BHO a-t-il offert la tête de Hagel à son “Iago” ?

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BHO a-t-il offert la tête de Hagel à son “Iago” ?

Nous citons ici Robert Parry qui recherche la cause profonde de la démission de Chuck Hagel, qui est bien entendu perçue comme une liquidation voulue et préparée du secrétaire à la défense par le président. (Ce qui n’est pas nécessairement, et certainement pas aussi abruptement, notre analyse [voir le 25 novembre 2014.) La thèse de Parry est en général partagée par nombre de commentateurs antiSystème (The Nation, Wayne Madsen, etc.) : il s’agit d’un acte d’“allégeance” d’Obama vis-à-vis des neocons, ceux dont il est entouré dans son administration et ceux dont il subit l’influence de l’extérieur. L’idée se poursuit en disant : le départ de Hagel promet une intensification des actes bellicistes, provocateurs, etc., bien dans la manière des neocons.

(Sur ce dernier point qui est purement opérationnel, nous le disons encore plus précisément, nous sommes beaucoup plus nuancés jusqu’à en nier, ou mieux, en dénier la pertinence, pour la simple raison que Hagel n’a joué aucun rôle dans l’élaboration de la politique, et n’a servi en rien de frein au déchaînement neocon, – sauf peut-être dans l’affaire de Syrie en août-septembre 2013 où sa probable menace de démission en cas d’attaque US a certainement pesé, – mais alors, il n’était pas seul dans cette position d’opposition. On sait bien que c’est justement son impuissance, son isolement, son incapacité de mener sa propre politique et d’interférer dans la politique maximaliste des neocons, qui ont conduit à son élimination qui répond à un profond découragement dans son propre chef [voir ce qu’en dit McCain.]. Le départ de Hagel ne change en rien le rapport des forces, qui est tout entier au bénéfice des neocons comme il l’a été depuis deux ans, et alors tout sera déterminé non pas par une volonté prédatrice et déstructurante plus grande, mais par la question des moyens disponibles d’une part, et par le rythme des sottises et maladresses extraordinaires de la politique neocon d’autre part.)

Mais ce qui nous intéresse particulièrement dans le texte de Parry (dans ConsortiumNews, le 24 novembre 2014), c’est son analyse du mystère qu’est pour lui l’allégeance d’Obama aux neocons alors que, toujours selon Parry qui a d’excellentes sources, le même Obama a conscience de la stupidité destructrice de cette politique. Un long passage de son texte concerne cette question, articulé autour d’un événement spécifique, dont il a manifestement eu la révélation et les détails par une source proche de la Maison-Blanche ; il s’agit d’une occurrence des relations entre Obama et Robert Kagan, au cours d’un déjeuner réunissant les deux à la Maison-Blanche. (Kagan Robert, mari de Victoria Nuland et “inspirateur” intellectuel du mouvement neocon de très grand poids, – Kagan est très glouton dans ses sorties-restaurant.) Dans les détails se cache le diable, comme l’on sait d’après le dicton, – “the devil is in the details” disent les Anglo-Saxons, curieusement par rapport au même dicton français mesurant les différences symboliques par inversion, qui dit que “le bon Dieu est dans les détails”.)

Voici le passage de Robert Parry sur le cas Obama-Kagan, ou bien Obama qui figurait Iago à Brisbane, dont on découvre qu’il a lui-même son Iago dans la personne de Kagan... Parry vient d’observer qu’Obama sait bien que la sagesse de la modération et du réalisme, du côté des conseillers, se trouve du côté de ceux qui ne sont pas des références-Système, qui ne tiennent pas le haut du pavé du parti des salonards, qui n’ont pas un statut mondain pseudo-intellectuel (Parry parle de credentials) très célébré et affirmé... Et pourtant...

«But Obama has been unwilling – or possibly unable – to come to grips with this reality. Despite his personal intelligence and rhetorical skills, Obama never has been willing to challenge people cloaked in credentials – those who went to the best schools, worked at big-name firms, won prestigious awards or held fellowships at famous think tanks. The tragedy of Obama is that I’m told that he understands the stupidity of the modern U.S. establishment and does sometimes consult with “realists” who offer practical advice for how he can resolve some of the most nettlesome problems facing the United States around the world. But he does so virtually in secret, with what politicians like to call “deniability.”

»Obama operates one foreign policy above the table – pounding his fist along with the neocons against Syria, Iran and Russia – and another foreign policy below the table, dealing with adversaries in ways necessary to confront global challenges, such as collaborating with Iran to counter the Islamic State in Iraq and Syria and with Russia to address challenges with Iran, Syria, Libya and elsewhere. Yet, while keeping such pragmatic overtures under the table, Obama reaches out publicly to neocons who have been implicated in some of the worst disasters in the history of U.S. foreign policy — but who have “credentials.” For instance, earlier this year, Obama was stung by criticism from neocon ideologue Robert Kagan, who had published a long essay in The New Republic promoting the need for more U.S. interventionism around the world.

»Obama could have dismissed Kagan’s New Republic article as the pretentious pontifications of a blowhard whose career began as a propagandist for Ronald Reagan’s Central American policies in the 1980s and included, in the 1990s, co-founding the Project for the New American Century, which called for invading Iraq, an illegal war that was launched in 2003, propelling America into the current catastrophes now swirling around the Middle East. But Obama apparently couldn’t get past all of Kagan’s “credentials,” including his current work at the prestigious Brookings Institution and his writing for the oh-so-impressive New Republic. So, Obama invited Kagan to lunch at the White House, a cozy get-together that one observer described as a “meeting of equals.”

»Yes, the twice-elected President of the United States and his “equal,” one of the co-founders of the neocon Project for the New American Century. The New York Times reported that Obama even shaped his foreign policy speech at the West Point graduation in May to address criticism from Kagan’s New Republic essay, “Superpowers Don’t Get to Retire.”

»You might think that the only reason to invite one of the Iraq War architects to the White House would be as a “sting operation” to arrest him and trundle him off to The Hague for prosecution for war crimes. After all, the justices at the post-World War II Nuremberg Tribunals deemed aggression – starting an unprovoked war – “the supreme international crime differing only from other war crimes in that it contains within itself the accumulated evil of the whole.” And we have certainly seen that “accumulated evil” get unpacked. Yet, Obama courted Kagan as a respected “equal,” according to one source familiar with the behavior of the two men at lunch. Although as a journalist I try not to react viscerally to what I hear, the phrase “a meeting of equals” brought the taste of vomit to the back of my throat.

»I couldn’t help but recall the reported outburst by President Abraham Lincoln after his reelection as he struggled to secure the necessary votes for passing the Thirteenth Amendment to abolish slavery: “I am the President of the United States, clothed with immense power, and I expect you to procure those votes” (as recounted years later by Congressman James Alley). However, after also winning the presidency a second time, President Obama couldn’t seem to find his inner Lincoln.

»In trying to understand what makes Obama tick, I have often been struck by how he seems awed by credentials, perhaps because credentials were the key to his unlikely rise from an obscure and exotic background to edit the Harvard Law Review, to build an academic career, to gain a U.S. Senate seat, and to win the presidency of the United States. Along the way, he got “blessed” by many of the “right” people and never strayed too far from the safety of the “establishment.” Even as a twice-elected president, Obama seems captive to this high regard for people with credentials, even when the system awarding those credentials daily demonstrates its extraordinary levels of corruption, cruelty and outright stupidity...»

Ce passage est fascinant parce qu’il mêle des révélations précises, des considérations sur un caractère (celui d’Obama), des appréciations sur une influence (celle de Kagan) à la fois impérative et diabolique dans sa forme d’une occurrence sociale, à la fois grossière et stupide dans ses effets d’une politique déstructurante. C’est ce que nous avons résumé plus haut selon une formule qui pourrait être “Iago rencontrant son propre Iago” (plus haut : “Obama qui figurait Iago à Brisbane, [...] qui a lui-même son Iago dans la personne de Kagan”)... Tout cela, certes, renvoie pour le fond du propos à notre texte du 18 novembre 2014, «Iago, l’impromptu de Brisbane».

Ici, nous devons rappeler ce que nous pensons finalement des neocons, ce groupe d’influence finalement assez réduit en nombre authentifié, qui accumulent absolument les catastrophes dans les politiques qu’ils influencent, qui sont en général moqués, critiqués, etc., par les critiques sérieux, dont on annonce à intervalles réguliers la disparition, – et qui, pourtant, non seulement survivent, mais tiennent le haut du pavé et restent l’influence déterminante. Plus encore, il essaiment partout et l’on parle de neocons de toutes les nationalités du bloc BAO, notamment les neocons français en col-cravate du Quai d’Orsay, fréquentant les BHL-Glucksman eux-mêmes neocons-salonards en cols échancrés et tricots usés, etc. Notre conclusion à leur propos est que les neocons ne représentent ni un groupe d’influence, ni une idéologie, ni un complot, ni les représentants d’une puissance à peine cachée (Israël sous la forme de lobbies, diverses forces du type-Soros, etc.). Les neocons sont le Système lui-même, ou plutôt pour bien différencier l’anti-substance de l’anti-essence, les “idiots utiles” les plus proches du Système jusqu’à s’y assimiler complètement, fourmillant, jacassant, vociférant, excommuniant, mettant à l’index ; extraordinairement actifs, impudents à ne pas croire, intrusifs, se foutant du tiers comme du quart des catastrophes qu’ils sèment parce qu’en vérité leur fonction est d'agir selon l'impulsion du Système sans se préoccuper des effets, – tout cela au nom du Système et adoubés par le Système. Cela, comme nous écrivions le 27 octobre 2014 :

«Dans cette “situation” des conceptions qui ont accompagné et orienté la politique extérieure et de sécurité nationale des USA, ou ce qui en tient lieu, depuis un quart de siècle et “La fin de l’histoire ?” de Fukuyama remis dans sa vraie signification, nous avons été amenés à considérer les neocons (et les assimilés comme les R2P) non comme un groupe d’influence ou/et un groupe idéologique, mais bien comme les plus purs représentants du Système. Cela signifie ainsi qu’ils sont également, objectivement considérés selon une interprétation-Système de leurs comportements et de leurs diverses variations, des “lanceurs d’alerte” inconscients et involontaires de la situation du Système. Ils expriment le Système puisqu’ils sont indissolublement liés à lui comme on l’a vu à propos de l’équation surpuissance-autodestruction. Cela explique qu’ils n’ont jamais disparu de la scène politique malgré le discrédit systématique que les vérités de situation successives ont infligé à leurs thèses et aux entreprises dont ils ont fait la promotion.»

Ainsi BHO recevant Kagan, c’est un Iago assez nouvellement venu recevant un Iago déjà chevronné, un adjoint récent du diable recevant un adjoint-vieux briscard du diable. Que le déjeuner se fasse “entre égaux” est la moindre des choses, presque une concession que Kagan veut bien faire à Obama, puisque l’autre est effectivement porteur du “bling-bling” général de la fonction présidentielle. Pendant ce temps, le pauvre Parry s’étouffe de rage, au bord du vomissement (“l’expression ‘une rencontre entre égaux’ m’a fait venir le goût du vomi dans le fond de ma gorge”).

Bien, on ne signifie pas que le diable (Kagan) visite son adjoint (Obama). Ce ne sont que des Iago (Iago-I vient à la Maison-Blanche pour voir et éventuellement remonter les bretelles de Iago-II), et tous les Iago du monde ne sont que les créatures, ici dans le chef de Shakespeare qui s’y connaissait, les plus proches du Mal (du diable, du Système, – au choix), donc les plus favorisées pour transmettre cette influence-là. Symbolique, tout cela ? Images pour faciliter le propos ? Allez savoir ... Mais non, c’est tout vu : il s’agit bien d’un propos qui s’appuie sur l’hypothèse du Mal et de l’influence que le Mal dispense. A cette lumière qui ne satisfait certainement pas la raison-subvertie (subvertie par le Système) parce que le pot-aux-roses n’est pas sa tasse de thé, les étrangetés, les incohérences, les folies de notre époque retrouvent un rangement et une raison d’être et de faire. Une vraie raison humaine, celle qui est hors de la subversion du Système, devrait pouvoir envisager cela.

En attendant, Hagel s’en est allé et BHO a donc présenté la tête du secrétaire à la défense aux neocons qui ont fêté la chose dans une bacchanales de communication dont ils ont le secret. Ave, Iago...


Mis en ligne le 26 novembre 2014 à 10H54