“Il n’y a plus qu’à prier”, disent-ils

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Ce titre-là est caractéristique, et il n’a nul besoin de traduction : «The world prays for an economic miracle.» Il est de Ben Chu, le spécialiste économique de The Independent, ce 24 septembre 2011, Chu écrivant de Washington après le sommet du G20 (au niveau des ministres). L’introduction très symbolique de la notion de l'idée de “prière” est une bonne description de l’état des esprits et de la tension des psychologies.

Certes, le G20 n’a rien apporté, sinon les habituelles paroles lénifiantes et presque insupportables de pauvreté au regard de la puissance des événements. Il n’y a aucune raison de s’en trouver surpris, comme il est inutile de lancer les habituels anathèmes contre cette impuissance qui enveloppe comme un corset de fer ces réunions sans nombre, sans fin et sans effets… Le même journal, dans un autre texte de ce même 24 septembre 2011, observe à propos de la réunion du FMI qui enchaîne directement sur le G20 : «Let's just say that when Christine Lagarde, the IMF managing director, warned yesterday that this weekend's meetings probably wouldn't be able find solutions but would try to agree on a “common diagnosis”, she was being optimistic.»

…Effectivement, c’est à propos des déclarations quasiment churchilliennes de Christine Lagarde au G20 que Ben Chu commence son texte. (Lagarde, passée directement de l’optimisme “bling-bling” et de bon aloi électoral du gouvernement Sarkozy au rôle de grande prêtresse et Pythonisse de l’apocalypse financier et économique, du haut de la tribune du FMI désormais transformée en observatoire de la catastrophe, – tout cela, avec l’approbation de l’administration US qui ne perd pas une occasion de montrer la médiocrité confondante et la bassesse abyssale de ses conceptions politiques, en continuant à poursuivre une option partisane au milieu de cette danse sur le volcan déchaîné.)

«After an incredibly volatile day on world markets, the head of the International Monetary Fund, Christine Lagarde, warned of a looming “collapse in global demand” which threatens to push economies around the world into a new recession. “Dark clouds over Europe and huge uncertainty in the United States” mean that “the challenge could not be more urgent”, she told politicians and leading economists in Washington, who are meeting there in an attempt to tackle the world's economic woes.

»Calling for immediate action to support global growth and stabilise the international financial sector, Ms Lagarde said: “The actions I am calling for today are not for the coming years – they are for the coming months.” The stark warning followed the failure of the G20 group of leading economies to convince investors that they would avert a new global banking crisis. A communiqué from G20 finance ministers and central bank governors pledging to “take all necessary action to preserve the stability of banking systems and financial markets” failed to deliver a significant lift to investor sentiment. Stock markets in Europe and the US picked up slightly by the close of trading yesterday, but generally failed to recover the large losses experienced earlier in the week. […]

»And Ms Lagarde repeated her call for European leaders to act quickly…»

“Agir vite…” ? Mais ils ne font que cela, depuis trois ans, allant de décision unanime en décision unanime, de désaccord complet en désaccord complet, de cri d’optimisme triomphal en cri d’optimisme triomphal, de soupir d’accablement catastrophé en soupir d’accablement catastrophé… Ils suivent les marchés avec un zèle sans fin, persuadés que là se trouve la clef de tout, et la solution à l’incompréhensible équation qui se tord devant eux : «Claiming that the G20 ministers and central bankers were “taking strong actions to maintain financial stability, restore confidence and support growth,” the statement asserted, “We commit to take all actions to preserve the stability of banking systems and financial markets as required”» (Selon WSWS.org du 24 septembre 2011, qui nous parle de leur perplexité et de leur peur devant une “crise qui s’avère hors de contrôle et qui nous emporte vers une dépression dans toute sa puissance”.) Arriveront-ils à persuader “le marché” avec ses bourses incontrôlables ? Qu’importe, rétorque The Independent, puisque «[t]he stock market is a poor guide to the health of the world economy at the best of times. Lots of other markets were still in freefall – many commodities plunged and credit market indicators are flashing an ever more scarlet shade.»

Ils sont à court de décisions, à court de commentaires, à court de mots, si bien, effectivement, qu’“il n’y a plus qu’à prier”. Ainsi en revient-on toujours à la même conclusion lorsque la crise reparaît. En effet, il ne s’agit bien entendu pas d’une crise “classique”, comme au bon vieux temps, de celle qui monte en puissance et en tension jusqu’à son paroxysme, avec l’attente qu’il y aura ensuite la phase de la réduction de la tension, une fois accompli ce paroxysme ; il s’agit de cette nouvelle sorte de crise, que nous définissions (le 19 août 2011) comme “la crise est en crise”, c’est-à-dire une crise qui s’installe en elle-même pour durer et durer, qui se forme structurellement, qui prend ses aises dans son paroxysme continué comme s’il était sans fin, qui se signale à notre attention de terme en terme, qui semble disparaître, qui reparaît, etc. La phase actuelle de la crise a débuté le 15 septembre 2008 et n’a plus cessé depuis, prenant diverses formes et provoquant divers effets, tous évidemment de plus en plus marqués par la dégradation de la situation.

Aussi observons-nous et confirmons-nous que le plus important est ailleurs, dans la dévastation psychologique que ce régime de crise au paroxysme sans fin provoque chez les dirigeants divers du Système. Nous le signalions également dans le texte référencé, à partir du constat d’un officiel de la Banque d’Angleterre sur les “plaies psychologiques” (“psychological scars”) que causent les diverses phases, qui n’arrivent pas à cicatriser, qui, au contraire, additionnent leurs propres effets, – et c’est bien de ce point de vue qu’il faut parler de “dévastation psychologique”.

Une fois encore, poursuivant notre logique, nous ne prêtons guère d’intérêt aux divers problèmes “techniques” posés, aux diverses solutions proposées, d’ailleurs tout cela plongé de plus en plus profondément dans l’insoluble contradiction du cercle vicieux. Il y a une recherche parallèle et désormais presque hystérique à la fois d’austérité et de croissance, à la fois de l’eau et du feu, qui conduit évidemment à la schizophrénie et nous ramène au domaine psychologique. Par conséquent, on retiendra le ton de la Pythonisse catastrophique (Lagarde) autant que le “il n’y a plus qu’à prier” (en attendant un miracle) de Ben Chu ; ces positions et ces remarques, qui reflètent le climat psychologique, nous confirment effectivement l’évolution des psychologies vers la prise de conscience terrorisée du caractère inéluctablement autodestructeur de cette crise, comme partie de la crise générale elle-même autodestructrice. Les diverses directions du Système sont en train de s’imprégner, via leurs psychologies affolées et épuisées, de cette terrible vérité que le Système ne joue plus leur jeu, qu’il est entraîné vers la trajectoire finale de sa propre chute. Peu importe que tous ces gens ne le réalisent pas, et le disent encore moins, mais il faut être persuadé que ces terribles vérités sont en train de forcer leurs psychologies et de s’installer dans les esprits.

Désormais, le problème général devant lequel ils se trouvent s’élargit de plus en plus, et change de substance, au travers des questions qui se profilent derrière l’exclamation implicite qui sous-tend le titre de Ben Chu. “Il n’y a plus qu’à prier”, certes, – mais qui faut-il prier ? Et quelle prière faut-il adresser à cette hypothétique entité vers laquelle on se tournerait ?


Mis en ligne le 24 septembre 2011 à 15H25