BHO, ou l’intégration réussie de l’hybris apocalyptique

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BHO, ou l’intégration réussie de l’hybris apocalyptique

Avec Obama, le premier président africain-américain, on pourrait conclure que l’intégration des Noirs américains est une tâche achevée. Bref, BHO n’est pas Malcolm X, tant s’en faut, il en est même la pâle caricature et la contradiction complète : son intégration parfaitement réussie l’est dans le système de l’américanisme, c’est-à-dire dans le Système lui-même, c’est-à-dire dans la stupidité criminelle de la puissance. (Malcolm X, – tout comme Martin Luther King dans les derniers mois de sa vie, selon certains commentateurs, – avait compris que la véritable émancipation des Noirs aux USA passait par une bataille contre le système de l’américanisme, ou le Système selon nous. L’intégration aus USA, dans les système de l’américanisme, cela consistait pour les Noirs à troquer un esclavage pour un autre, bien plus redoutable, qui est l’esclavage du Système, toutes couleurs confondues...) On sait d’ailleurs que le Système, dont l’américanisme (ou l’anglosaxonisme) est le meilleur véhicule, a rejeté complètement le racisme au profit du suprématisme (voir notamment notre texte du 15 octobre 2013, et la référence à Arnold Toynbee) ; Obama peut donc en toute quiétude être présenté comme l’exemple désormais suprême de l’affirmation du suprématisme. (Il faut rappeler que ce sentiment de suprématisme est lié au trait psychologique fondamental de l’hybris, cette démesure dénoncée par les Anciens et caractérisant l’idéal de puissance qui habille l’action du Système de ce qui est perçu comme une dimension inspiratrice, qui en est en fait une représentation tendant à faire entrer cette action dans une conception idéalisée convenant mieux au sapiens courant. Certes, tout cela n’est au bout du compte que simulacre, le Système restant le Système, et se définissant par la production brute de la surpuissance qui recèle son double de l’autodestruction.)

Obama a donc montré hier sa parfaite configuration américaniste, lors d’une interview où il a affirmé, sans doute avec une intense satisfaction, que le déploiement de nouvelles forces US en Europe ne posait aucun risque (d’affrontement avec les Russes). La cause en est simple : les Russes n’oseraient pas affronter les Américains dont ils savent parfaitement qu’ils leur sont infiniment supérieurs. Sans décortiquer tout ce que cette affirmation a de profondément stupide et de stupidement criminel, à l’image de l’hybris et du Système lui-même, Jason Ditz, qui présente rapidement cette affirmation de BHO dans Antiwar.com le 18 avril 2014, observe qu’une telle conception peut mener, tout simplement, à un échange stratégique nucléaire. Ce n’est pas nouveau pour nous (voir le 3 mars 2014), – sinon, dans ce cas, la mesure de l’ampleur stupéfiante de la stupidité et de l’inculture des robots-Système qui nous tiennent lieu de dirigeants, et par conséquent, au-delà et pour en revenir à la vérité de la situation, la réalité du risque couru de la possibilité d’un tel affrontement.

«In a high-profile interview today, President Obama downplayed the military risks of plans to deploy US ground troops to Eastern Europe, saying Russia wouldn’t dare confront the US militarily and knows the US troops are “significantly superior.” [...]

»At the same time, there is a very real risk that as the US pushes further and further eastward in Europe, they could precipitate a clash with the Russians at any rate. Any conventional US military advantage is likewise muted by both sides having enough nuclear weapons to exterminate the entire human race many times over. President Obama’s fascination with repeatedly needling Russia on the issue is also of concern, as he has made multiple statements mocking Russia‘s comparative military weakness, and following them up with demands for Russia to return Crimea to the Ukrainian interim government.»

Dans cette intervention, Ditz ne va pas jusqu’à contredire complètement Obama puisqu’il convient que les dépenses militaires US sont “far superior” à celles de la Russie, ce qui lui semble suffisant pour justifier le jugement d’Obama («The US, of course, spends roughly ten times what Russia does annually on its military, and much of Russia’s military arsenal remains leftovers from the Cold War»). On sait que nous avons une tout autre appréciation. Les dépenses du Pentagone (en réalité, autour de $1 100 milliards par an), cette immense usine à gaz suprématiste, représentant une sorte d’achèvement du gâchis, de la corruption, de l’inutilité, dans le chef d’une gestion catastrophique et de choix humains et technologiques à mesure, ne témoignent de rien d'autre que de l'inefficacité économique totale à laquelle peut prétendre le Système lorsqu'il n'est plus tributaire d'aucun frein. Les forces armées des États-Unis ont prouvé, en Irak, en Afghanistan et en d’autres occasions, qu’elles étaient capables de l’exploit le plus exceptionnel dans l’application sur le terrain du plus mauvais rapport possible entre le coût et le travail qu’elles exigeaient pour leur constitution et l’efficacité et la qualité qu’elles restituaient dans leur action. En Irak et en Afghanistan, les USA ont perdu deux guerres par simple absence de la capacité d’imposer leur conception de la guerre, simple impuissance à reconstituer le concept de ce qu’est une “victoire” en étant bloqués dans l’obsession de la destruction, contre des adversaires dont le “budget militaire” (pour les opérations impliquées) est plutôt cent fois ou mille fois inférieurs au leur, que dix fois comme l’est le budget russe. Mais Obama ne fait que reprendre le langage automatique des dirigeants américanistes, de Madeleine Albright (voir son intervention auprès du général Powell en 1994 : «What's the point of you saving this superb military for, Colin, if we can't use it?») aux neocons et à tant d’autres, sur la supériorité militaire US, sur l’excitation quasiment sensuelle à agiter cette image d’Epinal de la supériorité militaire US, – langage qui est surtout le fait de civils idéologiquement exaltés et n’ayant jamais porté l’uniforme, jamais manié le fusil, jamais rencontré le “brouillard de la guerre” et tout ce qui va avec dans le cortège des souffrances et des destructions.

Le sentiment d’Obama sur les Russes est-il celui des militaires US eux-mêmes ? On sera plus réservé dans la réponse qui nous semble probable. Les militaires US se doutent parfois de quelque chose, quand il s’agit des Russes. Ils savent tout de même que, contrairement à ce qu’enseignent les manuels scolaires du bloc BAO et ce qui se dit dans les talk shows, ce sont les Russes qui ont gagné la Deuxième Guerre mondiale en Europe au prix d’un effort inouï qui leur coûta 27 millions de morts : fin 1943, après les batailles de Stalingrad et de Kharkov contre l’Armée Rouge, la puissante Wehrmacht avait sa colonne vertébrale brisée et perdu à jamais ce qui avait fait d’elle la plus formidable machine de guerre de l'histoire. Et il s’agissait bien des Russes : l’URSS ne commença à offrir une résistance efficace aux Allemands qu’à partir du mois d’août 1941, après que Staline, qui s’était psychologiquement effondré devant l’attaque allemande, fit son fameux discours où il en appela au souvenir de la Sainte-Russie, de ses gloires militaires comme Koutouzov, de sa ferveur spirituelle, etc., bref en liquidant tout l’appareil dialectique du marxisme-léninisme au profit du patriotisme russe. Si l’on en reste au niveau conventionnel, c’est cela que des forces US en Europe devraient affronter, sur des espaces considérables où se perdent les technologies les plus sophistiquées, avec contre elles un appareil militaire dont les généraux US ont pu apprécier avec surprise la souplesse d’action jusqu’à la discrétion proche de l’invisibilité qui ménage la surprise, la coordination, l’efficacité, etc., lors de l’affaire de Crimée (voir le 24 mars 2014). Au reste, l'on sait qu'il va falloir d'abord que ces forces armées trouvent simplement des soldats pour les envoyer en Europe, si l'on considère leur état actuel...

L’un des grands dangers de cette crise ukrainienne est certainement la méconnaissance et le mépris où les dirigeants et les élites-Système du bloc BAO, particulièrement américanistes, tiennent la Russie dans tous les domaines, et particulièrement le domaine militaire. Le suprématisme est, à cet égard, une marque fondamentale de la psychologie-Système. BHO a bien mérité du Système, ce qui nous pousse plus que jamais à espérer, sinon à recommander, que, dans l’“alternative du Diable” (voir le 14 avril 2014), la phase ultime de l’effondrement du Système se manifeste au plus vite.


Mis en ligne le 18 avril 2014 à 10H26