De Wall Street à l’ONU

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De Wall Street à l’ONU

26 septembre 2008 — Il est vrai que la session annuelle de l’ONU a paru bien pâle, en sensation médiatique et en importance des événements, à côté des événements de la crise financière puis politique courant de Wall Street à Washington. Il n’en reste pas moins que la chose a, justement à cause des liens qu’on peut établir avec la crise de Wall Street-Washington, une importance complémentaire très intéressante. Effectivement, cette crise de Wall Street-Washington fut extraordinairement présente à la tribune des Nations-Unies, ce qui montre certes que les speechwriters se sont adaptés aux circonstances avec brio, mais surtout que les circonstances étaient irrésistibles.

Par exemple, le Times de Londres (ce 25 septembre), comme toujours qualifié par nos soins de “peu suspect d’anti-américanisme” pour faire mesurer sa présentation par contraste, glose sur cette présence écrasante de la crise US et de la crise du capitalisme à la tribune de l’ONU. Le “capitalisme US” est en procès, si pas d’ores et déjà condamné.

«As the US sought to find a way out of the financial crisis, its critics at the United Nations were gloating over what they described as the crumbling of US capitalism.

»Miguel D’Escoto Brockmann, the former Sandinista revolutionary in Nicaragua who is now serving as president of the UN 192-nation General Assembly, broke with protocol in his opening speech to denounce the “unbridled greed and irresponsibility of the powerful.” “More than half the world’s people languish in hunger and poverty while more and more money is spent on weapons, war, luxuries and totally superfluous and unnecessary things,” he said.

»Cristina Kirchner, Argentina’s Pernonist president, said the world could no longer talk of the “Tequila Effect” or “Caipirinha Effect” emanating from developing nations such as Mexico or Brazil. “Now we should talk about the ’Jazz Effect’ coming from the centre of the world’s leading economy,” she said. President Mahmoud Ahmadinejad of Iran, meanwhile, baldly proclaimed: “The American Empire is reaching the end of the road.”

»Even friends of the United States took aim at greed on Wall Street. “We must not allow the burden of the boundless greed of a few to be shouldered by all,” President Luiz Inacio Lula da Silva of Brazil told the assembly.»

Autre commentaire à retenir pour entretenir notre propos, celui de Pépé Escobar, qui décrit également le lien entre l’ONU et Wall Street, sur Atimes.com du 26 septembre. Il le place dans un contexte plus large, qui est celui de la transformation du monde vers un ensemble multipolaire, d'autant plus évidente et accélérée à cette occasion que l’unipolarité essuie un coup terrible avec la crise du système financier US.

«The George W Bush administration's US$700 billion no-accountability scheme, globally, informally dubbed “cash for trash”, is making all the headlines. Simultaneously, there's the small matter of the United Nations General Assembly sanctioning the troubled birth of a new, multipolar world. As a 21st-century counterpart to the Dadaist Manifesto, this chain of events is priceless.

»One just had to listen to the speeches. Brazilian President Lula da Silva passionately expounded the new political, economic and commercial geography of the multipolar world. He praised the Union of Latin American Nations (UNASUR) – the first treaty uniting all South American nations in 200 years. He blast supranational economic institutions that now have no authority – and no policies – to prevent “speculative anarchy”.

»French President Nicolas Sarkozy correctly described the Wall Street meltdown as the biggest crisis since the 1930s. He is proposing to “rebuild” capitalism – in fact, in his original French, to “moralize” capitalism, not subjected to wily market operators, with banks financing development and not engaging in speculation, and with firm control of credit agencies. Sarkozy described speculators as “the new terrorists”. US Republicans of course call Sarkozy's plan socialism – as if the Ben Bernanke-Hank Paulson bailout scheme was not no-holds-barred socialism for the wealthy.

»UN general secretary Ban Ki-moon urged the democratization of the UN. This would mean in practice a new International Monetary Fund and a new World Bank - both still controlled by the US and Western Europe.»

Les langues se délient

Bien sûr, nous ne pouvons rater l’essentiel qui est ici à répartir sur deux points que nous prendrons comme autant de confirmations. La session de l’ONU a été intéressante dans cette mesure où elle a constitué une sorte de commentaire de deux événements considérables.

• Un commentaire direct d’abord, de cet événement que nous avons désigné comme la mort du diktat de l’idéologie néolibérale. Le déchaînement a été remarquable, contre ce système de la cupidité aveugle, du creusement stupide des inégalités, de la déstabilisation et de la déstructuration érigées en règlement général de la civilisation. Ainsi qualifie-t-on aujourd’hui, à la tribune des Nations-Unies et sans soulever la moindre protestation, le système qui, il y a seulement treize mois, avant les premiers signes spectaculaires de la crise, au Royaume-Uni en août 2007, bénéficiait d’un enthousiasme absolument terroriste, d’une approbation qui sonnait comme une consigne sans réplique. L’évolution est effectivement remarquable, à mesure, après tout, de la force de l’ébranlement auquel nous assistons.

Le calendrier fait donc bien les choses, ou bien est-ce le deus ex machina des crises en cours. L’explosion de Wall Street enchaînant sur le chaos de Washington a reçu aussitôt la confirmation officielle de son importance essentielle dans la plus pompeuse des assemblées mondiales. Il est acté aujourd’hui qu’il est presque de bon ton de mettre en cause le dogme, pour un peu cela deviendrait une sorte de mode, presque un conformisme. (Il faut noter que la chose se voit au niveau des hommes politiques en charge des exécutifs, beaucoup moins au niveau des institutions internationales, encore moins bien sûr au niveau US. C’est là une source désormais assurée de tensions, alors que n’existe plus, effectivement, le diktat qui exerçait sa dictature sur les esprits.)

• Un commentaire indirect ensuite, sur la connexion impérative entre les différents “soubresauts” de la crise centrale. Le monstrueuse “crise sectorielle” de Wall Street suivie du chaos washingtonien qui se poursuit ne peuvent être cadenassés derrière l’étiquetage des affaires intérieures. Les USA le voudraient bien, ils vivent d’ailleurs ces événements de cette façon, avec cet autisme, cet isolationnisme psychologique qui ont toujours été dans leurs traits caractéristiques. Cette attitude qui semblait auparavant être l’apanage d’une puissance sans exemple et sans besoin d’aide extérieure n’a plus aucun crédit ni le moindre effet; on dirait même qu’elle est contre-productive, qu’elle aggrave l’acte d’accusation porté contre les USA.

La “crise sectorielle” du système financier US avec son enchaînement de la “crise sectorielle” du pouvoir politique à Washington constitue donc une cause mondiale. Le monde globalisé le veut ainsi, c’est donc la pression américaniste qui a engendré le monde globalisé qui l’a voulu ainsi. Le monde parlant à la tribune de l’ONU a commenté directement et sans prendre de gants la crise intérieure de l’américanisme, pour en dénoncer les causes, elles aussi américanistes, sans la moindre gêne, sans une seule seconde songer que cela aurait pu être considéré comme une ingérence intérieure, que cela aurait été exactement cela in illo tempore.

La plaidoirie revient aussitôt, comme le montre Escobar, à imposer cette nouvelle réalité du monde multipolaire, celle que plaide Moscou depuis la crise géorgienne. (Et celle qu’admettent d’autres dont, ô surprise, les Allemands.) Plus encore, c’est une situation de monde multipolaire où l’un des pôles, celui qui prétendait être le seul pôle de puissance du monde l’instant d’auparavant, est violemment mis en accusation.

Le décloisonnement est réalisé entre les deux crises (financière et géopolitique, celle du système économique et celle du système des relations internationales) et le verdict est sans appel. Contrairement aux déclamations de robot de Condi Rice, l’isolement, à la tribune de l’ONU, était plus que jamais celui des USA mis en accusation par the Rest Of the World. Même si c’est sans songer à mal, Sarkozy a apporté son écot avec la belle formule de faire des traders de Wall Street les inspirateurs et les acteurs d’un “nouveau terrorisme”. La formule est jolie parce qu’elle porte sa dose d’anti-américanisme involontaire, qu’elle dissimule à peine son potentiel déstabilisateur dans la mesure où les traders de Wall Street ne sont pas un accident monstrueux du système mais son prolongement, voire son aboutissement logique. Si l’on en fait des “nouveaux terroristes”, c’est implicitement – et certes involontairement, c’est notre conviction évidente devant le visage sans malice du président français à la tribune de l’ONU, – le système en son entièreté qu’on charge de l’opprobre d’être lui-même terroriste, “nouveau” ou pas qu’importe. Mais qui cela peut-il étonner, à part Sarko quand on lui révélera la chose?

Nous progressons et le travail de décloisonnement devient un travail de déconstruction. Là aussi, Sarko a mis la main à la pâte. Lorsqu’il annonce gravement que «le monde va mal», il met en cause un système et son contentement de soi, ce qui est évidemment la marque de fabrique de la position des Anglo-Saxons, si parfaitement satisfaits du monde qu’ils nous ont donnés. Le procès est sévère puisqu’il porte sur la vanité de l’acteur principal, qui fut le moteur principal du monde anglo-saxon, – vanité qui fut et qui reste sans doute, si l’on se réfère à la totale incapacité de cette psychologie de tirer quelque leçon de ce soit de son propre destin. Le procès s’accompagne, pour les Français, de la sensation roborative renouvelée d’être à la pointe d’un mouvement général, où ils sont fortement soutenus notamment par les Allemands, eux-mêmes déchaînés contre le système US.

Nous progressons et les langues se délient.


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