De Téhéran à Pavlov, deux mondes différents…

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Après l’accord de Téhéran, tout se passe comme si rien ne s’était passé. C’est dans tous les cas la politique du système, comme l’a implicitement déclaré Hillary Clinton en annonçant hier, devant une commission sénatoriale US, que les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité sont arrivés à un accord sur une résolution pour un nouveau lot de sanctions contre l’Iran. Cette résolution sera envoyée aux 15 membres du conseil lundi prochain.

En Turquie, le ministre des affaires étrangères turc a commenté d’une façon très critique l’attitude occidentale et, notamment, l’intention de poursuivre dans la voie des sanctions malgré l'accord signé dimanche. Hürriyet Daily News présente de cette façon l’intervention du ministre (le 18 mai 2010).

«Foreign Minster Ahmet Davutoglu chided Western powers Tuesday for insisting on sanctions and failing to appreciate both the arduous work that went into the deal Turkey and Brazil signed to swap nuclear fuel with Iran as well as its historic significance.

»Making his resentment clear about the West’s skeptical reactions to the deal signed in Tehran on Monday, Davutoglu said Tuesday after Western powers largely greeted the deal with skepticism and the United States said it would not halt efforts to implement new sanctions against Iran. “The discussions on sanctions will spoil the atmosphere and the escalation of statements may provoke the Iranian public,” the Turkish foreign minister told a group of reporters after an official press conference in Istanbul.

» “Our mandate was limited to striking a deal on the swap,” Davutoglu said. “If reaching an agreement on the swap was not important, why would we spend so much time and energy on the issue?” […] “With the agreement yesterday, an important psychological threshold has been crossed toward establishing mutual trust,” Davutoglu said. “This is the first indirect deal signed by Iran with the West in 30 years.»

Parlant des critiques et du scepticisme concernant les quantités d’uranium impliquées dans l’accord, le ministre a révélé que le président Obama avait écrit «récemment» une lettre au Premier ministre Erdogan concernant les négociations de la Turquie et du Brésil avec l’Iran, où il exprimait son accord avec les exactes quantités impliquées. Davutoglu commente : «“I think there is no problem with the text of the deal. The problem is that they were not expecting that Iran would accept,” he said. “They had a reflex conditioned on the expectation that Iran will always say no. That's why they were a little bit caught by surprise.”

»Davutoglu and his Brazilian counterpart have already written a letter to the members of the U.N. Security Council, as well as Secretary-General Ban Ki-Moon, explaining the details of the deal. Erdoğan is also expected to send a letter back to Obama. Davutoğlu, meanwhile, will continue his telephone diplomacy. He was scheduled to talk Tuesday with European Union foreign ministers as well as Catherine Ashton, the EU’s foreign policy chief.

»“There is a political will clearly expressed by Iran, [and] signed by Turkey and Brazil, countries very much respected in the international community; and the whole thing is linked to a calendar,” Davutoglu said. “Now it is time to sit and work to create the conditions for true peace on the basis created [by this deal], not to make speculations or voice suspicions.”»

Notre commentaire

@PAYANT Il s’agit de deux mondes différents… D’ailleurs, les mêmes personnes, les mêmes pays, comme certains en général vis-à-vis du système, peuvent avoir “un pied dans l’un et un pied dans l’autre”. A Madrid, hier 18 mai 2010, Sarkozy salue l’accord de Téhéran comme “un pas positif” et annonce qu’il attend des détails de la part des Turcs et des Brésiliens. En même temps, l’accord sur la résolution sur les sanctions est bouclé, comme l’annonce Clinton, et la France est donc partie prenante. (Observons que c’est la même attitude, par exemple, chez un Medvedev pour la Russie. On pourrait également observer qu’il y a une différence du même type entre l’interprétation de la Maison-Blanche de l'accord de Téhéran, assez bienveillante selon Steve Clemons qui n’est pas suspect d’être pro-iranien, et le fait de la poursuite dans la voie des sanctions.)

Il semble ne pas y avoir de rapports de cause à effet entre les deux choses, comme s’il s’agissait d’un pays différent. D’un côté, il y a l’Iran qui signe un accord avec la Turquie et le Brésil, et c’est très bien ; de l’autre, il y a l’Iran “qui dit non” quoi qu’il dise, qui doit être sanctionné et contre lequel une résolution de l’ONU est rédigée, et c’est très bien. Il n’y a ni manœuvre, ni machination, il y a deux mondes différents, donc deux façons de penser dont l’une l’est certainement et évidemment par réflexe automatique, donc deux réactions qui sont en substance contradictoires.

Le ministre turc dit à propos des pays qui élaborent la résolution de l’ONU : «They had a reflex conditioned on the expectation that Iran will always say no. That's why they were a little bit caught by surprise.» Le texte parle d’une façon général “de l’Ouest”, mais on pourrait englober dans cette remarque la Russie, par exemple. Après tout, Medvedev, recevant Lula avant son voyage à Téhéran, donnait 30% de chances qu’un accord soit signé. En tenant compte de la politesse et des égards dus à Lula, qui débordait d’optimisme, cela revient à dire qu’effectivement on jugeait l’accord impossible. Dans ce cas, il s’agit bien d’une situation de type systémique, qui induit des attitudes d’automatisme, où les Russes eux-mêmes (et, d’une certaine façon, les Chinois), sont pris. La perception d’un Iran “qui dit non” est devenue, comme l’explique le ministre turc, “un réflexe conditionné”, – et, surtout, un “réflexe de perception conditionné”, voire une “perception pavlovienne”, ce qui confirme cet aspect systémique entretenu par le système de la communication.

Au reste, on dira que les Iraniens ont beaucoup fait pour créer ce “réflexe conditionné”, en manœuvrant beaucoup et souvent. On oublierait alors que l’Occident, et précisément les USA, ont tout fait, auparavant, notamment et d’une façon pressante depuis 2003 et surtout 2005, pour condamner l’Iran avant même que le procès ne s’ouvre, avec une constante menace d’attaque contre ce pays. Ce ne sont pas des conditions propices à l'établissement d'un climat de confiance réciproque, et il est alors logique que les Iraniens manœuvrent beaucoup. Il est également logique qu’ils choisissent deux pays comme le Brésil et la Turquie pour signer un accord, pour toutes les raisons du monde qu’on comprend aisément, – à commencer par la solidarité entre pays de l’ex-Tiers-Monde, ou “pays émergents”, etc. Que la pensée et le commentaire se montrent incapables d’évoquer seulement cet argument signale clairement que nous sommes bien dans des automatismes de pensées, dans un domaine complètement pavlovien au niveau de la perception elle-même, donc de la psychologie inconsciente. Concernant la question de la résolution sur les sanctions, ce courant est complètement présent et touche même des pays aux politiques différentes.

Pour toutes ces raisons, nous ne croyons pas qu’il y ait réellement un grand mouvement politique en cours, mais une mécanique systémique qui se poursuit. Bien entendu, les partisans de l’attaque contre l’Iran exultent devant cette attitude de poursuite dans le sens des sanctions, comme ils exultent depuis 5 ans pour “leur” attaque prévue pour le lendemain matin, – 5 ans, à peu près le temps d’une Guerre mondiale, ce qui mesure le degré de résolution fondamentale de tous ces va-t’en-guerre. Tout cela ne recouvre aucune substance politique fondamentale, aucune pensée construite de la part des faiseurs de sanctions, et il est possible que des interférences majeures commencent à apparaître lorsque le texte de la résolution aura été communiqué aux 15 membres du Conseil, dont, par bonheur, la Turquie et le Brésil. (Certains des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité eux-mêmes pourraient également modifier leur attitude.)

Il est très difficile d’avoir un jugement politique dans une situation où se mélangent des actes effectivement politiques et des attitudes de “réflexe pavlovien” concernant des processus bureaucratiques en cours et la perception elle-même. Le point qu’il faut mettre en évidence à propos de la deuxième attitude est, à notre sens, qu’il ne s’agit nullement d’un simple “accident”, ou d’un “dysfonctionnement” temporaire, mais bien d’une situation systémique et d’un comportement effectivement relevant de l’automatisme pavlovien devenu façon de percevoir et, par conséquent, façon d’être. Il est intéressant que le ministre turc émette ce jugement en public car, ainsi, il exprime une appréciation assez claire de cette situation systémique. Pour l’instant, la Turquie et le Brésil ne veulent pas en rester là puisque, selon Novosti (le 18 mai 2010), ils demandent à participer à la négociation des “5+1” avec l’Iran. (De façon assez judicieuse, certains auraient fait savoir à la France que si ce pays soutenait cette demande, la commande du Rafale par Brasilia en serait facilitée. Après tout, face à une pensée aussi automatisée, il faut des arguments qui relèvent du fait mécanique brut.)


Mis en ligne le 19 mai 2010 à 08H42