things are done. It will not be easy or quick but the door is now open. Just look at how the last week has prompted all sorts of meetings among those in power. They’re very concerned but they will attempt to put Band-Aids on the bleeding and ultimately everything will remain the same for the 90%.

»Workers World reports, “The fighting, angry spirit of the people of Ferguson, Mo., following the decision not to prosecute racist killer-cop Darren Wilson for the murder of Michael Brown seems to have carried into many of the more than 2,250 reported strikes at Walmart stores around the United States from Nov. 26 through Nov. 28, ‘Black Friday.’ “Originally planned as a one-day strike at some 1,600 Walmart stores, the action turned into three days of sit-downs and other protests. “The Boycott Black Friday or #BlackoutBlackFriday movement in solidarity with Ferguson and against racism coincided with the largest strike yet against the giant retailer and its poverty wages. In several locations, the protests merged as participants rallied in solidarity with both struggles.”

»The Occupy Movement was a great beginning but, other than highlighting the true enemy of the people (Wall Street), it had little direction. Today, we have several organizations coordinating their efforts nationally with specific goals. The most important variable in creating change is to organize into a united front. They have the money but we have the people. As you can see in the mainstream media, they cannot ignore what is happening. The demonstrations go beyond the casual marching in a space designated by the police, singing, chanting, carrying signs. The people are taking direct action and making it difficult to carry on and not notice their presence. They are blocking traffic on highways, interrupting the Macy’s Day Parade, leaving their schools and businesses and going into the streets...»

Les événements depuis août dernier et la mort du jeune Michael Brown s’affinent en se développant, déroulant une signification de plus en plus complexe sans provoquer le moindre frein efficace paradoxalement à cause de l’absence d’événements importants ou graves dans le champ des réactions et des protestations, notamment des morts dans les manifestations. (La communication constitue l’essentiel de l’effet des réactions, montrant une fois de plus son importance essentielle dans la marche des évènements, voire la création des événements.). Ce qui caractérise la période, bien entendu, c’est la résilience du mouvement, sa relance permanente, si bien que l’on juge de plus en plus renforcée la thèse selon laquelle derrière les arguments du racisme et de la militarisation de la police, qui subsistent bien entendu, se manifeste un mécontentement beaucoup plus profond qui transcende les seules questions de race, de communauté, des excès de la police et du parti-pris de la justice. Cette remarque s’impose, simplement parce que l’observation de l’évidence l’impose, parce que la crise est si profonde aux USA, depuis des années, et en constante aggravation, qu’elle ne peut pas ne pas avoir introduit un soubassement puissant de mécontentement universel. La production de narrative a beau être à son maximum dans tout ce qui est presse-Système et communication, elle semble bien ne plus pouvoir parvenir à voiler la profondeur abyssale de cette crise avec ses effets, tout comme les milliers de billets de banque fabriqués dans le mode faux-monnayeur par la Federal Reserve n’ont pas réussi une seule seconde à bloquer la vertigineuse courbe de l’inégalité exponentielle qui mine l’économie et l’équilibre social de l’ensemble américaniste.

Par conséquent, la thèse d’Alpert, venue en même temps que celle de Thomas à un autre bout de l’échiquier politique, présente dans nombre d’esprits de dissidents divers et nourrissant la panique immémoriale des dirigeants-Système, cette thèse a pour elle bien des arguments du sens commun et de la logique humaine. Cela est d’autant plus acceptable que plus aucun homme politique n’est aujourd’hui capable d’assumer, ou de prendre en charge, ou de récupérer ce mouvement, tant le monde politique traîne un discrédit tout aussi abyssal et se trouve emprisonné dans son impuissance et sa paralysie. Le rôle à la fois effacé et opportuniste d’Obama, jouant alternativement l’argument du respect de la loi et l’argument de la justice pour ses “frères de couleur” est cousu de très gros fil blanc (qu’on nous pardonne pour la couleur, mais “cousu de fil noir” ne ferait pas l’affaire). Obama trône aujourd’hui, parfait irresponsable, observant la division et la détresse de l’Amérique en s’indignant le premier, – “mais cette situation est inacceptable”, – comme s’il était candidat potentiel pour 2016 plutôt que président depuis 2008 ... Au reste, on observera, justement, que les candidats potentiels de 2016 la font plutôt dans le mélodie murmurante en sous-sol, s’abstenant et de prendre position, et de tout commentaire marquant, parce qu’ils ont tous autant besoin du respect de la loi et de l’ordre du Système que des votes des citoyens, de quelque couleur qu’ils soient.

En un sens, le jeu est ouvert. C’est aux citoyens des États-Unis d’Amérique de faire, s’ils en ont l’esprit, l’endurance et la force. Le monde politique n’existe plus aux États-Unis, qui fonctionne en mode de pilotage automatique, avec le Système aux commandes. Peu importe ici la cause à attendre, – racisme-suprématisme, militarisation de la police, misère et souffrances économiques ; les USA sont aujourd’hui un corps immense, bourrés de toxines destructrices et prédatrices, qui s’agite dans tous les sens pour s’en débarrasser, cherchant une issue quelconque de libération comme font les vraies toxines... Le racisme ou les violences policières sont les symptômes de cette pressions des toxines et certains esprits commencent à estimer qu’une “révolution” (terme vague recouvrant nombre de possibilités de désordres antiSystème) peut faire l’affaire pour servir de sas d’évacuation de ces toxines. Certes, le Système, qui est d’abord la symptôme d’une pathologie mortelle, peut être considéré d’un point de vue médical et appeler, et bientôt exiger comme issue une thérapie radicale.


Mis en ligne le 15 décembre 2014 à 05H47