De la dissolution de “BHO-Bizarro

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Devant la montée des périls comme on dit, Barack Obama, qui s’était tenu coi durant la fin de la crise de la dette et les premiers remous financiers qui avaient suivi, tenant en cela son étrange rôle de président à éclipse selon la vigueur des événements, BHO, donc, est intervenu. Il entendait contrer décisivement les effets de la dégradation de la notation des USA par S&P (“de AAA à AA+”), notamment la chute des marchés et les pertes en cours à Wall Street, tout en mettant en question cette dégradation. Piquons deux phrases, dans un article qui résume l’affaire (Guardian, 8 août 2011).

D’abord : «“This is the United States of America. No matter what some agency says, we will always be a triple A country,” he said.» Un peu plus loin : «Obama spoke from the White House while the markets were still open in the hope that he might have an influence – but they continued falling during and even after his statement.»

Le président des USA a poursuivi à un rythme accéléré son processus de dissolution de lui-même durant les deux ou trois dernières semaines, où la crise de la dette a directement enchaîné sur une nouvelle phase de la crise financière. Toujours aussi calme, assez peu visible dans les moments essentiels, péremptoire et assuré lorsqu’il devenait visible, etc. Quand ils y pensent, les libéraux (la gauche des démocrates) montrent de plus en plus d’hostilité au président, l’accusant de “faiblesse” et de “trahison de toutes ses promesses”. Le cinéaste politique Michael Moore, qui fut un des plus fervents soutiens de Barack Obama, vient de lancer l’idée d’une candidature présidentielle, démocrate ou indépendante, de l’acteur Matt Damon contre Obama. (Matt Damon exprime abondamment ses opinions politiques actuellement et accuse Obama d’avoir trahi ses promesses.) Dans une analyse paradoxale et provocatrice, ou bien simplement ironique, David Sirota, dans Truthdig.com le 4 août 2011, appelle BHO un «Bizarro FDR», observant qu’il montre une aussi grande fermeté que FDR pour prendre des décisions politiques qui sont exactement à l'inverse de celles de FDR (Roosevelt) alors qu’il a été élu pour faire la politique de FDR… BHO a sauvé un Wall Street qui ne méritait que d’être puni, favorisé le Big Business, montré un intérêt à peine poli pour les drames sociaux de la crise économique, poursuivi et accentué les guerres extérieures, appliqué en général la politique économique et sociale de la droite républicaine, tout cela avec une détermination sans faille.

Sirota ajoute qu’Obama est bien placé pour être réélu, ce qui est peut-être pousser le paradoxe un peu loin : la droite républicaine, qu’Obama a ainsi favorisée, le hait au-delà de toutes mesures, alors que la gauche démocrate évoluant de plus en plus vers une position radicalisée, déserte de plus en plus son soutien. Si BHO n’est pas personnellement impopulaire, sa politique l’est de plus en plus ; si l’on prévoit de plus en plus d’événements déstabilisants, comme c’est probable jusqu'à être assuré, il apparaît que l’élection de 2012 se jouera de moins en moins sur l’habituelle équation des popularités personnelles réduites à un “centrisme extrémiste” enrobé d'une rationalité type-establishment, au profit d’une recherche de solutions de plus en plus éloignées des normes traditionnelles. Les personnalités des candidats seront d’autant plus appréciées qu’elles montreront une polarisation, voire une radicalisation, dans l’engagement politique qu’elles auront choisi. De ce point de vue, Obama, dont le personnage s’est défini comme un homme à la recherche continuelle d’un compromis, un président presque indifférent et impalpable à force de raison affichée, n’est pas particulièrement bien placé.

A côté de toutes ces appréciations très diverses, il nous semble que la réalité montre plutôt une dissolution accélérée du personnage marquant qui fut élu en novembre 2008, et que ce processus de dissolution a connu une accélération avec cette crise de la dette. Son succès dans l’application d’une politique en de si nombreux points contraire à celle pour laquelle il a été élu, cela sans lui attirer aucun soutien de plus de personnalités ou de courants concernés alors que les désertions se multiplient, et cette politique ne cessant d’affaiblir les USA dont elle est censée assurer la promotion et l’affirmation, tout cela est au contraire, selon notre point de vue, un facteur participant à cette dissolution. Ce “succès” renvoie également, c’est une autre explication que celle de Sirota, à la soumission à l’influence des forces du “centrisme extrémiste” de l'establishment, et rien d’autre. Dans ce cas, l’idée de Sirota assez juste du développement d’un “anti-Obama” à la place d’Obama n’a pour résultat, effectivement, que le désordre de la perception qui est un autre signe de la dissolution dont on parle. Obama-2012 ne pourrait profiter de “sa politique” qu’en développant des propositions correspondant à cet “anti-Obama” qui a liquidé Obama-2008. Ce n’est pas le cas puisque Obama est persuadé avec toutes les raisons du monde qu’il ne gagnera aucun soutien du côté de la droite des républicains, et il entend faire une campagne qui reprendra le schéma d’Obama-2008 contre lequel il a constamment travaillé pendant sa présidence.

Cette accumulation de facteurs négatifs et paradoxaux par rapport à la logique de son élection et du personnage qu’il fut pourrait finalement conduire à la dissolution de sa campagne, alors que les extrémistes pourraient disposer de l’un ou l’autre candidat capable d’électriser le débat autour des grands sujets de polémique en cours. Curieusement, d’après le tableau qu’en fait Sirota, Obama ne serait bon qu’avec des sujets polémiques, alors que cet homme ne cesse de montrer qu’il hait la polémique. (C’est sans doute la véritable explication de sa politique : sa haine de la polémique l’a conduit à favoriser la politique la plus polémique, par les plus polémiques, pour désarmer leurs intentions polémiques à son encontre, – sans guère de succès, au reste.)

Dans le New York Times du 6 août 2011, Dew Westen, auteur et professeur de psychologie, trace aimablement un portrait psychologique d’Obama qui s’avère absolument impitoyable, concernant un homme qui ne sut jamais rencontrer l’attente, ni des gens, ni des circonstances. Il introduit son texte sur l’impression d’insatisfaction qu’il eut lors de l’inauguration de Barack Obama, en entendant un discours si excellent et si bien prononcé, et qui sonnait si complètement faux par rapport aux circonstances… (Plus loin, Westen imagine le discours qu’il aurait voulu entendre, un discours a-la-FDR.)

«It was a blustery day in Washington on Jan. 20, 2009, as it often seems to be on the day of a presidential inauguration. As I stood with my 8-year-old daughter, watching the president deliver his inaugural address, I had a feeling of unease. It wasn’t just that the man who could be so eloquent had seemingly chosen not to be on this auspicious occasion, although that turned out to be a troubling harbinger of things to come. It was that there was a story the American people were waiting to hear — and needed to hear — but he didn’t tell it. And in the ensuing months he continued not to tell it, no matter how outrageous the slings and arrows his opponents threw at him.»

Finalement, nous serions tentés d’avancer l’idée du paradoxe extrême, ou suprême, sous la forme d’un pastiche de l’expression que Sirota a choisi comme titre de sa chronique. Nous parlerions alors de “Bizarro Obama”, ou “BHO-Bizarro”, avouant ainsi une certaine incompréhension de cet homme, toujours aussi vive depuis trois ans, toujours aussi aiguisée par une attitude qui semble ne pas pouvoir varier malgré l’empilement des événements de grande tension, des grandes alarmes qui encombrent l’évolution politique actuelle, particulièrement aux USA. L'emploi du mot (du nom) Bizarro, comme l’a déjà fait Justin Raimondo (voir sur ce site, le 22 novembre 2003), renvoie à un personnage de bande dessinée qui pourrait figurer une sorte de symbole d’une époque complètement virtualiste, où la réalité est devenue complètement insaisissable, avec le développement de la confusion et du désordre qui s'ensuit. On pourrait alors parler de “BHO-Bizarro”, pour faire référence à ses extraordinaires inconsistances par rapport à ce qu’on envisageait de ses projets lorsqu’il fut élu, et parce que ce personnage retenu, maître de lui, apparaîtrait finalement comme le personnage du désordre le plus complet dans la campagne électorale. En effet, cette inconsistance, l’incompréhension qu’on éprouve à son égard, l’impression d’insaisissabilité qu’il laisse, alors qu’il a tant voulu s’affirmer à la fois comme candidat puis comme président (et dans des directions finalement opposées), finissent par brouiller complètement le jugement et susciter grandement le désordre dans la pensée, en même temps qu’un très grand inconfort psychologique. Ainsi le paradoxe-Bizarro serait que ce président si retenu, semblant si maître de soi, recherchant le calme et l’apaisement, le compromis et l’arrangement dans ses relations politiques, et dans la politique elle-même, finirait par être, le plus involontairement du monde, un ferment de désordre et de tensions extrêmes, – encore plus que de division, d’ailleurs. Il y a des circonstances où la recherche effrénée de l’arrangement, du compromis, de l’unité raisonnable, suscite nécessairement le contraire de tout cela, tant ces propositions apparaissent en décalage complet avec la vérité de l’instant qu’elles voudraient caractériser.


Mis en ligne le 10 août 2011 à 08H01