Désormais sans eux

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S’appuyant sur son jugement de l’importance peut-être décisive de l’action des pays européens, Anatole Kaletsky, commentateur du Times, signe, dans son commentaire du 13 octobre, ce qu’on perçoit aussitôt comme l’acte de décès de l’influence US prépondérante en matière de finance et d’économie. En d’autres termes, ce serait la fin de l’ère de Bretton Woods.

«Since the creation of the Bretton Woods monetary system in 1944 every global financial initiative of any significance has been devised, led and co-ordinated by the US Government. This US leadership did not mean that America always got its way in financial affairs — nor that US co-ordination always succeeded, as exemplified by the breakdown of Bretton Woods in 1971. But it did mean that international financial initiatives were never attempted until ideas and the leadership came from Washington. The sole exception to this rule in the past 30 years was the creation of the euro; but this was viewed in Washington as an intra-European affair with limited global consequences.

»The present global banking crisis has been a very different matter, since it originates in the US itself. Even a few weeks ago a solution without US leadership would have been inconceivable. In the past few days, however, the failure of the Bush Administration to follow through in any concrete way on the $700 billion “Paulson package” that it rammed so painfully through the Congress, has focused attention on Washington’s vacuum of leadership and ideas. Aghast at the dithering incompetence of the US in handling this crisis, European politicians have realised that Henry Paulson, the supposedly brilliant US Treasury Secretary, was an emperor with no clothes. Instead of waiting for US leadership, they had to take responsibility for Europe’s problems. In trying to do this, they have found an unlikely intellectual guide and champion: the British Treasury and Gordon Brown.»

Cette perception d’une déroute US durant la crise financière a déjà été très affirmée au long des dernières semaines. Kaletsky apporte une dimension supplémentaire, plus technique certes mais qui installe indirectement une puissante dimension historique. Il est vrai que la conférence de Bretton Woods, qui met en place le système par le moyen duquel les USA assurent (ont assuré) leur prédominance est par définition la pièce maîtresse de l’époque. Suggérer son terme, c’est constater une accélération décisive du déclin de la puissance US.

Le constat de Kaletsky est d’autant plus significatif qu’il n’est pas isolé mais corrélatif à deux autres événements majeurs renforcés par un troisième plus spécifique.

• D’une part, ce déclin est directement lié à une affirmation, dans le même domaine, des directions politiques européennes. Les nations européennes n’ont pas agi d’une façon intégrée, en tant que partie d’une entité nommée “Europe”, mais d’une façon efficace en tant qu’entités souveraines se coordonnant dans leur cadre commun européen, et en fonction des spécificités de ce cadre. Les pays européens ont montré qu’ils pouvaient assurer dans ces conditions une action collective. La relation est faite entre les deux événements. La solidarité transatlantique, imposée par les USA pour conforter leur hégémonie, est rompue aux dépens de ces mêmes USA.

• D’autre part, la position déclinante des USA est liée également à un retour massif de l’interventionnisme de la puissance publique, qui est une défaite majeure du capitalisme US du “laisser faire”. Cette similitude est un événement remarquable parce qu’il confirme la responsabilité majeure et prépondérante des USA dans la situation catastrophique qui s’est installée depuis quelques semaines et quelques mois, et qui a été préparée par des années de dérégulation et d'abdication du pouvoir politique. Kaletsky lie directement la cause et la conséquence d’une phase importante du déclin US.

• Un troisième événement intéressant «…unlikely intellectual guide and champion: the British Treasury and Gordon Brown». Il est vrai que les Britanniques ont techniquement et chronologiquement inspiré les autres pays européens par leur plan d’urgence. Ils l’ont fait non pour ce but d’affirmation mais parce qu’ils étaient les plus menacés, au travers du sort de la City et du choix fait depuis des années de suivre la voie US («[T]he bankruptcy of the City also represents the bankruptcy of New Labour economics, which has been based to an unhealthy degree on a desire to ape the go-getting, deal-making culture of the United States», selon le Guardian du 9 octobre). Leur leadership en l’occurrence n’est pas conquérant. Pourtant, c’est cette action décisive qui est une des clefs de la dynamique des pays européens dans ce cas, et de la mécanique qui renforce fortement le détachement de ces pays du leadership américaniste. Que les Britanniques soient le détonateur de cet événement nous rappelle que les choses ne sont jamais tout à fait simples avec les Britanniques.

Il s’agit d’une situation nouvelle, très inédite, à la mesure de la puissance de la crise. Qu’est-ce qu’en feront les uns et les autres? L’affaire est passionnante, en attendant la perspective d’un Bretton Woods-II.

Mis en ligne le 14 octobre 2008 à 06H01