Comment les USA traitent les Britanniques et leurs Wiki-secrets

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WikiLeaks/Cablegate poursuit son bonhomme de chemin. D’autres crises sollicitant l’attention, plus grand monde n’y prend garde d’une façon systématique, y compris nous-mêmes certes. Alors, WikiLeaks se rappelle parfois à notre souvenir, à une occasion ou l’autre. Le Wiki-cable sorti par le Daily Telegraph, le 4 février 2011, constitue une révélation extraordinaire, – sur le fait lui-même, et sur ce qu’il nous dit du comportement US et de l’état des special relationships, vues du côté US.

En un mot, ce que nous dit le Wiki-cable est que les USA ont l’intention de passer aux Russes des informations secrètes sur la force nucléaire britannique, qu’ils détiennent évidemment puisque ce sont eux qui la contrôlent, selon une promesse qu'ils ont faite aux Russes pour les inciter à signer le traité START-II. Les informations n’endommagent pas d’une façon irrémédiable cette force nucléaire du point de vue des Russes, mais elles compromettent la politique britannique à cet égard ; le procédé, lui, nous en dit bien plus que toutes les plaidoiries du monde à propos “du comportement US et de l’état des special relationships, vues du côté US”…

«Information about every Trident missile the US supplies to Britain will be given to Russia as part of an arms control deal signed by President Barack Obama next week. Defence analysts claim the agreement risks undermining Britain’s policy of refusing to confirm the exact size of its nuclear arsenal.

»The fact that the Americans used British nuclear secrets as a bargaining chip also sheds new light on the so-called “special relationship”, which is shown often to be a one-sided affair by US diplomatic communications obtained by the WikiLeaks website… […]

»A series of classified messages sent to Washington by US negotiators show how information on Britain’s nuclear capability was crucial to securing Russia’s support for the “New START” deal. Although the treaty was not supposed to have any impact on Britain, the leaked cables show that Russia used the talks to demand more information about the UK’s Trident missiles, which are manufactured and maintained in the US.

»Washington lobbied London in 2009 for permission to supply Moscow with detailed data about the performance of UK missiles. The UK refused, but the US agreed to hand over the serial numbers of Trident missiles it transfers to Britain…»

On peut mesurer l’impact de cette information sur le public britannique (les lecteurs du Daily Telegraph) par le nombre de commentaires mis en ligne (1.570 à 11H22, quatorze heures après la mise en ligne du texte), – en écrasante majorité, d’une tonalité furieuse. Un autre texte Wiki-cable, sur l’espionnage US de certains fonctionnaires du Foreign Office (également sympa pour les special relationships), mis en ligne en même temps, n’avait suscité que 14 commentaires.

Notre commentaire

@PAYANT Divers commentateurs britanniques, notamment dans le très huppé Financial Times, s’étaient exclamés, au nom du bien connu “réalisme” anglo-saxon et de la tendresse extrême de l’establishment britannique pour les cousins d’Outre-Atlantique, que Cablegate n’endommageait nullement la réputation des USA, mais au contraire mettait en évidence l’efficacité, voire la vertu de la diplomatie US. Cette appréciation pourrait être maintenue, même après ce Wiki-cable, si l’on juge efficace et vertueux de la part des USA de traiter ainsi les Britanniques… Mais c’est le cas, après tout, car la bêtise extraordinairement entêtée des Britanniques dans leur appréciation extasiée les special relationships conduit à considérer objectivement comme efficace et vertueuse l’indifférence, – ne parlons même pas de mépris ou de déloyauté, – avec laquelle les USA traitent ces mêmes Britanniques, comme s'il y avait une justice dans ce comportement. Littéralement, les Britanniques n’existent pas dans les calculs US, sinon pour les presser comme un vieux citron pourri et en extraire tout ce qui peut encore servir aux intérêts US. C’est après tout effectivement efficace et vertueux de nous montrer cela d’une façon aussi spectaculaire. Pour le reste, on se demanderait avec curiosité si les mêmes commentateurs UK écriraient aujourd’hui, après ce Wiki-cable, ce qu’ils écrivirent dans leur enthousiasme proaméricaniste au début décembre 2010. (Sans doute que oui, d’ailleurs, puisque nous parlons de “bêtise extraordinairement entêtée”…)

Que vont faire les Britanniques ? Rien, fort probablement, sinon une remarque à un attaché culturel US (l’homme de la CIA à l’ambassade), entre deux petits fours, dans une réception du corps diplomatique. Sur cette question des special relationships, les Britanniques semblent complètement paralysés, comme fascinés par une stratégie dont ils se sont bercé de son intelligence et de sont efficacité supposées depuis 1944, comme signe puissant et dernier signe de l’habileté britannique à manœuvrer à son avantage l’énorme puissance US. Dénoncer les special relationships, pour eux, ce serait aussi dénoncer leur aveuglement et cette stupidité entêtée qui caractérise leur diplomatie dans ce domaine ; dénoncer les special relationships, ce serait, pour les Britanniques, se voir comme ils sont, sans gloire, indignes, humiliés, inexistants… Psychologiquement, ils se sont eux-mêmes fait les prisonniers de ces special relationships, à partir de l’image qu’ils s’en sont faite, allant jusqu’à soumettre leur souveraineté à un véritable supplice, à un déchirement constant, à un traitement qu’on n'accorde en général qu'à des républiques bananières ou à l’un ou l’autre “Etat-failli” perdu au fin fond de l’Afrique. Il leur faudrait un Churchill dans le bon sens, le contraire du vrai pour l'orientation idéologique mais avec les mêmes qualités, pour arriver à briser cette addiction à une représentation totalement virtualiste. Les Britannique sont bien plus les prisonniers de la représentation fantasmagorique qu’ils se font des special relationships que des USA et des multiples liens qu’ils ont avec eux.

…Ce qui ne rend pas pour autant les USA vertueux, ni, finalement, très efficaces sur le fond de la chose, malgré ce qu’on en a dit plus haut. Le Wiki-cable, qui porte sur une matière si essentielle que le secret des forces nucléaires UK, marque combien leurs intérêts, même à courte vue, passe sur toutes les précautions, toutes les visions stratégiques à long terme. Disposer ainsi, face aux Russes, des secrets nucléaires d’une nation souveraine du statut du Royaume-Uni, – malgré tout ce qu’on sait de la réalité du statut de ces forces nucléaires, – c’est attenter d’une façon radicale à la perception que les Russes ont de l’attitude et de la position des USA, du Royaume-Uni, etc. ; c’est amoindrir d’une façon radicale le respect que les Russes ont pour ces puissances anglo-saxonnes, pour ce qui est de la conduite déloyale et sans vergogne des USA vis-à-vis du Royaume-Uni, pour ce qui est de la soumission du Royaume-Uni vis-à-vis des USA. Quand on prétend former un bloc de puissance et d’influence comme le prétendent USA et UK, on ne prend pas le risque d’amoindrir l’image qu’on offre aux autres avec de telles pratiques. Au bout du compte, on est perdant…

Aussi interpréterons-nous l’attitude des USA d’une façon exactement contraire à celle d’une grande puissance, d’une puissance impériale souveraine. Au contraire, il s’agit d’un “reste d’Empire”, qui utilisent sans vergogne tous les avantages acquis durant la période impériale triomphante, jusqu’à accomplir d’une façon unilatérale et dissimulée une initiative qui lui avait été refusée par les Britanniques. D’où l’un et l’autre enseignements, qui nous sont suggérés par cette affaire notablement spectaculaire bien qu’elle soit passée inaperçue.

• L’“unilatéralisme défensif” de l’administration Obama. Le comportement avec les Britanniques le montre… En un sens, l’administration Obama est encore plus unilatéraliste que l’administration GW Bush, car elle l’est d’une façon défensive, pour se replier, donc en mettant en danger ou en lumière d’une façon incongrue, certains de ses atouts secrets et de sa puissance d’influence sur des alliés (dans ce cas, l’alignement inconditionnel de UK).

• Cet “unilatéralisme défensif” se marque dans ce cas par ce que la démarche US nous dit de la volonté US d’obtenir à tout prix un accord START-II qui entérine d’une façon formelle de meilleures relations avec lac Russie. Comme on l’a déjà dit souvent, cette volonté d’avoir de meilleures relations avec la Russie fait bénéficier les USA d’une sorte de désengagement de la politique russe agressive que développa l’administration GW Bush pendant des années. On voit le côté “défensif” de cette politique.

• Pour les alliés des USA, il devrait y avoir l’enseignement que les USA d’Obama sont prêts à mettre en cause les intérêts stratégiques fondamentaux de leurs alliés, même pour un gain qu’il auraient pu verrouiller d’une autre façon (l’acquiescement russe pour le traité START-II ne dépendait évidemment pas de ces informations sur la force nucléaire UK, qui ne sont venues que pour renforcer l’incitation faite aux Russes de conclure et de signer).

• L’incident pose à nouveau, ou renforce l’interrogation que certains pays européens (la France, essentiellement) peuvent et doivent avoir sur la possibilité de coopérer étroitement avec les Britanniques, sur des matières stratégiques et technologiques essentielles. Si, par un biais ou l’autre, l’administration Obama intervient dans ces coopérations éventuelles, la question de la protection des intérêts souverains d’un pays comme la France se pose évidemment. L’ampleur et la gravité de la démarche US révélée par le Wiki-cable montrent combien cette question ne peut être considérée comme accessoire.

Enfin, pour conclure, le constat que l’affaire WikiLeaks/Cablegate continue à être un ferment durable de déstabilisation et de déstructuration du système américaniste-occidentalisqte…


Mis en ligne le 5 février 2011 à 11H22