Chaos préparatoire, éventuellement prémonitoire

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Chaos préparatoire, éventuellement prémonitoire

14 mars 2009 — Les ministres (du trésor) se réunissent pour préparer le G20. En effet, le G20 est pour bientôt, deux grosses semaines. Les nouvelles ne sont pas exaltantes; de sérieuses oppositions existent, voire se renforcent, notamment entre les USA et les Européens, au sein de cette belle “famille occidentale”. En plus, de petits incidents malheureux alourdissent l’atmosphère. Gordon Brown se débat comme un beau diable pour faire de “son” G20 une réussite, ou, au moins, une apparence de réussite, de façon à se renforcer, au moins, chez lui, à Londres.

Les dernières nouvelles confirment ces appréciations générales pour le moins sceptiques, parfois crépusculaires puisque c’est le sort du monde qui est en jeu, indeed. Les Américains ne semblent pas s’intéresser vraiment aux ambitions de Gordon Brown de sauver le monde par l’intermédiaire de cette réunion du G20 qu’il prépare. Voici ce qu’en dit, en quelques mots, The Independent du 14 mars: «Gordon Brown's hopes of hammering out a detailed rescue plan for the global economy are fading… […] The growing list of problems facing the Prime Minister were underlined when the White House appeared to write off the prospect of achieving a concrete deal at the summit. President Barack Obama's spokesman, Robert Gibbs, predicted: “We are not going to negotiate some specific economic percentage or commitment.”»

Pour le reste, pour ce qui a chaotiquement précédé, un excellent article du Financial Times, du 13 mars, fait l’affaire. Il nous résume la situation tactique, c’est-à-dire un chaos sympathiquement vigoureux.

• L’opposition brutale entre Européens et Américains nourrit la chronique. Elle se situe au niveau de l’action à entreprendre. Les Américains ont toujours leurs mêmes habitudes de chapitrer les autres pour les inciter à réparer selon leurs propres méthodes, à eux Américains, les catastrophes dont eux-mêmes, les Américains, sont responsables. Cela agace.

«As Mr Summers appeared in Monday’s Financial Times declaring, “There’s no place that should be reducing its contribution to global demand right now” and “It is really the universal demand agenda”, European countries had no doubt his words were addressed to them. George W. Bush may have gone but parts of Old Europe are acutely sensitive to being lectured about the need for fiscal stimulus by the very country that many of them blame for having started the crisis.

»Peer Steinbrück, the German finance minister, reacted the next day with what came across – at least from a distance – as lofty disdain, implying that such a call was not worthy of discussion. “We are not debating any additional measures,” he told reporters. With the crotchety air of a dowager duchess sending a sub-standard amuse-bouche back to the kitchens, Jean-Claude Juncker, Luxembourg prime minister and chair of the “eurogroup” of finance ministers from the single currency zone, added sniffily: “The 16 finance ministers agreed that recent American appeals insisting Europeans make an added budgetary effort were not to our liking.”»

• Les Américains veulent de l’argent, encore de l’argent, toujours de l’argent à mettre dans les économies, pour relancer l’économie (la leur, principalement). Les Européens, mais surtout les Allemands, veulent la régulation des marchés, la chasse aux “paradis fiscaux”, bref l’attaque contre les bandits. «One finance official characterises this attitude as akin to that of a pugilist in a bar brawl. “You wait until a fight breaks out and then take a swing at the guy you have always wanted to hit,” the official says. “Whether or not he had anything to do with starting the fight is not the point.”»

• Cela a même rassemblé Merkel et Sarko sur cette question technique de la méthode de lutte, cette fois en un front commun contre les demandes des Américains. «Bashing unregulated financial capitalism in general and hedge funds in particular is sufficiently popular in continental Europe that this call even overcame the habitual froideur between Angela Merkel, Mr Steinbrück’s boss, and Nicolas Sarkozy, the French president. Later in the week, the two of them joined forces to argue that more rules rather than an open cheque book would be the way out of the financial crisis. Asked about the US push for stimulus, Ms Merkel pointedly responded: “This is the reason why we decided to speak with one voice today.”»

• Les commentaires, les bons mots et les allusions ne cessent de voler bas, principalement de la part des Européens vers les Américains. L’administration Obama, surtout avec l’insupportable et arrogant Summers (pas Tim Geithner, qu’on n’arrive pas à toucher au téléphone) a perdu pas mal de son lustre et beaucoup de sa popularité. On emploie des jugements comme “amateurs péremptoires”, “coupables impudents”, “irresponsables satisfaits” et ainsi de suite. «“The Europeans have developed this nice line: ‘The Americans are only asking us for money because they haven’t got the guts to ask Congress for it’,” says one hedge fund manager.»

• Et donc, au milieu de tout cela, le pauvre, pauvre Brown… «At the centre of this particular storm is the UK. A certain amount of schadenfreude can be detected outside the host country at its difficulties in achieving unity. It was Gordon Brown, prime minister, along with Mr Sarkozy, who insisted on portraying the last G20 summit in Washington in November as something akin to a new Bretton Woods, the 1944 conference that designed the postwar financial order. […] But this week, Mr Brown was forced to choose whether to break ranks with fellow EU leaders when they declared they had done enough for the moment on fiscal stimulus. Notably, he appeared to hold to the European consensus, despite tugs in the other direction from UK business leaders balking at the endless talk of remaking the global economic order…»

• D’où cette conclusion, très English, tasse de thé, pubs réservés aux hommes, arsenic & vieilles dentelles, et humour nonsensical pour cacher, après tout, une certaine amertume, peut-être celle d’un coup sans doute en train d’être raté (voir plus loin)… «Along the way, despite the superficial similarities to the late 1990s, some extraordinary reversals have happened. Washington is lecturing the world on the dangers of fiscal prudence. The IMF is begging Asia for money. And Mr Brown is prioritising European unity. These are strange times indeed.»

Les déceptions de Brown

Commençons notre commentaire avéré par cette citation, également extraite de l’article signalé du Financial Times, parce qu’elle situe bien la substance du problème de communication, donc problème ontologique pour notre temps de communication, créé par le G20 dans sa phase de préparation, – et qui est en train de devenir l’enjeu du G20. En effet, le G20 a tant promis dans la façon que les uns et les autres, pour des raisons diverses, ont employée pour le présenter, qu’on s’attend désormais à ce qu’il tienne, c’est-à-dire qu’il accouche d’une grandiose amélioration structurelle de la situation ; et si ce n’est pas le cas, nous risquons un effondrement de plus, comme à l’habitude, parce que la spéculation des esprits en attente aura été haussée à hauteur de promesses intenables et qui seraient finalement non tenues… «“They have fuelled the rhetoric of co-ordination but weakened the reality,” says one banker. “The markets are now expecting a lot from the G20 and there is a real risk they could destabilise the situation further if they cannot agree.”»

Il s’agit effectivement de cette terrible contrainte d’un temps de la communication où la rhétorique de communication est essentielle, et où elle s’éloigne d’autant plus de la réalité que la réalité imposée par la crise est affreusement contraignante, et qu’il faut pourtant paraître la maîtriser, et donc en rajouter encore plus. Ainsi naissent des enjeux que l’événement lui-même ne suscitait pas au départ, qui deviennent extrêmement contraignants; ainsi du G-20 dans sa dernière ligne droite, comme on dit en termes athlétiques.

…Ou encore, dit en d’autres termes par cet excellent article d’Alan Beattie, – qui, décidément, nous vole tous nos effets: «The tensions have one thing in common: although governments are talking global co-operation, they are being driven by their domestic constituencies.» On ne peut mieux dire; comparée à la rhétorique sur une époque globalisée, de coordination et de coopération, de partage des “valeurs” entre alliés, de la “famille occidentale” qu’on apprécie tant dans les salons parisiens, voici donc “la force des choses”.

La même “force des choses”, – suite et continuation, – est également active à l’occasion de la fuite d’un mémo du Foreign Office, lequel invite les divers participants au G20 à vaticiner à propos des considérations sur l’égalité des voix dans ces assemblées, sur la loyauté des débats, etc. Le mémo du Foreign Office invite ses fonctionnaires à considérer prioritairement onze pays et l’UE dans la préparation du G20, classant les sept autres (Canada, Mexique, Russie, Turquie, Indonésie, Australie and Argentine) comme “Tier two countries”, avec la considération qui va avec. (Notre French traduction: ceux qui comptent pour du beurre.) Ambiance.

Encore, toutes ces péripéties considérables, ces manœuvres importantes pour déterminer la suite de la lutte contre la crise, nous tiennent écartés d’autant de ce qui était devenu, à mesure de l’aggravation continuelle de la crise, l’enjeu central du G20, – qu’on dirait cette fois structurel, bien que non-dit; l’enjeu de la mise en place, forte ambition, d’une nouvelle structure, ou architecture financière et monétaire du monde. Mais lorsque le FT note la chose («It was Gordon Brown, prime minister, along with Mr Sarkozy, who insisted on portraying the last G20 summit in Washington in November as something akin to a new Bretton Woods») et qu’il accompagne cette observation du constat chez les autres de l’existence d’une certaine schadenfreude, qui est le mot allemand pour désigner «une joie provoquée par le malheur d' autrui», – on imagine ce qu’il faudrait attendre désormais de cette ambition.

Il semble que, d’une façon générale, pour l’ambition dans tous les cas, il y a désormais un certain temps que Gordon Brown est seul à la partager avec lui-même. Entretemps, Sarko est descendu, sinon du train, dans tous les cas dans les sondages. Son bel enthousiasme de l’automne s’est fané. Ses proclamation de novembre 2008 sur un nécessaire nouvel ordre du monde, capitalisme-casino envoyé aux oubliettes, sont envolées aux quatre vents. Sarko est retombé dans une période “bling bling”, en plus assez morose, se contentant de grappiller un séjour à l’œil dans un palace quelconque en marge tonitruante d’un voyage officiel. La gloire est redevenue petite.

D’ailleurs les acteurs de l’automne 2008 ont cédé la place. En même temps que Sarko, les Russes sont complètement en repli. Cette place faite nette a semblé une bonne occasion pour les Anglo-Saxons orthodoxes pour reprendre la main, en capitalisant sur le défi lancé par Brown-Sarko (un nouveau Bretton Woods), mais sans Sarko et les insupportables Français. Cela pouvait devenir, moyennant quelques aménagements, un replâtrage majestueux du système anglo-saxon, qui vient après tout de prouver par l’échec et la catastrophe qu’on pouvait difficilement faire plus fort, plus lourd, plus déstabilisé, plus nihiliste, plus globalisé que lui. Il a toutes les qualités requises. Ces références vous posent pour être désigné par acclamations pour poursuivre l’effort, ou pour le relancer dans ce cas. La condition sine qua non, bien sûr, ce sont les “cousins” d’Outre-Atlantique. Avec eux à la barre, effectivement, on peut imposer un nouveau Bretton Woods qui relance le système anglo-saxon. Mais il faut que Washington marche, – et là…

Les fureurs proclamées des Wolf et des Kaletsky concernent évidemment ce manquement de Washington. Comme d’habitude, les Américains semblent devoir faire faux-bond aux Britanniques avec leurs rêveries diverses d’empire prolongé par USA interposés. Curieux, cet entêtement britannique à ne pas comprendre que les USA sont prioritairement, sinon exclusivement intéressés par leur propre situation, et fort peu par la situation du Rest Of the World. Par conséquent, Obama s’intéresse à la situation économique aux USA mêmes, sans s’occuper de la situation de l’emploi au département du trésor. Le téléphone des Britanniques continue à y sonner, en désespoir de cause.