Banalisation antiSystème de la crise

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Banalisation antiSystème de la crise

16 août 2013 – Nous voulons développer une observation que nous faisons, à la lumière de plusieurs éléments disparates que nous développons plus loin, d’un processus de “banalisation de la crise” (évidemment antiSystème), de la crise Snowden/NSA aux USA. Signalons aussitôt, avant de développer le fait plus loin également, que ce processus ne se place pas en position antagoniste du constat que nous avons fait le 14 août 2008 de “l’aggravation de la crise”. Il en est au contraire la conséquence et en devient le complément : par “banalisation”, nous entendons l’intégration de la crise dans les situations structurelles courantes du système de l’américanisme, amenant à des changements d’orientation, de position, etc., souvent remarquables.

Nous pensons également que ce processus est la conséquence conjoncturelle directe de l’intervention du président Obama lors de sa conférence de presse du 9 août, d’ailleurs dans le sens que nous constations dans notre texte du 12 août 2013, avec le développement de l’idée contenue dans ce constat que nous faisions en introduction du texte: «C’est le cas de cette conférence de presse du 9 août 2013 où il a notamment parlé de ses projets de “réforme” de la NSA, sur un ton d’une telle suffisance qu’il a conduit même ses plus sûrs alliés de la presse-Système à dénoncer le vide de ses propositions en même temps que son attitude (ou bien, dans le processus psychologique, son attitude les conduisant à dénoncer le vide de ses propositions). Une fois n’est pas coutume, mais c’est bien dans des organes de la presse-Système qu’on trouve quelques-unes des critiques les plus incisives et les plus violentes à l’encontre de l’intervention du président US...»

En effet, l’élément le plus important de cette conférence de presse en fut, finalement, le principe fondamental qui a sous-tendu sa logique de tentative d’étouffement et de dissolution de cette crise. En tentant cette manœuvre, Obama a été obligé de poser comme principe de son intervention la reconnaissance du fondement de la crise. Pour dire qu’il est nécessaire que les Américains soient “plus à l’aise” avec l’activité globale et sans restriction de surveillance et d’écoute de la NSA, et qu’il fera tout ce qu’il peut dans ce sens, il lui fallait accepter justement ce principe qu’il y a effectivement une “activité globale et sans restriction de surveillance et d’écoute de la NSA”... Dont acte, la chose effectivement actée, de façon officielle et catégorique, sinon solennelle, la crise existe dans toute l’ampleur décrite par Snowden. Elle est banalisée, et l’on se rend compte à cette lumière que c’est le contraire d’un étouffement et d’une neutralisation de la crise dans ses aspects brutaux d’antagonisme et de révélations à répétition. C’en est au contraire le complément, puisqu’un socle d’intégration de la crise existe désormais, “légalisant” en quelque sorte cette crise et son aggravation potentielle. Mais, bien entendu, l’intervention d’Obama est conjoncturelle et n’a fait que révéler une situation structurelle potentielle de l’effet extraordinaire exercée par cette crise sur les USA, et notamment les divers éléments-Système du centre washingtonien.

Maintenant, examinons quelques faits et signes qui, aussitôt, ont montré la banalisation de la crise, son entrée dans “la vie de tous les jours”, jusqu’à même délier certains centres-Système de pouvoir ou de communication de leur alignement automatique sur la consigne implicite du Système : dénier la crise, tenter de la détourner, refuser d’aborder certains de ses aspects les plus polémiques, traiter par le mépris terrorisé que représente le silence ses aspects les plus polémiques...

• Le cas du New York Times (NYT) est remarquable. On sait que le “quotidien de référence” quasiment du monde globalisé, ou dans tous les cas du bloc BAO, suit en général aveuglément le pouvoir US, surtout depuis 9/11. Il a donc suivi BHO et la défense radicalisée contre Snowden-Greenwald avec diffamation permanente des deux hommes, et contre la mise en cause de la NSA. Mais depuis la conférence de presse du 9 août, le NYT a marqué par plusieurs interventions qu’il abordait désormais une ligne critique de BHO et de la NSA complètement inédite par rapport à ce qui a précédé. Savoir si cette inflexion durera (devenant ainsi un tournant) ou ne sera que temporaire est pour l’instant impossible. Notre appréciation est que le NYT, bien dans son attitude générale plutôt couarde et prudente, suivra désormais deux lignes : une ligne de soutien au pouvoir en prenant ses distances de l’aspect NSA de la crise, et une ligne de “banalisation” en poursuivant une critique de la NSA ; mais l’une des deux lignes prendra de plus en plus le pas sur l’autre, selon les circonstances, et notre sentiment de l’aggravation constante de la crise et de l’isolement grandissant du gouvernement favorise la deuxième ligne.

Les signes de cette inflexion-banalisation se trouvent dans ce que nous avons signalé le 12 août 2013, mais aussi dans plusieurs articles qui introduisent une dimension sacrilège par rapport à la ligne précédente. On notera surtout l’interview d’Edward Snowden par Peter Maass, le 13 août 2013 dans le NYT, qui introduit une véritable dimension sacrilège pour la ligne précédente du NYT en donnant la parole à Snowden, comme s’il s’agissait d’un acteur respectable de la crise, qui mérite d’être entendu, alors qu’il était considéré jusqu’ici comme un “traître” qui ne méritait que l’opprobre et surtout en aucun cas d’avoir la parole dans le NYT. En complément, il y a un long article du même Maass sur Laura Poitras, cinéaste et journaliste d’investigation dissidente, qui est l’équipière de Glenn Greenwald dans cette affaire Snowden depuis le début (voir le 13 août 2013, sur le site du NYT, reprise d’un article du New York Times Magazine en date du 18 août). Le site Moon of Alabama (MoA) indique cette nouvelle orientation du NYT, le 14 août 2013, en mettant en contraste un article de l’éditorialiste du NYT Thomas Friedman par rapport aux articles détaillés ci-dessus (ces articles avec extraits, ceux que nous avons mentionnés, sont signalés dans la partie non citée de la nouvelle)... MoA indique justement en employant le verbe “se rétablir” qui indique cette modification de ligne éditoriale : “si le NYT veut ‘se rétablir’, il doit interrompre la collaboration de Friedman”.

«Tom Friedman for the NYT on August 14: Obama, Snowden and Putin. “Considering the breadth of reforms that President Obama is now proposing to prevent privacy abuses in intelligence gathering, in the wake of Snowden’s disclosures, Snowden deserves a chance to make a second impression — that he truly is a whistle-blower, not a traitor. [...] To make a second impression, Snowden would need to come home, make his case and face his accusers. [...]

»Tho Friedman obviously does not read the newspaper he is opining for. If the NYT wants to “recover”, it should fire him.»

• Pour rester dans le cas de la presse-Système la plus assurée en théorie de sa fidélité au Système, on citera également l’autre “grand” US qu’est le Washington Post. Le ton de certains articles se fait de plus en plus acerbe, de plus en plus dégagé des contraintes du Système. C’est le cas de cet article de Jesse Walker, du 15 août 2013 sur “une nouvelle paranoïa : un gouvernement terrorisé par lui-même”. L’administration Obama y est décrite comme obsédée par les complots et les montages jusqu’à devenir le premier des “théoriciens complotistes” dans cette époque étrange qui en fourmille. Pour Walker, le programme Insider Threat (voir le 12 juillet 2012 et le 13 août 2013) est une codification et une intégration bureaucratique de cette paranoïa, – d’ailleurs, Julian Assange l’avait bien compris, lui, – lui, désormais cité dans le Post comme une référence honorable...

«Did anyone ever imagine a government so scared of its own shadow? I can think of at least two people who did. One is novelist and essayist Robert Anton Wilson, who often wrote satirically about conspiracies. Any secret police agency, he suggested, must be monitored by another arm of the government, lest it be infiltrated by its enemies. But then “a sinister infinite regress enters the game. Any elite second order police must be, also, subject to infiltration... So it, too, must be monitored, by a secret-police-of-the-third-order” and so on. “In practice, of course, this cannot regress to mathematical infinity, but only to the point where every citizen is spying on every other citizen or until the funding runs out.” The point applies not just to police but to any hierarchy with secrets to hide.

»The other man is Julian Assange, who in 2006 laid out as clear a statement of his intentions as you’ll find. “The more secretive or unjust an organization is, the more leaks induce fear and paranoia in its leadership and planning coterie,” the WikiLeaks founder wrote. That fear will engender more secrecy, he continued, which in turn will make it harder for the institution to act. The Insider Threat Program suggests that Assange was on to something. [...]

»And so the war on leaks degenerates to a government deliberately destroying its property to keep its staffers from catching sight of publicly available information.

»Now there’s an enemy within.»

• Le cas de Google qui vient de prendre une position stupéfiante dans un procès intenté contre lui par le groupe Consumers Watchdog pour violation du secret de la correspondance dans son activité de transférer sans restriction à la NSA de toutes les données des montagnes d’e-mail charriée par son service Gmail (425 millions d’abonnés). Google argumente qu’il ne faut pas attendre de protection du principe du secret du domaine privée avec les e-mail, affirmant par là que la violation de la correspondance privée par e-mail n’en est pas une, donc qu’il (Google) n’est en rien fautif lorsqu’il transfère à la NSA toutes ses données. Les plaignants se sont déclarés “stupéfaits” par cette affirmation de Google, qui est documentée par un article du Guardian du 15 août 2013 :

«People sending email to any of Google's 425 million Gmail users have no “reasonable expectation” that their communications are confidential, the internet giant has said in a court filing.

»Consumer Watchdog, the advocacy group that uncovered the filing, called the revelation a “stunning admission.” It comes as Google and its peers are under pressure to explain their role in the National Security Agency's (NSA) mass surveillance of US citizens and foreign nationals. “Google has finally admitted they don't respect privacy,” said John Simpson, Consumer Watchdog's privacy project director. “People should take them at their word; if you care about your email correspondents' privacy, don't use Gmail.”»

L’intervention extraordinaire de Google indique que cette société ne juge plus suffisante son système de défense développé jusqu’alors : obligation légale, – mais d’une “légalité secrète” qu’on peut considérer paradoxalement comme illégale, – de donner à la NSA les données des e-mail de son service Gmail. Elle plaide cet argument extraordinaire que le courrier électronique ne bénéficie pas de la protection privée fondamentale qui, par exemple, s’attache au courrier postal. Selon nous, il ne s’agit pas d’une position de défiance mais plutôt d’une tentative désespérée, résultant de la conférence secrète avec Obama le 9 août. Google a compris qu’il n’aurait aucune aide du gouvernement dans les difficultés qu’il a actuellement avec sa clientèle à cause de ses livraisons à la NSA : BHO est tenu par la NSA autant que par ses propres obsessions paranoïaques et la NSA n’accepte aucune de ces restrictions qui permettraient à un Google d’avancer qu’il n’est plus obligé de fournir la NSA sans restrictions ni contrôle. Par conséquent, Google introduit, défensivement, pour éviter des condamnations en chaîne avec des amendes importantes (des plaintes en cascade diluvienne de diverses associations et personnes privées impliquent autant de procès à venir), un argument extraordinaire dont il espère qu’il interdira toutes ces conséquences, mais un argument désespéré car on voit mal qu’il puisse être entendu par la justice et qui, s’il l’est tout de même (tout est possible aux USA, disent les admirateurs de cette chose), menacerait toute l’industrie US de l’internet en encourageant décisivement ses clients à “migrer” hors-USA. C’est bien une banalisation de la crise : rien ne protège le courrier électronique, on peut en faire ce qu’on veut, la NSA comme Google, – même Snowden est dépassé dans ses révélations, – et dont acte, effectivement, pour les utilisateurs de Gmail.

• Le troisième signe de la banalisation concerne une sorte de crime lèse-Obama. Une importante association regroupant “les Noirs conservateurs”, proche du parti républicain (GOP) a lancé une argumentation qu’elle entend défendre, pour justifier une demande de destitution du président Obama. Cette argumentation est fondée essentiellement sur les activités du gouvernement dans le domaine de la crise Snowden/NSA, des entraves à la presse, du harcèlement des whistleblower type-Snowden. Paul Joseph Watson, de Infowars.com, explique le cas dans un article du 15 août 2013.

«A conservative black citizens group has filed lengthy and detailed articles of impeachment against Barack Obama, calling for the President to be removed from office over NSA spying, prosecution of whistleblowers, wiretapping of journalists, the torture program as well as the Benghazi cover-up. Despite the fact that the Florida-based National Black Republican Association (NBRA) associates itself with the GOP, a number of the articles of impeachment refer to activities undertaken by the Obama administration that have been supported by establishment Republicans, such as mass NSA surveillance, the illegal torture program and the treatment of whistleblowers like Edward Snowden.»

On avait déjà une indication de cette position des Africains-Américains sur cette question de la crise Snowden/NSA avec l’intervention du député Massie, lui-même Africain-Américain et républicain, dans une interview à Democracy Now ! (voir le 5 août 2013). Il s’agit effectivement d’une banalisation de la crise, comme nous l’entendons, parce qu’on voit là une intégration de sa problématique dans une des situations politiques et symboliques fondamentales aux USA depuis l’élection d’Obama à la présidence, – le soutien très affirmée et quasiment affectif jusqu’à l’obsession de toute la communauté africaine-américaine au premier président africain-américain de l’histoire des USA. La NBRA représente une partie non négligeable de cette communauté puisqu’elle touche les personnes de tendance conservatrice, comprenant le GOP, mais débordant largement le GOP. Cette prise de position renforce d’ailleurs au sein du GOP une tendance qui s’oppose aux faucons de la sécurité nationale type McCain-Graham, qui soutient Obama dans cette affaire et poursuit sans discontinuer une politique d’anathèmes contre Snowden.

“Qui a peur d’Hyper-Big Brother ?”

Nous avons employé beaucoup de qualificatif pour caractériser la crise Snowden/NSA, notamment comme une “crise première” et comme une “crise diluvienne”. De même, intégrant ce qui était alors la crise PRISM/NSA/Snowden dans un ensemble crisique lors d’une diversion tentée pour en détacher l’attention avec une dramatisation sans lendemain de la crise syrienne (voir le 17 juin 2013), nous avions déjà proposé que la crise Snowden/NSA soit effectivement intégré comme élément prépondérant dans la crise haute :

«C’est une situation tourbillonnante, à la fois dans la manufacture et le développement de la crise PRISM/NSA/Snowdon, à la fois dans les rapports et les connexions de cette crise avec les crises existantes, ou avec de nouvelles crises en formation. D’une façon plus générale dans la séquence actuelle, on voit qu’un lien de plus en plus ferme est établi entre les diverses crises, actives ou en gestation. Cela tend à offrir la perspective d’un élargissement de la notion de crise haute qui avait transféré son centre bouillonnant dans la seule Syrie (voir le 1er juin 2013), qui s’élargirait désormais en une nébuleuse où seraient liées cette crise syrienne, la crise interne aux USA, une nouvelle tension sur un axe Est-Ouest avec un durcissement stratégique de la Chine se rangeant décidément au côté de la Russie en “position de combat”.»

Bien entendu, cette crise Snowden/NSA trouve naturellement une place prépondérante dans l’infrastructure crisique qui est la forme générale, aussi bien des relations internationales que des situations internes dans les pouvoirs politiques qui jouent un rôle déterminant dans le Système, – le pouvoir washingtonien en premier lieu... Ce que nous avons à offrir ici n’est pas un nouveau caractère, une nouvelle définition de cette crise, mais une situation nouvelle qui s’est créée autour de cette crise. Nous l’avons dit, “banalisation” de la crise n’a rien à voir avec étouffement de la crise, avec marginalisation de la crise. Bien au contraire, c’est une intégration de la crise dans la situation générale, et cette intégration dispersant des effets constants sur les comportements, les décisions, les choix, et enfin libérant les critiques presque naturelles de la chose. Ce qui est frappant dans les exemples présentés ci-dessus, qui ne sont nullement anodins et encore moins des exceptions, c’est l’espèce de “liberté” qui est prise par les différents acteurs cités avec les consignes et les pressions conformistes du Système. Dans les cas du NYT (et du Post) et de la NBRA c’est évident, mais ce l’est aussi dans le cas de Google, qui, en affirmant cet argument mirobolant pour tenter d’éviter des dérives judiciaires qui lui coûteraient ou lui coûteront cher, confirme indirectement une sorte de caractère “hors-la-loi” de l’action de la NSA, – tout cela étant développé en fonction de son implication avec la NSA qui est en train d’atteindre sévèrement sa position financière et ses prétentions quasi-monopolistiques.

On trouve également dans ces divers exemples de “banalisation” de la crise une diffusion de cette crise dans toutes les directions, dans tous les aspects de la vie politique, idéologique et économique aux USA, qui rejoint ce que certains ont demandé sous la forme d’une “national conversation” à propos de cette crise, mais sans aucun ordre, sans aucune directivité, encore une fois hors des consignes du Système et, bien entendu, d’un gouvernement emporté par une extraordinaire paranoïa. (La “national conversation” se mesure également, bien entendu, au poids des tonnes d’articles et de commentaires paraissant partout, faisant le miel des émissions TV, partout aux USA.) Le résultat est une sorte de désordre autour des divers éléments de cette crise, comme si la crise devenait l’élément central des discussions, des supputations, des décisions de tous ordres, toujours sans le moindre contrôle organisateur (du Système). Il faut en effet mesurer la gigantesque progression des psychologies à cet égard, par rapport au climat d’il y a à peine un mois ou six semaines, quand Snowden était couvert d’insultes et de malédiction, à la lecture dans les colonnes du New York Times d’une interview quasiment apaisée et respectable du même Snowden par Peter Maass, sur les conditions dans lesquelles se sont faites les manœuvres d’approche entre lui et Greenwald-Poitras pour parvenir à un arrangement pour la diffusion des documents de la NSA.

Or, tout cela est fait alors que, comme on pourrait dire en forme de slogan, “la NSA vous écoute et vous lit à chaque instant”, quoi que vous fassiez, alors que le fameux “Goulag électronique” (voir le 1er août 2013), cette fois-ci dans sa division USA spécifiquement, est en pleine activité. Il est en effet essentiel d’avoir à l’esprit ce sur quoi nous insistions le 14 août 2013, savoir que le système-NSA est pleinement opérationnel, à chaque minute, à chaque instant, – étrange conséquence d’une prise de conscience, effectivement et officiellement favorisé par le président Obama. («[L]’intervention d’Obama a officiellement, sinon solennellement acté qu’il existe une crise autour de la NSA, qui concerne non pas une évolution possible de l’agence et, par conséquent, du réseau d’écoute et de surveillance qu’elle aurait l’intention de développer et de mettre en place, mais bel et bien d'une situation présente. Il ne s’agit pas de spéculer et de supputer sur ce que sera, ce que pourrait être, ce que devrait être le phénomène en question, mais bien de constater qu’il existe, qu’il est en place et qu’il fonctionne...»)

Ainsi, tous ces gens et toutes ces choses agissent, décident, évoluent, non seulement en dehors des consignes du Système, mais aussi sous la pleine et permanent activité de surveillance et d’écoute de la NSA. (Encore n’a-t-on pas dit mot ici, – mais on en parle assez dans d’autres articles sur ce site, – des prolongements en cours au Congrès, où les commissions sur le renseignement, notamment dans le chef du président de la commission de la Chambre, Mike Rogers, ancien agent du FBI reconverti en Représentant à la Chambre, sont directement mises en accusation, avec menaces d’enquête par la commission d’éthique pour substitution de documents pour leurs collègues de la Chambre avant un vote crucial, amenant un nouvel élément d’antagonisme et de fureur à l’intérieur du Congrès. [Voir le Guardian du 15 août 2013.])

... Magie de la pseudo-“national conversation” ? Ce qui se passe sous nos yeux aux USA est un étrange phénomène. Alors que l’existence du “Goulag électronique” section-USA est mise en évidence de tous côtés dans toute la puissance de son fonctionnement, actuel, présent et immédiat dans tous les instants, le comportement évolue comme si l’on s’en gardait désormais beaucoup moins, comme si, éventuellement, on le narguait par la dérision ou par la critique acerbe, comme libérés de la terrorisation d’un système mystérieux et inconnu mais qu’on savait confusément en pleine activité. Voilà où la “banalisation” de la crise Snowden/NSA nous paraît particulièrement comme un élément singulièrement fascinant, et par conséquent singulièrement antiSystème quel que soit le sens des démarches des uns et des autres, – et même, bien entendu, s’ils n’entendent nullement être antiSystème. Cela ne fait que rejoindre ce que nous affirmons depuis le début de cette extraordinaire affaire, extraordinaire par sa puissance de diffusion, par sa fécondité de ramification, par sa rapidité de rythme, enfin et désormais par sa capacité presque caméléonesque de se “banaliser” et de s’intégrer : le mythe de la surveillance absolue n’est efficace que s’il reste dans sa dimension mythique, c’est-à-dire s’il n’est pas connu et documenté en tant que tel... Dès lors que tout le monde sait qu’on est surveillé, on est plutôt conduit à faire un bras d’honneur à la caméra de surveillance, à ponctuer son e-mail d’un “Hello, No Such Agency...”, voire à publier jusque dans les forteresses de la presse-Système des articles critiques presque ouvertement provocateurs...

«Hyper-Big Brother ne marche à merveille que quand tout le monde ignore que hyper-Big Brother marche à merveille. La puissance de la surveillance secrète, c’est le secret, pas la surveillance, parce que le secret c’est le mythe et que le mythe domine tout dans nos esprits, et notamment la raison. La puissance d’hyper-Big Brother résidait dans l’ignorance technique précise qu’on avait de son existence, bien que tout le monde se doutait évidemment de son existence. Si vous savez d’un point de vue technique, et technologique, qu’hyper-Big Brother existe, vous le démythifiez et sa puissance de surveillance n’est plus mythique mais technique, ou technologique, et également humaine, avec toute la relativisation que cela suppose. Hyper-Big Brother descend de son piédestal et devient une puissance de notre domaine terrestre, un centre de pouvoir comme un autre...»

Nous écrivions cela le 25 juin 2013, à propos des initiatives techniques et technologiques qui pouvaient être prises contre la surveillance de la NSA, – et ce point reste plus que jamais valable. Ce que nous constatons aujourd’hui avec la “banalisation” de la crise, c’est bien que ce jugement affecte désormais, selon nous, la psychologie elle-même, conduisant à des constats eux-mêmes fondamentalement psychologiques de paranoïa dans le chef du gouvernement lui-même, – l’ennemi, l’Ennemi tant recherché depuis la fondation de la Grande République, l’Ennemi est à l’intérieur, au cœur de la Grande République elle-même («Now there’s an enemy within»).

... “Qui a peur d’Hyper-Big Brother ?”, – sur l’air de “Qui a peur du Grand Méchant Loup ?”. Et nous savons bien que Hyper-Big Brother est infiniment moins subtil et rusé que le Grand Méchant Loup et qu’il ne trouvera pas, lui, la subtilité et la ruse qui lui permettraient de l’emporter ; et nous savons bien qu’il est tout entier noyé dans sa masse monstrueuse et informe, dans son automatisme systématique, dans ses ambitions d’une métaphysique à deux balles, dans son culte religieux du règne du quantitatif, enfin dans sa paranoïa qui lui fera toujours préférer l’asile de l’établissement psychiatrique au paysage charmant des maisons construites par les Trois Petits Cochons.


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