BHO, Sarko & les autres

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BHO, Sarko & les autres

6 juin 2009 — Les préparatifs des cérémonies de commémoration du débarquement du 6 juin 1944 ont été l’occasion de divers incidents entre les présidents français et US. Il y a eu l’incident de l’invitation, ou de la non-invitation de la Reine d’Angleterre, amenant une intervention de BHO, le tout se terminant par une mesure de compromis avec la venue de Charles, le Prince de Galles. D’une façon générale, les ricanements ont été considérables en France, ridiculisant le comportement de Sarkozy (par exemple: «Obama ridiculise Sarkozy», dans Marianne2, le 3 juin 2009). D’un autre côté, l’intervention de BHO, qu’elle soit justifiée sur le fond comme il pourrait sembler qu'elle soit, est assez étrange dans la mesure où elle interfère directement dans une affaire qui est de la compétence et pourrait-on dire si l’on voulait être emphatique, de pure “souveraineté“ française; elle pourrait être qualifiée, selon l’état d’esprit qu’on a et considérant qu'elle a été étalée sur la place publique, d’inappropriée, de maladroite, de cavalière, voire d’insultante.

D’autre part, il y a le refus d’une invitation à dîner des Sarkozy à l’intention des Obama résidant à Paris le 5 juin, chose devenue publique et que commente donc diversement et d’une façon voyante et gênante pour les protagonistes la presse en général. (Voir Charles Bremner, du Times de Londres, le 5 juin 2009: «The Obamas turn up in Paris this evening, but have declined a dinner invitation from the couple next door: the Sarkozys. President Obama’s reluctance to spend more than minimum time with the French leader on his visit for the D-Day anniversary has come as an embarrassment to the Elysée Palace.»).

Cette attitude de BHO n’est pas une réelle surprise, et elle se marque surtout, voire exclusivement, vis-à-vis des dirigeants européens. Aljazeera.net note ce 6 juin 2009, où il nous semble que le fait importe plus que l'interprétation du porte-parole: «Relations between Merkel and Obama are said to be strained, but Ulrich Wilhelm, a spokesman for Merkel, insisted that since their co-operation during the Nato conference in April, the two leaders have built a strong working relationship.» Le site Blue Star Chronicle (site US de tendance républicaine, pas vraiment tendre pour BHO) rappelait le 24 mars 2009 une attitude également assez leste d'Obama vis-à-vis de Berlusconi. Il y a l’incident, gaffe ou ignorance coupable c’est selon, de la lettre envoyée à Chirac comme si Chirac était encore président (voir The Atlantic Council du 23 mars 2009), la critique de BHO par Sarko à propos de la Turquie, après l'incitation d'Obama faite à l'UE d'intégrer la Turquie. Auparavant, il y avait eu un incident du même genre entre BHO et Brown, toujours à l’initiative de BHO. Sans doute oublie-t-on d’autres gâteries du genre mais nous en savons assez pour embrasser le climat transatlantique.

Le même Blue Star Chronicle écrivait hier, le 5 juin 2009:

«All of these changes in relations with European leaders can be attributed to one of two things. Either Obama really doesn’t care that much for the leaders of Europe, or he really doesn’t know how he’s supposed to behave in these situations. I have thought that surely he has a czar of protocol, seeing as he has a ‘czar’ of everything else. Such a protocol chief would go a long way in helping Obama avoid embarrassing gaffes and appearing like ‘the Beverly Hillbillies Go to Europe’. A protocol office would buy gifts and prepare the President in the proper protocol for each country he visits or leader who visits here. But then, maybe he doesn’t. Of course, if he just doesn’t like Europe or its leaders, then learning proper protocol wouldn’t make any difference.

»His insults to world leaders seem to be pretty much universal… with the exception of the muslim world.»

Ecce homo

Tentons de séparer l’essentiel de l’accessoire et fixons-nous sur Sarko-BHO et leurs querelles diverses, jusqu'à celles du séjour français de celui qu'on surnommerait pour l'occasion “Obama beach”.

Les dirigeants postmodernes sont ce qu’ils sont, d’une trempe assez consternante, habités par le seul goût de l’apparence parce que désespérément dépourvus de substance et habités par une ignorance abyssale des conditions de la crise du monde; sans le moindre sens du tragique et considérant le système du monde comme maîtrisé par la prétention humaine à le faire, et eux avec; le discours morne, plat, d’un conformisme à ne pas croire; le comportement terne ou bien excessif, qui n’accorde, dans un registre ou l’autre, plus aucune attention à la dignité de leur fonction et à leurs obligations régaliennes. Bref, le “dernier homme” selon Nietzsche (ou la “dernière femme”, pour les féministes).

De ce point de vue, notamment du comportement postmoderne excessif, Sarko est sans aucun doute l’un des prétendants suprêmes dans le champ des attitudes détestables et indignes. Il peut être excellent dans certaines circonstances qui favorisent ses rares mais solides qualités de culot, d’opportunisme et de volontarisme de bas étage, et il l’a été durant sa superbe président de l’UE comme lors de ses premières réactions à la crise 9/15; hors cela, l’homme reste d’une médiocrité exceptionnelle et suit souvent, dans ses périodes de basses eaux où la vedette lui échappe, une conduite autoritaire d’encore plus bas étage, sans réelle autorité. Cela conduit à l’arbitraire de pacotille et à une indifférence remarquable pour la dignité de sa fonction. Ecce homo, – et avec de quoi susciter l’irritation, et bien pire encore. La grotesque aventure de l’invitation/non-invitation à Sa Très Gracieuse Majesté, d’après ce que nous en savons et sans qu’il soit nécessaire d’en savoir plus, est de cette trempe; sans gloire, sans panache, sans dignité, sans rien du tout.

Barack Obama, lui, est d’une autre trempe. On l’a déjà souvent dit sur ce site, il y a chez cet homme des qualités assez rares qui tranchent sur le reste. Certaines audaces, pas plus tard qu’avant-hier (le 5 juin 2009 sur notre Bloc-Notes), sont complètement exceptionnelles lorsqu’on en mesurera le poids sur la durée, dans leur contribution à la déconstruction d’un système absolument diabolique. Pour autant, sa conscience de la chose, de cette attaque fondamentale contre le système, ne nous paraît en rien impérative, et sans doute effectivement très faible, et nous précisons bien la chose à chaque occasion, tout comme nous précisons bien que l’effet de son action, dans le cas idéal où elle s’achèverait par un succès, le serait finalement à notre sens au contraire de ce qu’il recherche… Citons ceci, de ce même texte du 5 juin 2009:

«Peu nous importe la vertu ou pas d’Obama, qui anime tant de débats de philosophes de salon et de l’instant immédiat dont notre planète fourmille. Nous importe en ce cas qu’Obama est, bien plus qu’un autre dirigeant, l’instrument extrêmement efficace d’un courant historique qui, par des voies tortueuses (dans ce cas, la nécessité d’un rapprochement avec l’Iran), et sans pour autant que l’intéressé comprenne nécessairement toutes les implications de ses actes, porte des coups au système. […] En ce sens, Obama est vraiment gorbatchévien dans le sens où il est, bien sûr et en bonne partie, “maistrien” également… Il ne sait pas vraiment où il va, sauf qu’il lui importe de faire sauter certains verrous.

»Car si Obama est vraiment “gorbatchévien”, ce qu’il faut comprendre, et que certains de nos lecteurs semblent parfois oublier, c’est qu’il va tuer le système bien plus sûrement que s’il ne l’était pas, et en ignorant en fait qu’il le fait. […] Si BHO est comme Gorbatchev, il croit, comme lui, qu’il peut réformer le système et va s’y employer et, comme Gorbatchev, va mettre le feu aux poudres d’une façon qu’il ne peut évidemment prévoir, avec d’autant plus d’alacrité qu’il jure et croit ne pas le faire.»

Obama est brillant, certes, mais il ne maîtrise pas la destinée du monde, il peut tout juste y contribuer, peut-être décisivement, en facilitant l’effondrement du système. Mais, là aussi, ecce homo… Il y a les revers de son brio. Sa distance vis-à-vis des choses, sa capacité de maîtrise, non du monde ni du système mais des circonstances (ces circonstances pouvant effectivement conduire à une attaque contre le système), implique une qualité générale dont le revers sombre peut être l’assurance excessive de soi, voire l’arrogance. On ne peut dire que les interventions qu’on a détaillées ci-dessus ressortent de son côté lumineux; or, bien qu’elles soient d’un pied dans l’anecdotique, notamment en raison des circonstances, voire de la personnalité et du comportement des autres dirigeants incriminés, il reste que certaines de ses attitudes constituent des actes inamicaux, voire insultants pour un pays qui le reçoit. Il manque à Obama une certaine expérience, une certaine sagesse, – celles qui faisaient qu’un de Gaulle, quand il disait quelque chose comme “moi, la France”, paraissait plus humble qu’orgueilleux; il avait compris ou plutôt senti d’intuition, de Gaulle, que le grand homme d’Etat, le grand homme de l’Histoire, est d’abord celui qui prend conscience que sa tâche ultime est celle d’être identifié à une grande cause, à une grande nation, à un courant grandiose de l'Histoire, et qu’un tel cas n’est pas un motif de gloire personnelle mais un devoir d’humilité devant le fardeau qu’il a à porter, à être identifié à une gloire collective et historique. De ce côté, BHO est encore un peu jeunet, un peu “green shoots” si vous voulez. Il faudrait notamment qu’il lise Maistre, – qui, nous le lui signalons, a été largement traduit en anglais.

Terminons par notre paradoxe coutumier. Toute cette salade indigne, où les dirigeants du monde se montrent sous des jours blafards, comporte pourtant quelques tours avantageux, ou conséquences intéressantes; il suffit de bien l’assaisonner, après tout. Il est vrai que l’attitude d’Obama vis-à-vis des dirigeants européens n’invite par ces dirigeants à l’indulgence vis-à-vis des USA. Certains envisagent même qu’à cause de ce climat, et compte tenu du contexte de crise où les violons divers ne s’accordent guère, leurs relations personnelles et directes avec Obama soient (encore?) moins bonnes que n’étaient celles qu’ils avaient avec Bush. Cela compromettrait largement les grands projets de rapprochement transatlantique dont on parle parfois de façon insistante. Comme ce type de projet n’a strictement aucune nécessité et cohérence propres, c’est la rhétorique des milieux d’influence, et l’acquiescement des dirigeants qui y poussent; des mauvais rapports entre ces dirigeants auraient effectivement un poids important. Cela pourrait pousser certains dirigeants européens, plutôt qu'à se jeter avec une grandiose sottise dans les bras des USA, à effectivement envisager des politiques plus indépendantes des USA, au moins par acrimonie sinon par sagesse.