BAE annexe de la CIA, ou la CIA annexe de BAE ?

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L’on sait que l’Iran a porté de rudes coups aux réseaux d’espionnages anglo-saxons sur son territoire, particulièrement aux réseaux de la CIA. Cela est évident depuis mai dernier, et cela a largement ponctué l’affaire de l’engin sans pilote, le drone RQ-170 capturé par les Iraniens. Il semble qu’un de ces agents de la CIA capturés par l’Iran soit un cas particulièrement intéressant ; il s’agit d’Amir Mirzai Hekmati, citoyen US d’origine iranienne, né dans l’Arizona, et dont la mission était, selon une première version, d’infiltrer le corps des Gardiens de la Révolution, puis, selon une seconde version qui nous semble plus appropriée, d’infiltrer le ministère iranien de la défense. Ces appréciations viennent de source iranienne, mais il n’est pas assuré que cette mission ait été la seule d’Hekmati. (Les “stages” faits par Hekmati avant sa mission, notamment à la DARPA et dans l'industrie, – voir plus loin,– font penser à une mission extrêmement complexe au niveau technologique.)

Hekmati est passé à la télévision iranienne où il a fait une confession publique et détaillée. Sans que l’on sache les rapports entre ces différents éléments, mais en notant tout de même que ce passage à la TV iranienne a dû secouer fortement l’ego américaniste de service, il se trouve que les USA ont réagi avec vigueur, réclamant la restitution de cet agent par l’Iran. Cette réaction est rapportée, le 21 décembre 2011, par PressTV.com (cela nous suffit amplement, sans aller chercher dans les feuilles de choux américanistes, type New York Times et cie). Cette réaction est fulgurante et absolument, complètement confondante d’impudence, – puisque les USA réclament sans délais, la restitution de ce citoyen US, détenu dans les geôles iraniennes, simplement parce qu’il espionnait l’Iran, comme vous et moi, comme un chouette touriste du bloc BAO en balade chez les Zoulous. Un député iranien, Kazem Jalali , qui dirige la commission de la sécurité nationale et des relations extérieures, s’étonne, – après tout : «How come that the Americans kidnap Iranian citizens and keep them in custody for [many] years, but…when our intelligence forces arrest an American spy, the US président says he must be freed?» Jalali n’a pas vraiment compris comment fonctionne notre monde civilisé du respect des droits de l’homme et du reste… Bref, exemple de la colère américaniste, – qu’on nous rende ce héros innocent et arbitrairement détenu, et vite, “sans délai” n’est-ce pas :

«On Monday, December 19, the United States demanded that Iran return its captured CIA spy “without delay.” US State Department spokeswoman Victoria Nuland added that the US had requested access to Hekmati through the embassy of Switzerland, which maintains a US interest section in Tehran in the absence of diplomatic relations between the two countries. ”We call on the Iranian government to grant the Swiss protecting power immediate access to him and release (him) without delay,” Nuland told reporters.»

Bien, laissons les coucous s’agiter dans leur nid, et passons au principal, qui est l’étrange carrière de l’espion américaniste, citoyen US d’origine iranienne, remarquablement formé par l’appareil de sécurité nationale du Système, rayon renseignement et infiltration. PressTV.com détaille cet aspect des choses dans un autre article, du 21 décembre 2011, précisant par ailleurs que le renseignement iranien l’avait identifié dès son séjour dans la base de Bagram, ce qui implique une traque très longue et minutieuse, qui a dû apporter beaucoup d’informations aux Iraniens.

«The agent said he joined the US Army in 2001 and had a decade of intelligence training. Hekmati was sent to the US-run Bagram Air Base in Afghanistan and given access to classified US intelligence before flying to Teheran to try to entice the Iranians with it and establish his value to them. […]

»Hekmati said he had worked for the US Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) between 2005 and 2007. He added that he then moved to a computer games company called Kuma Games specializing in shoot-'em-up entertainment that was really funded by the CIA to develop games aimed at swaying public opinion.

»Hekmati then was sent to another company, Cubic, to carry out intelligence work, and then to Britain's defense group BAE Systems, which is affiliated to the Ministry of Defense (MoD). Both BAE Systems and the CIA contacted him and recruited him for a top-secret mission, which involved him going to Washington for a briefing and then being dispatched to Afghanistan, where he worked out of a base, traveling from there into Iraq, Iran and United Arab Emirates as part of his mission…»

L’intérêt de cette fulgurante carrière est, bien entendu, le passage d’Hekmati par Cubic Corporation et, surtout, BAE Systems. Le détail de l’exposé de l’espion laisse clairement entendre que sa mission a été organisée et commanditée conjointement par la CIA et par BAE Systems, ce qui nous offre un éclairage nouveau du rôle et de la position de la firme britannique de production de systèmes de défense. On savait BAE évidemment corrompue jusqu’à l’os, et corruptrice absolue du système politique britannique dans son ensemble, dans ses divers plans anglo-saoudiens avec les marchés type Yamamah… (Avions de combat Tornado et Typhoon, avec, en arrière-plan, des montages de corruption qui représentent le sommet de l’art pour les milieux de l’industrie de défense, – parmi les très nombreux articles consacrés aux affaires de corruption de BAE, voir par exemple Saga Yamamah, le 19 janvier 2007.)

On sait par ailleurs que des liens existent évidemment entre les firmes d’armement et le renseignement des pays de ces firmes. En général, les firmes ont leurs propres services de renseignement, principalement pour l’analyse de détermination des conditions des marchés d’armement avec tout ce que cela suppose ; en général, ces firmes font beaucoup plus confiance à ces capacités qui leur sont propres qu’aux services officiels. Les services de renseignement nationaux exercent une surveillance défensive constante sur ces firmes (contre l’espionnage industriel et la pénétration par des agents adverses), et il est de notoriété “‘semi-publique” qu’il existe toujours l’un ou l’autre ingénieur travaillant au sein de telle ou telle firme, notamment dans les bureaux d’étude, qui est placé là par les SR nationaux comme officier de ces SR, qui est implanté selon un processus contractant normal, pour exercer cette sorte de surveillance. Occasionnellement, il y a coopération sur des affaires de renseignement pures, impliquant les intérêts des deux partis (la firme et les SR nationaux). Mais ce que nous découvre Hekmati est d’une autre trempe…

Il semble bien s’agir d’une coopération structurelle entre BAE et la CIA, sur des missions de renseignement et de pénétration qui relèvent du renseignement offensif pur et simple, sans implication pour les questions de l’industrie de l’armement. Dans ce cas, c’est un pas supplémentaire, et finalement un pas final, sur l’implication totale entre les services de sécurité nationale et les industries concernées par ces questions, ou un pas de plus vers la “privatisation” de ce que l’on n’ose plus guère nommer “service public“, notamment dans ce domaine fondamental de la sécurité nationale, – ou bien, faut-il penser que la “souveraineté nationale” est étendue au corporate power en tant que partie absolument souveraine du pouvoir légitime ? Une autre remarque concerne évidemment le statut particulier de BAE Systems, hybride anglo-américaniste, dans le cadre du phénomène dit des special relationships, lui-même devenu une sorte de monstre structurel dont plus personne ne peut dire à quoi correspondent les relations qu'il prétend caractériser, à quelle politique il répond, tant il semble représenter une infinité d’intérêts et de conceptions qui n’ont pour les unir fermement qu’une seule dimension : la corruption universelle qui marque aujourd’hui l’“anglosphère”, ou monde anglo-saxon, à la fois matrice et legs absolus du Système. Pour le reste, on peut aussi bien trouver là-dedans une bonne explication du fait que BAE Systems est bien implanté pour les marchés du Pentagone, et pourquoi les énormes scandales qui ponctuent sa vie industrielle, qui vont jusqu’à l’élimination physique de témoins gênants (opération conjointe avec la CIA ?), ne débouchent sur rien au département de la justice US malgré les batteries de lois anti-corruption réservées aux sociétés non-US dont le Congrès a gratifié l’appareil du complexe militaro-industriel-parlementaire…

C’est dire quel devrait être le sentiment vis-à-vis des espoirs de coopération militaire, particulièrement de hautes technologies, entretenus par les Français vis-à-vis des Britanniques (particulièrement Dassault avec BAE). L’univers où nous vivons n’a plus aucun rapport avec celui auquel les normes de l’expérience et de la pédagogie de sécurité nationale nous ont habitués. Rien ne peut être vraiment compris s’il n’est d’abord évalué à l’aune de l’esprit de ce qu’on nomme, d’une façon générale, “le crime organisé“.


Mis en ligne le 22 décembre 2011 à 12H18