De l’Ukraine au dollar, la mesure de l’enjeu

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De l’Ukraine au dollar, la mesure de l’enjeu

L’intronisation du “roi de chocolat” en président-bouffe, ou président d’Ukraine, s’est faite selon la coutume, dans une atmosphère contrainte et festive-Système, où la légitimation renvoyait à un discours dont chacun savait qu’il avait été quasiment rédigé par les services du département d’État (US, pour qu'on ne s'y trompe pas). (Le “quasiment” est notre tribut rendu à la fluidité des sources affectées à l’internet, au contraire de la certitude qui assure l’essentiel du courant alimentant la presse-Système.) Ce discours de pseudo-Porochenko a donc été interprété avec la même fluidité, par les uns et les autres, comme “une ouverture vers la paix” du côté-Système, comme une “déclaration de guerre au Donbass” en face. Au reste, comme pour saluer le président-bouffe, l’offensive dans l’Est du pays a fonctionné de plus belle depuis son inauguration, notamment contre Slaviansk, selon une tactique ukrainienne pro-Kiev réduite aux bombardements par artillerie lourde et raids aériens. (Russia Today donne une galerie de vidéo sur la situation à Slaviansk, ce 9 juin 2014. RT étant en général catalogué “officine de propagande de Poutine”, on lui reconnaîtra une capacité de montage de communication surpassant largement l’usine hollywoodienne, tant les vidéos semblent vrai, jusqu’à faire croire à l’un ou l’autre parano-complotiste qu’à Slaviansk, en plein cœur de l’Europe, on tue des civils avec obus et bombes, sans doute “terroristes” déguisés en femmes et enfants blessés dans les hôpitaux.)

La situation établie par l’inauguration du président-bouffe ouvre une nouvelle phase de la crise ukrainienne, dominée du côté des antiSystème par la polémique, en Russie même et au-dehors, autour de l’attitude de la Russie (certains comprennent l’actuelle politique de non-intervention de Poutine, d’autres la condamnent). Plusieurs textes du Saker, sur le site The Vineyard of the Saker, ont bien montré cette antagonisme des conceptions et les ambiguïtés qui les caractérisent, le Saker lui-même ayant encore mis en ligne un texte ce 10 juin 2014 où, après diverses interprétations fausses de ses précédents textes, il affirme une fois de plus sa position (il est favorable à la politique de Poutine, avec certaines réserves concernant l’absence de dureté et de fermeté dans la communication vis-à-vis de Kiev et du reste).

• D’une façon générale, les conditions de combat semblent assez bien décrites, du côté des fédéralistes anti-Kiev, par une interview de Igor Strelkov (ou Girkine, selon certains), commandant les milices du Donbass et accusé du côté du bloc BAO d’être un officier du GRU. (Interview sur le même site du Saker, le 9 juin 2014, avec la vidéo d’un entretien d’une douzaine de minutes datant du 7 juin, sous-titré en anglais.) Strelkov met en évidence la faiblesse numérique, et surtout d’équipements, de ses forces, mais aussi la très mauvaise qualité, ou l’absence de motivation, des forces pro-Kiev. (Le rapport quantitatif des forces est estimé à 1 contre 5-6 pour les pro-Kiev, mais le rapport qualitatif pourrait figurer comme étant inversé.) Dans leur déploiement actuel, s’en tenant aux bombardements par raids aériens et par artillerie lourde, les forces de Kiev sont très difficiles à engager, d’autant que l’absence de matériel lourd rend très difficiles des actions décisives contre elles. A l’inverse, Strelkov juge que ses milices, spécialisées dans la guerre de guérilla et de quatrième génération, seront quasi-impossibles à réduire par les pro-Kiev. Dans tous les cas, il prévoit une arrivée prochaine d’une aide OTAN et US de leur côté, en matériels, en conseillers et en mercenaires. En tenant compte des tactiques utilisées et des formes d’engagement dont l’effet principal est une pression considérable contre les civils, Strelkov juge que le premier résultat de l’actuel “conflit” sera une catastrophe humanitaire de très grandes dimensions, avec afflux de réfugiés en Russie. De ce point de vue seulement, sans envisager d’autres hypothèses, l’implication de la Russie semble inéluctable ; il semble par ailleurs très probable sinon évident que des équipements russes au moins légers et moyens parviennent aux forces du Donbass, ainsi que des volontaires russes (voir aussi le 7 juin 2014), mais sans intervention officielle visible.

• L’intervention de l’OTAN/des US, dont parle Strelkov, est affirmée officiellement par les Russes. (Lavrov : «Americans have, I think, overwhelming influence. They act in a much more open way, without any scruples; compared to the Europeans ... You cannot avoid the impression that they are running the show very much, very much.») Elle fait l’objet de détails intéressants donnés par Olga Chedrova, sur Strategic-Culture.org le 10 juin 2014. Il s’agit alors d’une dimension différente de la seule bataille en cours pour l’Ukraine puisque des puissances extérieures y sont impliquées, paradoxalement d’une façon beaucoup plus assurée que la Russie. Cet aspect de la bataille du Donbass ouvre la perspective sur la dimension internationale de la crise ukrainienne dans son évolution actuelle. L’intérêt des détails donnés par Chedrova concerne la hauteur des membres d'une délégation US/OTAN qui a rencontré Porochenko peu après son inauguration, pour, si l'on veut, lui communiquer les consignes du “centre” ; il s'agit essentiellement d'officiers de la CIA de la direction opérationnelles et des cadres concernés, c'est-à-dire un niveau qui n'a aucunement le poids politique d'un directeur de la CIA par exemple : «The composition of the U.S. delegation, which is rather mysterious at first glance, is explained by the fact that the professional diplomats would not understand at all what it was about, and by the fact that the U.S. Congress would not authorize the usual military cooperation agreement which involves sending military trainers and direct participation of American troops...» Tout cela nous indique que, quelle que soit l’intention de départ, l’opérationnalité de la manipulation US/OTAN de la clique de Kiev est en train, si ce n’est déjà fait, de passer au stade des techniciens et des bureaucrates du renseignement US et de leurs associés du corporate power, ce qui implique un automatisme du maximalisme aveugle, sans stratégie nécessaire, et d’ailleurs effectivement sans stratégie... (Les précisions sur la composition de la délégation, notamment dans les rangs subalternes de la CIA, font penser que la “fluidité” de la source est, dans ce cas, bien maîtrisée, et il semble ne faire guère de doute que les officiels des SR russes entendent diffuser dans le public certaines des informations dont ils disposent sur les contacts de Porochenko avec le bloc BAO.)

«While the death toll among civilians is growing in Ukraine the United States continues its policy aimed at escalation of the conflict. It offers all kinds of support to Kiev including military aid. Deputy Secretary General Ambassador Alexander Vershbow said the cooperation is going to get a new impetus with instructors sent to beef up the modernization efforts of Ukraine’s armed forces.

»The US Congress is to pass a bill to provide $1 billion in loan guarantees to Ukraine. The bill authorizes an additional $100 million to bolster security cooperation among the United States, European Union and countries in Central and Eastern Europe and further authorizes the President to provide defense help and additional security assistance to Ukraine and other countries in the region. According to Igor Dolgov, Ukraine’s Ambassador to NATO, the alliance is to provide logistics and gratuitously train Ukrainian personnel. It will also intensify intelligence collecting efforts against Russia including AWACS aircraft. Anders Fogh Rasmussen says no military actions against Russia are planned, but the facts tell otherwise.

»Having won the presidential election on May 25, Ukrainian President Petro Poroshenko secretly met with strange American delegation headed by the Director of the National Service of Covert Operations (the CIA's National Clandestine Service) Frank Archibald, which also included former CIA chief in Ukraine Jeffrey Egan, the current – Raymond Mark Davidson, Mark Buggy (CIA, Istanbul), Andrzej Derlatka, a CIA agent in the Polish intelligence Agency and member of CIA Kevin Duffin who is working as senior Vice President of the insurance company Brower. Poroshenko and Archibald signed paper entitled an “Agreement on Military Cooperation between the U.S. and Ukraine”…The composition of the U.S. delegation, which is rather mysterious at first glance, is explained by the fact that the professional diplomats would not understand at all what it was about, and by the fact that the U.S. Congress would not authorize the usual military cooperation agreement which involves sending military trainers and direct participation of American troops in the armed conflict in Ukraine.

»However, the National Service of Covert Operations can bypass the lawmakers through channels such as private insurance company Brower, belonging to the CIA. It can provide large-scale military aid to other countries using its operatives and employees of private military contractors. Aside from the military cooperation with the United States, the Ukrainian government signed an agreement to revive the concept of LITPOLUKRBRIG(the Lithuanian – Polish – Ukrainian Brigade) to make it reach operational status. The brigade is a planned multinational formation consisting of units from the Lithuanian, Polish and Ukrainian army units. An agreement on its creation was signed on November 16, 2009.»

• Si l’on poursuit dans la dimension internationale de la crise ukrainienne, cette fois en abandonnant tout lien avec le champ de bataille, on trouve la question de la “dé-dollarisation” entreprise par la Russie en concordance avec les sanctions du bloc BAO contre la Russie. Le processus se poursuit dans un sens extrêmement fédérateur, sans précipitation conformément à la politique poutinienne, mais avec une dynamique qui s’alimente elle-même, qui touche la Chine et va toucher nombre de partenaires de la Russie. Il est probable que cette dynamique ne sera pas contrôlée fondamentalement par la tactique politique de Poutine, d’autant qu’elle devrait recevoir l’aide du maximalisme US, avec le Congrès continuant à exercer ses pressions pour de nouvelles sanctions qui imposeront à la direction russe une réplique (dans le sens de l’automatisme d’une réplique sismique) dans le sens de la dé-dollarisation. Ces remarques valent d’autant plus, évidemment, que le monde financier et économique russe est en train de mettre en place des structures pour cette évolution, et il est manifeste que, dans ce cas, les structures sont faites pour servir. Comme le dit le directeur de la Deutsche Bank en Russie, “ce n’est pas un simple effet temporaire, c’est une tendance” ; et une tendance, ça se respecte et ça se suit... Quelques extraits de ZeroHedge.com du 9 juin 2014.

«[T]he Eurasian anti-US Dollar axis is rapidly taking shape, with recent events catalyzed and certainly accelerated by US foreign policy in Ukraine, which has merely succeeded in pushing Russia that much closer, and faster, to China. The latest proof of this came overnight when the FT reported that Russian companies are preparing to switch contracts to renminbi and other Asian currencies amid fears that western sanctions may freeze them out of the US dollar market, according to two top bankers. According to Pavel Teplukhin, head of Deutsche Bank in Russia, cited by the Financial Times, “Over the last few weeks there has been a significant interest in the market from large Russian corporations to start using various products in renminbi and other Asian currencies and to set up accounts in Asian locations.”

»Andrei Kostin, chief executive of state bank VTB, said that expanding the use of non-dollar currencies was one of the bank’s “main tasks”. “Given the extent of our bilateral trade with China, developing the use of settlements in roubles and yuan [renminbi] is a priority on the agenda, and so we are working on it now,” he told Russia’s President Vladimir Putin during a briefing. “Since May, we have been carrying out this work.”

»The punchline, again, is that what Russia is doing is merely the appetizer of what other G-20 countries, many of which already angry at the US over IMF voting power shennanigans, may end up doing in their own bilateral trade arrangements with China which suggest even further de-dollarization as the Renminbi becomes progressively more important on the global FX stage. “It looks like this is not just a blip, this is a trend,” said Mr Teplukhin of Deutsche Bank. He added that Russian companies were able to hedge the risk of further US sanctions by “changing the letter of their contracts to allow them to change currency if it is necessary”.»

Avec ce dernier cas de la dé-dollarisation, on fera le lien avec la nouvelle précédente concernant la délégation US/OTAN qui a rencontré Porochenko, avec les commentaires de présentation, pour noter que, dans ce cas également, une situation d’automatisme est en train d’être mise en place. La puissance de la crise ukrainienne, l’énormité de l’enjeu puisqu’il s’agit d’une crise haute qui rassemble les principaux domaines crisiques du Système, font que les directions politiques ne peuvent en contrôler vraiment le cours. Pour la direction américaniste, comme pour le président-bouffon d’Ukraine, c’est l’évidence, puisque le caractère d’incontrôlabilité est devenu la marque principale de l’influence qu’ils exercent sur leurs propres actions. Pour Poutine et la direction russe, cela paraîtrait moins évident, et pourtant c’est à notre sens le chemin qui est en train d’être pris, avec les diverses pressions en faveur d’une action plus dure, notamment de l’opinion publique (voir, par exemple, pour le fun, le 9 juin 2014, sur Novosti, ce que les Russes pensent du président-bouffon Porochenko) ; finalement, idem pour la Chine elle-même, qui a du déjà se départir de sa prudence coutumière pour suivre la Russie dans l’“alliance” anti-bloc BAO devenue une nécessité imposée par toutes ces étranges circonstances...

Cette évolution doit effectivement permettre de découvrir l’enjeu de cette crise qui affecte toute la structure du Système, et donc y compris les antiSystème qui ne peuvent faire autrement qu’agir à l’intérieur du Système puisque le Système contrôle tout. On a encore de la peine à mesurer la folie que constitue, pour le bloc BAO, cette crise ukrainienne, avec les réseaux américanistes, leurs valises pleines de billets verts pour les oligarques du coin, opérant à ciel ouvert tout contre la frontière russe («Americans ... act in a much more open way, without any scruples, [...] You cannot avoid the impression that they are running the show very much, very much»). Cette folie a déjà réussi à rassembler les Russes et les Chinois dans une alliance que tous les experts jugeaient impossible, et la voilà sur la bonne voie de pousser à une super-déstabilisation du pays qui ne fera qu’exacerber les pressions sur la droite de Poutine, également au Congrès pour de nouvelles sanctions, rapprochant très rapidement aussi bien de la dé-dollarisation que des risques de déstructuration, voire de fracture au sein de l’OTAN. La présence des Polonais dans la délégation venue donner ses consignes à Porochenko constitue une occurrence grotesque, un signe et un symbole qui font mesurer le degré d’hystérie bien rangée dans laquelle baigne cette bureaucratie du renseignement et de la déstabilisation qui agit pratiquement sans aucun contrôle.

Gone With the Wind... Pour l’explication fondamentale, toujours se référer au Lincoln de 1838 (voir le 9 juin 2014 : «Lincoln et la “première frappe nucléaire”»).


Mis en ligne le 10 juin 2014

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