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Article : Un désert déserté

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Au quart de tour

jc

  17/06/2022

Je ne peux pas m'empêcher de réagir au "C’est justement là qu’il veut en venir, Redeker, ; par ailleurs et comme en passant, il trace un troublant parallèle entre ce silence du vote devenu “un désert” et les annonces apocalyptiques de la “désertification” de la planète". Citation de PhG, qui appelle ma citation thomienne favorite:

"Les situations dynamiques régissant l'évolution des phénomènes naturels sont fondamentalement les mêmes que celles qui régissent l'évolution de l'homme et des sociétés |et, c'est moi qui rajoute, des espèces].".

Thom : "La synthèse des pensées vitaliste et mécaniste en biologie n'ira pas sans un profond remaniement de nos conceptions du monde inanimé.". Ma citation favorite m'incite à paraphraser la présente en:
"La synthèse des pensées vitaliste et mécaniste en sociologie n'ira pas sans un profond remaniement de nos conceptions actuelles des grandes sociétés humaines.".

Le phénomène d'apoptose est bien connu en biologie, où ,"en réponse à un signal", le suicide de certaines cellules est "nécessaire à la survie de l'organisme multicellulaire" (1). J'y vois une analogie avec le sacrifice des poilus de Verdun, obéissant à "un signal" qui ne venait pas de leurs chefs terrestres (Pétain, Castelnau,...), et j'espère ne pas me tromper en écrivant que c'est ce que pense PhG à propos des poilus.

Dans cet ordre d'idées la progression du taux d'abstention aux élections, qui peut être vue comme un suicide démocratique, est peut-être elle également extra-ordinaire. C'est peut-être ce que pensait Machiavel lorsqu'il écrivait « Ce n’est pas sans raison qu’on dit que la voix du peuple est la voix de Dieu. On voit l’opinion publique pronostiquer les événements d’une manière si merveilleuse, qu’on dirait que le peuple est doué de la faculté occulte de prévoir et les biens et les maux.» (2).

L'Homme contenant en lui son propre principe (la définition de l'immanence)? Dieu en chacun de nous? C'est ainsi qu'on peut, je crois, interpréter la fin de l'épilogue de SSM:

"En écrivant ces pages j'ai acquis une conviction; au cœur même du patrimoine génétique de notre espèce, au fond insaisissable du logos héraclitéen de notre âme, des structures simulatrices de toutes les forces extérieures agissent, ou en attente, sont prêtes à se déployer quand ce deviendra nécessaire. La vieille image de l'Homme microcosme reflet du macrocosme garde toute sa valeur: qui connaît l'homme connaîtra l'univers. Dans cet essai d'une théorie générale des modèles, qu'ai-je fait d'autre, sinon de dégager et d'offrir à la conscience les prémisses d'une méthode que la vie semble avoir pratiqué dès son origine?".

Depuis la coupure galiléenne la science "dure" s'est focalisée sur la régularité, les symétries et la calculabilité. Thom propose un science plus "molle", accessible à la biologie et aux sciences humaines, science fondée sur les singularités, les ruptures de symétrie et la stabilité structurelle. Peut-être pourra-t-on appliquer un jour à l'œuvre de Thom ce que disait Victor Hugo : "Rien n'arrête une idée dont le temps est venu."?

1: https://fr.wikipedia.org/wiki/Apoptose

2: https://fr.wikipedia.org/wiki/Vox_populi

Au quart de tour.1

jc

  18/06/2022

Une fois lancé (au quart de tour) et après avoir cité Victor Hugo, je ne peux m'arrêter sans "monter" une fois encore -je radote- en métaphysique extrême, c'est-à-dire en théorétique (1) (qui regroupe, selon Aristote, mathématique, phusis (physique aristotélicienne) et théologie).

Ces trois divisions de la philosophie théorétique figurent et sont reliées analogiquement dans l'œuvre de Thom:

- la mathématique et la phusis (p.32 de SSM, 2ème ed.) où la fonction différentiable indifférentiée et inspécifiée est associée à l'œuf totipotent et où le développement de Taylor est associé au développement de l'embryon;

- la phusis et la théologie (p.216 de ES) dans ce que j'appelle la tirade de Porphyre qui se termine par:

""Aristote a dit du germe, à la naissance, qu'il est inachevé. On peut dès lors se demander si tout en haut du graphe on n'a pas quelque chose comme un fluide homogène indistinct, ce premier mouvant indifférencié décrit dans sa Métaphysique; que serait la rencontre de l'esprit avec ce matériau informe dont sortira le monde? Une nuit mystique, une parfaite plénitude, le pur néant? Mais la formule d'Aristote suggère une autre réponse, théologiquement étrange: peut-être Dieu n'existera-t-il pleinement qu'une fois sa création achevée: "Premier selon l'être, dernier selon la génération".".

Dans mon commentaire "Poussée bipolaire" j'ai pointé l'opposition thomienne temps/espace, où le temps précède ontologiquement l'espace. Thom: "Dans de nombreuses philosophies Dieu est géomètre; il serait peut-être plus logique de dire que le géomètre est Dieu". La formule d'Aristote incite à paraphraser la citation "platonicienne" de Thom en la citation "pythagoricienne" suivante :"Dans de nombreuses philosophies Déesse est arithméticienne (c-à-d musicienne…); il serait peut-être plus logique de dire que l'arithméticienne est Déesse". (Ceci ne contredit pas, à mon avis, ce qu'écrit Guénon dans "Le règne de la quantité...", car celui-ci distingue soigneusement les nombres "sacrés" des pythagoriciens des nombres profanes (et profanés) des banquiers. Si bien qu'une lecture poussée de son œuvre permettrait peut-être d'aboutir à la conclusion qu'il a accepté implicitement la devise pythagoricienne ainsi paraphrasée: "Tout est musique, tout est nombre".)

Dans mon .0 j'ai noté l'opposition physique moderne/physique thomienne. Thom: "L'ambition ultime de la théorie des catastrophes, en fait, est d'abolir la distinction langage mathématique-langage naturel qui sévit en science depuis la coupure galiléenne.". Dans ce que j'ai lu de son œuvre je n'ai repéré que deux endroits où il évoque cette jonction: dans son article sur l'innovation (2) et dans un article-bilan à la fin de sa vie où il réintègre partiellement le giron des mathématiques classiques (3) (après s'en être très largement écarté).

Curieusement, c'est dans un survol mathématique à destination de musiciens -où je ne vois guère y être question de musique!- que j'ai trouvé une piste plausible de réconciliation entre les deux physiques (4). En voici un extrait (fin du chapitre 5, dans lequel la théorie des catastrophes élémentaires est classifiée "ADE"):

"Au bout du compte - après ce qui a été dit plus haut des discriminants de singularités isolées simples et des catastrophes en Géométrie symplectique - , on voit que la classification des catastrophes en toute dimension se ramène à celle des groupes platoniciens. Retour au Timée de Platon?".

La dernière phrase d'Esquisse d'une Sémiophysique est: "Seule une métaphysique réaliste peut redonner un sens au monde." (et Thom précise en introduction que cette métaphysique est, selon lui, minimale)...

1: https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9ologie

2: que l'on trouva dans le Thésaurus de l'édition papier de l'EU.

3: « En mathématique pure, mes propres résultats n'allèrent guère au-delà de développements limités de certaines singularités de potentiel. Il fallut la pertinence de mathématiciens américains (Milnor) ou européens (théorie du déploiement universel, Grauert, J. Martinet) pour sortir la théorie de son marasme initial. Mon seul apport à la théorie mathématique fut d'introduire la notion de « déploiement universel » - corrigé peu après en versel par les collègues algébristes (Mather). Il n'y a pas de doute que des mathématiciens américains (Mather,Milnor), puis soviétiques (Arnold) ont apporté à la théorie des singularités des progrès décisifs. La vision de ces mathématiciens m'a fait comprendre combien la théorie des singularités a des origines profondes en mathématiques. C'est la rencontre de mathématiciens soviétiques comme Arnold (souvent férocement critique de mes procédés rustres) qui m'a fait comprendre à quel point la théorie des singularités tire son origine de structures profondes (Polynômes de Dynkin, carquois de Gabriel, théorie des tresses, immeubles de Tits). L'intérêt de la théorie des catastrophes est bien d'avoir attiré l'attention sur ces théories « profondes » dont la source reste (pour moi) bien mystérieuse.».

4: http://www.entretemps.asso.fr/maths/Livre.pdf