Forum

Article : Réflexions sur « ‘Ukrisis’, catastrophe potentielle »

Pour poster un commentaire, vous devez vous identifier

En attendant

Olivier le Verseau

  21/03/2022

Je cois que la grande crise dont nous nous entretenons depuis maintenant de très nombreuses années a atteint une vitesse nettement supérieure dans la destruction des derniers bastions de la raison.
Si l’homme ne mérite plus depuis longtemps le secours de ses Dieux, que dire à son enfant devant ce qui l’attend ?
Chaque fois que j’ose exprimer un commentaire après la lecture d’un de vos articles, je constate que je descends d’un degré sur l’échelle de la consternation face à ce qui nous arrive.
Oui, comme si la Sagesse avait disparu de l’humanité, précédée ou suivie par la Raison.
Comme si l’homme avait perdu l’enveloppe qui le signifiait spirituellement.
Comme si tous les repères des civilisations passées avaient été engloutis dans un maelstrom formée par la folie débridée des algorithmes artificiels.
Quelle issue nous reste-t-il ?
Au choix : les armes, la clandestinité, l’Ermitage, la Résistance…
La narrative ambiante me consterne, l’ignorance crasse des gens me consterne, la trahison des gens me consterne, l’extrémisme de tout bord me consterne, et malheureusement tout cela forme et entretient un brouillard toxique qui peu à peu nous contraint à désespérer davantage.
Bon, une touche de lumière dans ce tableau si sombre : la fin du Système ! et la résurrection d’un autre homme.
En attendant, et lucidement, lisons de.defensa !
 

Guerre totale

jc

  28/03/2022

PhG inter-titre son article par “Guerre sainte” contre “guerre sainte”. Pour moi les guerres saintes sont évidemment des guerres civilisationnelles, donc des guerres totales, mais la réciproque n'est pas vraie car il peut exister des guerres totales profanes. Et pour moi le combat qui oppose Washington et Moscou est un combat à mort, une guerre totale où chacun souhaite que l'autre cesse d'exister.

C'est pour moi une guerre profane entre deux camps fondamentalement nihilistes (et défendant le même nihilisme, à savoir le matérialisme athée). C'est pour moi une évidence pour le camp dit "du bien", à savoir Washington D.C. (In Gold We Trust), mais c'est aussi le cas pour le camp dit "du mal" car je vois mal "se convertir" quelqu'un (Poutine) qui disait en 1999 qu'il fallait buter les terroristes jusque dans les chiottes. Je pense que Poutine est passé maître dans la manipulation des foules (comme le sont les maîtres de l'Occident depuis déjà un certain temps) et que la commémoration en grande pompe (1) de la victoire de Stalingrad des bons bolchéviques contre les méchants nazis avec une dimension symbolique maximale (lampions, recueil sur les tombes, présence du clergé orthodoxe, etc.) a été faite pour souder le patriotisme russe derrière lui en vue de la guerre actuelle qu'il présente comme une guerre d'une part pour récupérer le Donbass et d'autre part contre les néo-nazis. Cela ne signifie pas pour mon compte que Poutine est bolchévique -je pense plutôt qu'il ne l'est pas ou qu'il ne l'est plus- mais qu'il peut parfois le laisser à penser -idem pour la religion- si cela sert son objectif qui est la restauration de l'empire russe (qui passe par la destructuration -sinon la destruction- de l'empire américain).

Pour moi la guerre sainte, civilisationnelle, c'est la restauration d'une autorité spirituelle qui domine et inspire le pouvoir temporel. C'est donc tout autre chose et ce n'est pas avec les mêmes armes qu'on s'y bat:

https://ok.ru/video/421397860


1: https://www.rfi.fr/fr/europe/20180203-russie-commemorations-75e-anniversaire-bataille-stalingrad

 

Guerre sainte

jc

  28/03/2022

En cherchant à me renseigner sur les rapports entre l'art roman et l'art gothique je suis tombé sur (1) et le paragraphe intitulé "parenthèse sacrée" m'a retenu:

"Or cette technique de construction est l’apanage du haut-moyen âge. Avant le Xe siècle, on n’en trouve pas trace. Les Mérovingiens et les Carolingiens nous ont laissés quelques édifices, aucun n’a le taux vibratoire de la plus modeste chapeloune romane.

Avant eux, les Grecs et les Romains ont bâti de nombreux temples dont beaucoup subsistent encore. Construits de façon profane, ces édifices sacrés ne vibrent pas non plus. Après le 14e siècle, le long tunnel de la guerre de Cent Ans interrompit toute velléité de construction sacrée.

La Renaissance apporta d’Italie une architecture raffinée, mais profane. L’art de la construction sacrée a disparu avec ses commanditaires, les Templiers. Quoi de surprenant ? Il était apparu avec eux… Le printemps des cathédrales coïncide avec l’Ordre du Temple."

Pour moi cette citation est à rapporter d'une part au chapitre de "La Grâce…" (tome II) consacré au temps des cathédrales et d'autre part au dialogue entre PhG et JPB concernant exactement ce point (2) (3) où l'on mesurera l'abîme qui sépare un JPB matérialiste athée assumé et affiché et un PhG qui ne l'est pas (et de loin!).

La raison pour laquelle je réagis et commente est que l'auteur voit l'opposition sacré/profane dans le même rapport que l'opposition vibratoire/non vibratoire, opposition que j'interprète en résonance/non résonance. Et c'est cette notion de résonance qui m'intéresse (résonance que je perçois très nettement -bien que je n'aie aucun don pour la musique!- entre les voix "orthodoxes" (masculines et féminines) d'une part et la "voix" de l'édifice d'autre part -cf. le lien indiqué dans mon commentaire précédent-) car elle me renvoie directement à "mon" Thom qui esquisse en (4) sa théorie de la signification (je rappelle que Thom propose une métaphysique réaliste -minimale selon lui- pour "redonner du sens au monde" -fin de la dernière phrase de ES-) :

"Négligeant donc provisoirement l'aspect subjectif de la signification, nous allons nous efforcer d'en donner un modèle de caractère objectif, de nature géométrique et dynamique. Et ce modèle, nous le trouverons dans l'idée mécanique de résonance.".

J'en reste là. C'est pour moi sur ce plan (comprendre l'opposition sacré/profane) que devra se situer une guerre sainte contemporaine. De mon point de vue, même les traditions évoluent…


1: https://arcturius.org/art-gothique-art-roman/

2: https://www.dedefensa.org/article/dialogues-1-questions-de-sens (questions de PhG à JPB)

3: https://www.dedefensa.org/article/dialogues-4-lindividu-dans-lhistoire (réponse de JPB concernant les cathédrales)

4: Topologie et signification (MMM), en particulier le paragraphe 5: Résonance et signification

Héraclite, Darwin, Kupiec, Thom

jc

  28/03/2022

Mes derniers commentaires m'ayant amené à me replonger dans les dialogues entre Jean-Paul Baquiast et Philippe Grasset (années 2010), je me suis décidé à reparcourir "Le paradoxe du Sapiens" de JPB, à la base de ces dialogues (avec "La Grâce de l'histoire" côté PhG). Et, dès l'introduction je suis tombé sur:

"Concernant les composants anthropiques des systèmes anthropotechniques, nous nous trouvons devant une telle richesse de modèles explicatifs que des choix s’imposent. Ces choix n’ont évidemment rien d’ « objectif », au sens que l’on donne généralement à ce terme. Ils résultent de nos propres orientations idéologiques, comme il apparaîtra à la lecture. Indiquons seulement, au niveau de cette introduction, que nous nous appuierons très largement, pour comprendre à quelles logiques évolutionnaires répondent les organismes humains et les sociétés, sur la toute récente théorie du biologiste Jean-Jacques Kupiec. Il s’agit pour faire bref – mais nous y reviendrons plus en détail – de réintroduire le darwinisme à tous les niveaux de la construction du vivant, de la cellule à l’organisme et à la société.".

Ce passage m'a intéressé à deux titres:

1. JPB n'hésite pas -de même que Thom- à faire des analogies biologie/sociologie;

2: son "Il s’agit (...) de réintroduire le darwinisme à tous les niveaux de la construction du vivant, de la cellule à l’organisme et à la société." est à mettre en regard de la citation thomienne suivante (1):

"La biologie actuelle fait de la sélection naturelle le principe exclusif -le deus ex machina- de toute explication biologique; son seul tort, en l'espèce, est de traiter l'individu (ou l'espèce) comme une entité fonctionnelle irréductible: en réalité la stabilité de l'individu, ou de l'espèce, repose elle-même sur une compétition entre "champs", entre "archétypes" de caractère plus élémentaires, dont la lutte engendre la configuration géométrique structurellement stable qui assure la régulation, l'homéostasie du métabolisme, et la stabilité de la reproduction. (...) La lutte a lieu, non seulement entre individus et espèces, mais aussi, à chaque instant, en tout point de l'organisme individuel. Rappelons ce qu'a dit Héraclite: "Il faut savoir que le conflit est universel, que la justice est une lutte, et que toutes choses s'engendrent par la lutte et la nécessité".

Il me semble difficile de contester que Kupiec dit à peu près la même chose que Thom (en remarquant que le "struggle for life" darwinien ressemble fort à la citation héraclitéenne ci-dessus). En fait il y a un grain de sable que je qualifie de divin pour me conformer à (2), grain de sable qui fait bifurquer les positions de Thom et de Kupiec: Thom accepte comme "fil rouge" de sa pensée une autre citation héraclitéenne que voici:

"Le maître dont l'oracle est à Delphes ne dit ni ne cache, il signifie", que Thom traduit: "La Nature nous envoie des signes qu'il nous appartient d'interpréter".

Ainsi le sens de l'antique technè (traduit en français par art) bifurque en technique (au sens moderne pour JPB) alors que Thom refuse cette bifurcation (que l'on retrouve entre artisan et technicien, et entre l'ancien phusis et le moderne physique). Thom s'interroge sur la voie -qu'il qualifie de démiurgique- prise par la physique contemporaine : "La physique contemporaine a sacrifié la stabilité structurelle à la stabilité; je veux croire qu'elle n'aura pas à se repentir de ce choix".

JPB, en matérialiste athée affiché, refuse de faire appel à Dieu (pour lui ce n'est pas scientifique) mais accepte de faire appel au hasard (pour lui c'est scientifique), une grande partie de ses affirmations étant légitimées par l'invocation (pour moi presqu'à auseam) du hasard des mutations régulé par la pression sélective darwinienne. Cette explication martelée me renvoie à deux citations thomiennes:

1. "En quoi l'appel au hasard pour expliquer l'évolution serait-il plus scientifique que l'appel à la volonté du Créateur ? ;

2. "Le darwinisme offre ainsi l'exemple d'une théorie que chacun peut comprendre, raison évidente de son succès".

En choisissant l'option "hasard" JPB a choisi la calculabilité via les probabilités et statistiques, l'approche booléenne et bayesienne, la voie choisie (en France) par Changeux, Dehaene, voie royale -selon eux- vers le deep learning, l'IA et l'homme augmenté.

Un matérialiste athée ne manquera pas d'objecter que Thom, faisant explicitement appel à "un Maître dont l'oracle est à Delphes", fait quasi-explicitement appel à Dieu. Thom ne cache pas la difficulté et reconnaît très clairement qu'ultimement il y a la foi -ou non- en sa théorie, foi qui est du même tabac que l'intuition haute chère à PhG. Pour lui (Thom) considéréessa théorie s'appuie exactement sur les mêmes principes quie ceux qui ont permis à Newton, Maxwell et Einstein de développer leurs propres théories qui , elles,ont été acceptées par la communauté scientifique contemporaine car validées expérimentalement.

Thom termine SSM par un long paragraphe concernant le contrôle expérimental. Faute d'un tel contrôle sa théorie des catastrophes reste -selon ses propres dires- une méthode qui permet une nouvelle vision du monde et un langage qui permet de le décrire. Il y a quelque chose là où, auparavant, il n'y avait rien; pour moi ce n'est pas rien.

Entre le chemin de l'IN proposé par Thom -selon moi le camp du bien- et le chemin de l'IA qui a actuellement pignon sur rue -selon moi le camp du mal-, il faut choisir son camp…


1: "Une théorie dynamique de la morphogenèse", conclusion (MMM), 1974) (article publié en 1967)

2: https://www.dedefensa.org/article/dialogues-3-le-grain-de-sable-divin


 

Héraclite, Darwin, Kupiec, Thom.1

jc

  28/03/2022

Je repars de la citation précédente de JPB (.0) dans la fin de l'introduction de "Le paradoxe du sapiens" :

"nous nous appuierons très largement, pour comprendre à quelles logiques évolutionnaires répondent les organismes humains et les sociétés qu’ils forment, sur la toute récente théorie dite de l’ontophylogénèse proposée par le biologiste Jean-Jacques Kupiec. Il s’agit pour faire bref – mais nous y reviendrons plus en détail – de réintroduire le darwinisme à tous les niveaux de la construction du vivant, de la cellule à l’organisme et à la société",

dont j'ai noté en .0 qu'elle était très semblable avec la vision thomienne (ma citation favorite) :

"Les situations dynamiques régissant l'évolution des phénomènes naturels sont fondamentalement les mêmes que celles qui régissent l'évolution des hommes et des sociétés".

Or, dans les sociétés humaines (mais sans doute déjà aussi dans les sociétés animales animales évoluées) c'est la fonction qui crée l'organe (on ne s'organise pas au hasard, pour rien, on s'organise en vue d'un but fonctionnel à atteindre, le darwinisme n'apparaissant qu'ultérieurement lorsqu'il s'agit d'optimiser l'organisation permettant d'atteindre le but fixé -tous les logisticiens confirmeront, il me semble…-).

Compte tenu de l'hypothèse rappelée ci-dessus (ma citation favorite) Thom en déduit -tout-à-fait naturellement et correctement selon moi- qu'en biologie c'est également la fonction qui crée l'organe, hypothèse typiquement lamarckienne et non darwinienne (1). Pourquoi Kupiec et JPB n'en font-ils pas autant? Parce que cela les force à quitter l'anthropotechnicisme pour rentrer dans la zone interdite de l'anthropomysticisme (appel aux causes finales) ?

Thom : "(...) j'accepte, en biologie, le principe lamarckien : la fonction crée l'organe. C'est un principe que les biologistes actuels refusent absolument. Ils pensent, par exemple, que si nous voyons c'est parce que nous avons des yeux et pas du tout parce que d'une certaine manière la vie a décidé de fabriquer des yeux pour voir !".


1: Cf. le film "René(e)s" de Godard sur Thom à 39'45 : https://www.psynem.org/Art_psychanalyse/Preuves/Rene_Thom_Jean-Luc_Godard

Héraclite, Darwin, Kupiec, Thom.2

jc

  29/03/2022

Suite à mon allusion dans le .1 à la position lamarckienne de Thom, je ne peux m'empêcher de radoter en faisant le lien avec mes récents commentaires sur le conceptualisme de Thom (1). Dans ce but je commence par rappeler que pour Thom la pensée conceptuelle est une embryologie permanente et qu'

"Il faut concevoir que tout concept est comme un être vivant qui défend son organisme (l'espace qu'il occupe) contre les agressions de l'environnement, c'est-à-dire, en fait, l'expansionnisme des concepts voisins qui le limitent dans l'espace substrat : il faut regarder tout concept comme un être amiboïde, qui réagit aux stimuli extérieurs en émettant des pseudopodes et en phagocytant ses ennemis.". (On notera l'analogie avec la stratégie des militaires -cf. l'actuelle guerre en Ukraine-...)

À ce stade je remarque (et tente de faire remarquer) que PhG est pour moi dans le droit fil de cette conception (sic!) thomienne des concepts, comme en témoigne le riche glossaire "évolutif" de Dedefensa.

Dans le .0 j'ai noté les bifurcations de sens de l'antique teknè (l'art) en moderne technique, de l'antique phusis en moderne physique, de l'antique science en science moderne, bifurcations qui incitent à clarifier la situation par la production de néologismes. Ces rappels faits j'en viens là où je voulais en venir, à savoir une citation que j'ai déjà faite plusieurs fois ici, extraite de la conclusion de "Topologie et signification" (MMM):

"Dès qu'un mot est utilisé fréquemment avec une signification différente de sa signification initiale, il résulte une tension sur certaines parois de la figure de régulation du concept, tension qui pourrait fort bien la briser; le concept alors se défend en suscitant la naissance d'un mot nouveau qui canalise cette nouvelle signification. La formation de néologismes est ainsi une illustration -difficilement réfutable- du principe lamarckien: la fonction crée l'organe."


1: https://www.dedefensa.org/article/dialogues-32-occuper-wall-street-ou-de-lintuition-en-politique

 

Guerre sainte.1

jc

  29/03/2022

Pour moi la religion est ce qui relie, et je retiens de l'étymologie du mot la racine indo-européenne leg, qui a donné nos actuelles ligases, mais auparavant le logos grec, dont le sens a bifurqué en verbe ou en raison (via le ratio latin). C'est en ce sens utilitaire (un moyen pour relier les hommes entre eux et participer ainsi à un "vivre ensemble" apaisé) que je considère le mot "religion" e(t la guerre sainte en rapport).

La guerre sainte qui se profile est pour moi la guerre entre deux conceptions de la vie en société:

- celle d'une société tenue par une main de fer, société de surveillance vers laquelle semble s'orienter le Chine avec son crédit social, son crédit environnemental (etc.) grâce aux caméras vidéo, aux robots, à l'intelligence artificielle (etc.), qui traquent déjà et traqueront de plus en plus chaque chinois dans les moindres détails de sa vie quotidienne;

-celle d'une société qui accepte une croyance commune -une foi- qui permet un vivre ensemble plus apaisé par restauration de la confiance des individus les uns envers les autres (confiance mise à mal par l'idéologie darwinienne).

C'est "évidemment" pour moi la seconde option qui est dans le camp du bien, alors que je sens confusément que le bloc BAO -le Système- est peut-être bien tenté -sinon déjà en train- de basculer dans le camp du mal pour pouvoir s'opposer à la Chine à armes égales (et il est très clair pour moi que les young leaders de Schwab au pouvoir -dont "notre" E. Macron- poussent leur pays respectif dans cette direction).

Le choix du camp du bien renvoie donc à une organisation traditionnelle des sociétés: une autorité spirituelle qui domine le pouvoir temporel. Mais la technique a évolué depuis que sont apparues les grandes religions (monothéistes en ce qui concerne l'Occident et le proche Orient). Il y a en particulier l'apparition de l'ordinateur qu'il est impossible de faire disparaître: il est là et il faut faire avec. Et ce "il faut faire avec" implique que la tradition doit évoluer pour en tenir compte.

L'ordinateur a un avantage pour ce que j'appelle le camp du bien : celui de la mise en réseau -Internet- et de l'accès illimité au savoir existant, ce qui permet de rêver à un cerveau collectif beaucoup plus intelligent que chacun de nos cerveaux individuels et un inconvénient pour ce camp : sa capacité de calcul qui permet le développement de l'intelligence artificielle et du contrôle. Pour le camp du mal c'est l'inverse : utiliser au maximum la capacité de calcul et de mémoire pour contrôler la population, et limiter l'accès à Internet à cette même population. Pour résumer grossièrement (1): camp du bien: développer au maximum le cerveau droit de l'ordinateur (qualitatif et analogique) et limiter au maximum le cerveau gauche (quantitatif et calculateur), l'inverse pour le camp du mal.

Ce qui précède développe donc un peu ce que j'écrivais à la fin de mon commentaire "Guerre totale":

"Pour moi la guerre sainte, civilisationnelle, c'est la restauration d'une autorité spirituelle qui domine et inspire le pouvoir temporel. C'est donc tout autre chose [que la guerre totale "nihiliste"] et ce n'est pas avec les mêmes armes qu'on s'y bat. Que Moscou soit moins nihiliste que Washington DC est pour moi une évidence, parce que qu'il me paraît impossible de faire plus nihiliste que le "In gold we trust"si cher à l'actuelle élite régnant sur l'empire américain. Mais je ne suis pas pas du tout convaincu que l'âme chrétienne orientale fera beaucoup mieux que ce qui reste de l'âme chrétienne occidentale: il va -à mon avis- falloir trouver autre chose.

IN contre IA, tel est pour moi, en définitive, la guerre sainte qui se dresse devant nous. Je recite Thom à ce propos:

"Les marchands de quincaillerie électronique voudraient nous faire croire qu'avec la diffusion des ordinateurs, une ère nouvelle va s'ouvrir pour la pensée scientifique et l'humanité. Ils pourront tout au plus nous faire apercevoir où est le problème essentiel: il est dans la construction des modèles. (...) Dans cette tâche, la cervelle humaine, avec son vieux passé biologique, ses approximations habiles, sa subtile sensibilité esthétique, reste et restera longtemps irremplaçable." (SSM, Conclusion)


1: JPB utilise cette métaphore dans "Le paradoxe de Sapiens".

Michel Maffesoli

jc

  29/03/2022

PhG cite MM en (1). Je choisis de la commenter ici par cohérence (espérée…) avec mes autres commentaires:

« Quand quelque chose s’achève, ce qui est en train de s’achever devient très violent. En polémologie, on nous a appris que les combats d’arrière-garde étaient les plus sanglants. On pressent qu’on a perdu la bataille, donc on tue ».

Comme très souvent la raison de mon commentaire est de tenter de convaincre de l'intérêt de la théorie des catastrophes en sciences humaines (sociologie, psychologie, linguistique). J'ai encore rappelé tout récemment que Thom associe à chacune de ses sept catastrophes élémentaires un certain nombre de morphologies archétypes, morphologies auxquelles il associe des verbes (et , parfois, des substantifs). Il associe ainsi à la catastrophe "pli" les verbes commencer et finir: les hommes commencent et finissent, c'est-à-dire naissent et meurent; et Paul Valéry a immortalisé ça pour les civilisations.

Il est bien naturel que quelqu'un qui pressent qu'il va inéluctablement mourir va parfois tenter de s'opposer à l'inéluctable avec toute l'énergie qui lui reste, quitte à avoir une réaction violente. Et si la mort qu'il pressent est insupportable il va avoir parfois tendance à se suicider s'il a à sa disposition un moyen de le faire. Je pense qu'avec les aménagements adéquats ce schéma vaut pour les empires déclinants, comme l'est actuellement l'empire américain.

Thom associe ces situations à sa catastrophe "queue d'aronde". Je la cite ici brute de décoffrage -hélas sans les figures qui éclairent grandement le propos-, citation extraite de l'article "Topologie et linguistique", que l'on trouve dans MMM:

"Les singularités 13a) et 13b) sont peu intéressantes : (13b) émission d'un actant qui périt : cracher, étinceler (2). La singularité section par 13α) - en tant que morphologie physique- s'interprète comme un régime condamné à disparaître, mais qui, avant de périr, saute dans un régime métastable qui lui aussi disparaît (soubresaut d'agonie). Cette morphologie est à l'origine du sémantisme exprimé par l'adverbe "presque", l'auxiliaire "faillir" en français.
En tant que morphologie interne, biologique, on peut la représenter par le graphe 13α) qu'on peut interpréter comme une morphologie de suicide: le sujet se saisit d'un instrument qui le capture, le détruit." (cas qui renvoie à une citation de Lincoln, sporadiquement faite par PhG).

Remarque finale: En fait la raison profonde de ce commentaire est que je vois désormais les idées "sociales" de Michel Maffesoli comme très proches de celles de Thom. Je développerai ce point dans un commentaire à suivre. Le fil rouge que je suis (du verbe suivre…) avec un certain entêtement sur ce site est de faire de la théorie des catastrophes et de la théorie de l'analogie qu'elle sous-tend le socle d'une nouvelle religion (au sens précisé dans mon commentaire "Guerre sainte.1").


1: https://www.dedefensa.org/article/rapsit-usa2022-carlson-gabbard-couple-maudit

2: Dans la vidéo MM parle de notre société finissante comme d'une étoile morte qui étincelle encore.

 

Guerre saine IA/IN

jc

  30/03/2022

Préliminaires.

1. Pourquoi IN et pas IH, pourquoi Intelligence Naturelle et pas Intelligence Humaine? Parce que, selon moi, tous les êtres vivants -tels une bactérie ou un blob- ont leur forme d'intelligence en acte. Et parce que la Nature elle même a elle aussi une forme d'intelligence universelle, cette fois en puissance (sous forme de champs morphogénétiques qui ne se réduisent pas nécessairement aux champs mis en évidence par les physiciens modernes, champs "vitaux" en puissance).

2. Qu'est-ce que l'intelligence? Par remontées étymologiques successives dans le Wiktionnaire on arrive ultimement à la racine indo-européenne leg qui signifie lier ("sens que l'on retrouve dans les ligases de nos biologistes moléculaires" (1)), le même leg que l'on retrouve dans religion.
Lorsqu'on consulte Wikipédia (2) on tombe sur des explications embarrassées. Dans la suite j'adopterai la définition thomienne suivante, souvent citée ici par moi:

"L'intelligence est la faculté de s'identifier à autre chose, à autrui".

Thom précise cette définition dans le cas de l'intelligence "scientifique":

"Le dédain pour la théorie qui se manifeste dans les milieux d'expérimentateurs a sa source dans l'attitude analytique-réductionniste ; or pour découvrir la bonne stratégie, il faut s'identifier à l'un des facteurs permanents du système. Il faut en quelque sorte entrer « dans sa peau ». Il s'agit là presque d'une identification amoureuse. Or comment pourrait-on aimer ce qu'on a, préalablement, cassé de manière irréversible ?
Toute la science moderne est ainsi fondée sur le postulat de l'imbécillité des choses." ,

citation où l'on sent déjà percer la différence entre IA et IN (3). On comprend mieux cette définition thomienne de l'intelligence lorsqu'on rappelle que tout animal doit avoir l'intelligence d'attirer ses proies et d'esquiver ses prédateurs (survie individuelle) et d'attirer ses partenaires sexuels (survie de l'espèce): pour Thom l'assertion de nature translogique "Le prédateur affamé est sa propre proie" est à la base de l'embryologie animale.

Un rhéteur teinté d'un sophiste ne manquera pas de dire que si on fracasse l'ordinateur, alors son IA disparaît avec et que si on fracasse la tête d'un humain alors son IH disparaît avec (4). Fracasser la Nature pour faire disparaître son IN est plus difficile…

                                                                                                                       —————————————————————————-

Le cerveau est-il un ordinateur ou bien l'ordinateur n'est-il qu'une (très) pâle tentative d'imitation du cerveau?

Il est courant depuis longtemps d'entendre dire que le cœur est une pompe et que les poumons sont des soufflets. Si on accepte ce point de vue-et je crois que beaucoup l'acceptent sans réfléchir- alors considérer que le cerveau est un ordinateur va de soi. Mais dès qu'on y réfléchit un peu on voit poindre l'hubris de l'humain qui domine la nature (5), qui invente soufflet, pompe et ordinateur, qui prend brevet et royalties, etc., bref on voit poindre ce que j'appelle le camp du mal. C'est exactement le contraire de la façon de voir d'Aristote (et de Thom à sa suite (6)) pour qui l'art -τέχνη en grec ancien- imite la nature et non l'inverse: pour eux nous n'inventons rien, nous ne faisons que découvrir (et ces découvertes engendrent chez les découvreurs plutôt de l'humilité -camp du bien- que de l'hubris -camp du mal-).

Voilà où, à mon avis, se situe le terrain de l'affrontement de la guerre sainte IA/IN.

Je termine en renvoyant à une lettre ouverte aux candidats à la présidence de la république publiée en 2017 sur ce site:

" Il y a trois choses nécessaires pour former un grand homme, d'abord la position sociale, une haute position; ensuite la capacité et les qualités; mais surtout et avant tout le caractère. C'est le caractère qui fait l'homme. (...) Si un des pieds de ce trépied qui doit se maintenir par l'équilibre doit être plus faible que les deux autres, que ce ne soit pas le caractère ... que ce ne soit pas le caractère."

Ces lignes, écrites par un personnage né avec une cuillère d'argent dans la bouche, sont donc une réflexion sur les qualités que doit posséder un homme d'état.

1.Le caractère

C'est très certainement un critère à respecter. Et plus l'on se trouve en cette période incertaine, plus ce critère prend d'importance, jusqu'à primer impérieusement dans la situation extrêmement dangereuse et inquiétante dans laquelle le monde se trouve actuellement.

2. L'honneur

Une autre qualité importante est l'honneur. En proclamant "Mon ennemi c'est la finance" et en se précipitant à Londres pour rassurer la dite finance, le président sortant a montré qu'il n'avait pas d'honneur.

Un président qui n'a pas d'honneur ne peut bien entendu pas se déshonorer.

Un véritable président, c'est-à-dire qui incarne la France, doit avoir de l'honneur car, sans l'honneur, tout est perdu.

"Tout est perdu fors l'honneur"

3. Le courage

• Le courage de changer d'avis (et donc de reconnaître ses erreurs).

• Le courage du cœur, de (re)gagner le cœur des français, d'oser prendre de véritables bains de foules (quitte à prendre une balle en plein front). De Gaulle avait ce courage, courage qui s'est progressivement délité chez ses successeurs. Le président Sarkozy avait peut-être encore une certaine forme de courage (ou d'inconscience) -cf. Le Guilvinec- (à moins que ce ne soit de la mise en scène, du bling-bling). Les bains de foule dans une enceinte restreinte défendue par un cordon de CRS ont pour seul double effet -désastreux- de mettre en évidence la couardise de celui qui agit ainsi (cf. les bains de foule dans des îles, de préférence petites, du président sortant et/ou de ses ministres) et de donner l'impression que nous sommes en dictature.

La France a signé des traités qui ont entraîné un abandon de souveraineté qui a atteint un point tel que rien de ce qui compte ne peut être fait sans l'accord de Bruxelles et de la finance internationale, c'est-à-dire sans l'accord des allemands et des anglo-saxons. Si bien qu'elle se trouve actuellement dans un état pire qu'après Waterloo.

Vous aurez évidemment reconnu l'auteur des lignes introductives: Talleyrand, à qui la France doit tant.

Que faire dans une situation où il n'y a plus apparemment rien à négocier, où il ne reste à la France qu'à se plier à une volonté extérieure?

Soit accepter cette soumission, et nombreux sont les candidats actuels qui l'acceptent déjà, et qu'ils l'accepteront donc une fois président.

Soit ne pas l'accepter. Mais alors se pose la question de savoir sous quelles formes l'insoumission est possible.

1. On raconte que la "punition" imposée à la Grèce a pour but de faire plier la France. Si un "insoumis" est élu "Talleyrand", son seul atout sera-t-il le dangereux argument du "too big to fail"?

2. Une insoumission par souverainisme est-elle possible?

C'est l'option qui semble à première vue la plus crédible: le Brexit est déclenché, la nouvelle administration US semble pousser dans ce sens.

Les USA ont encore la puissance de renégocier unilatéralement des traités. La France a eu cette puissance (cf. la célèbre citation de De Gaulle rapportée par Peyrefitte); elle ne l'a clairement plus.

Ce qui précède montre que nous n'avons plus la possibilité d'agir autrement qu'en prenant des positions aventurées et donc dangereuses: au début de son premier mandat le président Mitterand a pris une telle position d'insoumis ... pour rapidement revenir dans le cadre prescrit par les maîtres de la politique "occidentale" d'alors.

L'objet de cette lettre ouverte est de suggérer la possibilité d'une troisième voie d'insoumission.

3. Une troisième voie?

On vient de voir que la France n'a plus la possibilité d'agir. Mais il lui reste encore la possibilité de penser.

Avant d'aborder le cœur du propos il est nécessaire de planter le décor.

Après l'effondrement de l'empire romain le redressement en France (et une grande partie de l'Europe) s'est fait à partir du catholicisme: pouvoir spirituel aux papes, pouvoir temporel aux rois, "sacrés" à Reims.

Avec l'apparition des universités au moyen-âge et leur vigoureuse expansion à la Renaissance, le pouvoir spirituel s'est progressivement laïcisé, profané.

[Les scientifiques actuels ont coutume de dater précisément cette rupture à Newton, sous le nom de coupure galiléenne: à partir de cet instant les planètes n'étaient plus poussées par des anges, mais elles suivaient "tout simplement" la loi de Newton.

Corrélativement, mais beaucoup plus subtilement et très certainement plus tôt, cette rupture a fait évoluer la vision que l'homme avait de lui-même: de l'homme créature divine, on revenait à une autre forme d'humanisme, l'humanisme "laïc" actuel.]

Une chose qui a peut-être été moins aperçue c'est que le concept de matière a également évolué: le fait, qui fait sourire le penseur "moderne", que les planètes étaient auparavant, selon certains, poussées par les anges, était une façon poétique de dire que la matière, en l'occurrence planétaire, était, d'une certaine façon, vivante. Avec son "Hypotheses non fingo", Newton a convaincu le monde scientifique que des hypothèses -et les preuves corrélatives- n'étaient plus nécessaires, qu'il suffisait de faire des vérifications expérimentales: l'empirisme  le positivisme, le pragmatisme, étaient nés ou vigoureusement réimpulsés.

L'ouverture considérable de Newton a, corrélativement, entraîné une fermeture de l'horizon de pensée du scientifique moderne en le réduisant aux "ismes" précités; une pensée scientifique dorénavant réduite à une pensée qualifiée d'objective, objectivité en général fièrement brandie.

Newton justifiait ainsi le nouveau statut d'inertie de la matière qui allait progressivement s'imposer: la matière est inerte, sans vie, morte, et donc stupide, imbécile, et traitée comme telle par les scientifiques modernes.

Newton donnait ainsi une impulsion triomphante et définitive au matérialisme pour aboutir au matérialisme du XIXème siècle, celui qui a encore cours aujourd'hui, partout dans le monde actuel, celui "qui compte", à l'Ouest comme à l'Est, au Nord comme au Sud, c'est-à-dire le monde globalisé: tout le monde "qui compte" est (ou feint d'être) actuellement matérialiste (avec, cela va de soi, une matière sans "âme"), ce n'est plus l'apanage des seuls marxistes.

[Corrélativement la laïcisation, la profanation, de la philosophie  a sans doute eu également des effets -mais ce n'est pas ma partie-]

La façon de se représenter le monde change évidemment selon que la matière est ou non animée, i.e. a ou non une âme. Et le changement devient même vertigineux dès qu'on y réfléchit un peu: tout, absolument tout, bascule (pas seulement dans le monde scientifique) dès que l'on fait l'hypothèse d'une matière animée.

Tout, en premier lieu la façon de penser elle-même, la rationalité, l'intelligence (et ses rapports avec l'intelligence artificielle, avec le transhumanisme, etc.). Ensuite la façon de considérer la nature elle-même, et donc toute la politique écologique planétaire. Etc., etc.

Ce néo-matérialisme du XXIème siècle, dont on vient de voir les vertigineuses potentialités exige bien évidemment de faire exploser la prison intellectuelle dans laquelle la pensée matérialiste mainstream actuelle s'est elle-même enfermée, embastillée.

Embastillée. Le terme est choisi à dessein. Il s'agit là en effet d'une véritable révolution. C'est une occasion à ne pas manquer pour la France car il est lumineusement évident que, si elle réussit, elle donnera au futur "Talleyrand" une carte maîtresse dans les négociations à venir avec nos "partenaires".

Dans cette perspective le XXIème siècle devient non seulement un nouveau siècle de Lumières, mais aussi un siècle de nouvelles lumières, les précédentes paraissant non seulement ternes, mais aussi laides, car factices.

Dans cette même perspective Paris, la ville Lumière, prendra un nouveau statut, une nouvelle dimension, celle de capitale d'une nouvelle façon, écologique, de voir le monde; elle sera la capitale d'une nouvelle pensée.

On connaît le "bon mot" de Coluche parlant d'un recteur d'université qui venait vendre l'intelligence des étudiants formés dans son établissement à une quelconque foire aux cerveaux et qui n'avait pas un échantillon sur lui.

S'il prend envie à l'un d'entre vous de vanter la France comme fer de lance de la nouvelle pensée, avec Paris comme ville des nouvelles lumières, il serait effectivement bon d'en avoir un sur vous.

Si les perspectives esquissées ci-dessus ont un sens (et je suis profondément convaincu qu'elles en ont un), alors la civilisation actuelle va inéluctablement s'effondrer et être remplacée par celle entrevue ici. Aussi, aux qualités exigées par Talleyrand, je rajouterai celle-ci:

L'envergure ... l'envergure…
J. C.



1: Cf. le tout début de l'envoi de "Apologie du logos".

2: https://fr.wikipedia.org/wiki/Intelligence#%C3%89tymologie_et_d%C3%A9finitions

3: Un scientifique pointilleux pourra objecter que cette définition ne concerne donc que la science: c'est oublier que Thom se considère comme un philosophe de la nature résolument démarcationniste: "Le « philosophe de la nature » que j'envisage aura un point de vue résolument anti-démarcationniste. On peut imaginer un spectre quasi-continu joignant les assertions les plus solidement établies (par exemple un théorème de mathématique) aux affirmations les plus délirantes. La pratique de notre épistémologue peut être ainsi décrite. Partant des points de contact obligés entre science et philosophie, il s'efforcera d'épaissir l’interface entre science et philosophie ; il sera donc philosophe en sciences, et scientifique en philosophie.".

4: Argument opposé par le nominaliste JP Changeux à l'ultra-platonicien Alain Connes dans "Matière à penser".

5: E. Kant (préface de sa CRH): "Ils [Galilée, Toricelli, Stahl] comprirent que la raison n’aperçoit que ce qu’elle produit elle-même d’après ses propres plans, qu’elle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements suivant des lois constantes, et forcer la nature à répondre à ses questions, au lieu de se laisser conduire par elle comme à la lisière".

6: Cf. l'article de Thom sur l'innovation (qui figure dans le thésaurus de ma version de l'EU -fin des années 1980)

Guerre sainte IA/IN.1

jc

  31/03/2022

L'amour dans la religion "laïque" que je propose n'est pas, autant que je sache -et j'en sais fort peu- l'amour prôné par le christianisme. L'amour dont parle Thom ("Il s'agit là presque d'une identification amoureuse") me semble guère différente de l'empathie : le chat a de l'empathie pour la sourie en ce sens que, lorsqu'il est affamé, il la désire plus que lui-même, et va jusqu'à se mettre psychiquement dans sa peau pour pouvoir prévoir ses réactions et ainsi la capturer. De même la souris a de l'empathie pour le chat en ce sens qu'elle se met psychiquement dans sa peau pour prévoir les mouvements du chat et ainsi lui échapper. C'est seulement avec cette connotation d'empathie qu'on peut parler d'amour dans la religion proposée (intelligence=empathie=amour).

Dans la religion "laïque" (1) que je propose à partir des idées thomiennes, c'est 'l'intelligence, en tant qu'empathie 'empathie (attractive ou répulsive) qui joue le rôle joué par l'amour dans le christianisme.

(Je rappelle que la métaphysique que propose Thom pour redonner du sens au monde est une métaphysique qu'il considère comme minimale. Théologiquement traduit, la religion laïque proposée se veut le socle commun minimal à toutes les religions.)


1: En ce sens qu'elle est accessible, non pas à une seule élite, à un clergé qui demande aux ouailles de croire parce qu'eux-mêmes croient (ou font semblant de croire), mais parce qu'elle est véritablement universelle, car accessible à tous -plus ou moins en fonction de son aptitude à percevoir "par les sens et par la raison".

Michel Maffesoli.1

jc

  31/03/2022

PhG a tout récemment cité MM dans (1), et j'ai commenté sa citation, mais aussi dans (2) :

« Une époque s’achève, une autre est en gestation ... Cela revient à cette formule ancienne, “Ordo ab Chao”, il y a de l’ordre à partir du chaos, à partir du désordre… ».

En fouillant sur la toile j'ai appris que cette ancienne formule avait été choisie comme devise d'ordres maçonniques (3), et, si ce que je trouve sur la toile est correct (Wikipédia), l'origine de la franc-maçonnerie viendrait du temps des cathédrales:

"Le terme franc-maçonnerie désigne un ensemble d'espaces de sociabilité sélectifs qui recrutent leurs membres par cooptation et pratiquent des rites initiatiques se référant à un secret maçonnique et à l'art de bâtir. Formée de phénomènes historiques et sociaux très divers, elle semble apparaître en 1598 en Écosse (Statuts Schaw), puis en Angleterre au XVIIe siècle. Elle se décrit, suivant les époques, les pays et les formes, comme une « association essentiellement philosophique et philanthropique », comme un « système de morale illustré par des symboles » ou comme un « ordre initiatique ». Organisée en obédiences depuis 1717 à Londres, la franc-maçonnerie dite « spéculative » — c'est-à-dire philosophique — fait référence aux Anciens devoirs de la « maçonnerie » dite « opérative » anglaise formée par les corporations de bâtisseurs.".

Si l'article précité de JA reflète l'orientation moderne de la franc-maçonnerie, il semble que s'est produit chez les francs-maçons une sévère bifurcation par rapport aux origines, bifurcation que je vois associée au deuxième principe de la thermodynamique énoncé dans la première moitié du XIXème siècle -donc après notre grande révolution); sévère bifurcation qui s'est peut-être répercutée dans la façon moderne de considérer l'architecture: du temps des cathédrales -cher à PhG- aux tours de Doubaï (4).

J'ai découvert l'existence de MM par Dedefensa -qui l'a tagué la première fois dans son moteur de recherche en 2019- et c'est à l'audiovision toute récente de "La nostalgie du sacré" (5) que j'ai noté ce qui a été tout au long de sa vie -et est encore- au cœur de ses préoccupations : l'imaginaire. J'y reviendrai.

J'imagine tout-à-fait les bâtisseurs du temps des cathédrales du chaos initial (chaos étant pris en son sens usuel) qu'ils vont être obligés de créer pour extraire la pierre et le bois nécessaire à la construction, chaos d'un monceau d'arbres coupés de leurs racines et de blocs de pierre détachés de "leur" rocher à partir duquel ils vont imaginer l'édifice fini. Pour résumer l'acte fondateur lorsqu'on veut construire est une séparation.

MM rappelle (31') que pour Hegel, Freud et Marx, l'acte fondateur est une séparation. C'est aussi le cas pour Thom (et également le cas pour Aristote selon Thom -cf. ES-). Aristote a déjà noté l'analogie assez frappante entre la construction d'une maison et le développement. Thom reprend cette analogie dans l'article "Individuation et finalité" (AL): "C'est qu'alors une construction mentale intervient, qui est synchrone à la construction proprement dite et qui contient à chaque instant l'image mentale de la maison achevée. De là à dire que le plan de la maison est en nous comme le plan du nid l'est en les oiseaux ou les abeilles? Pour Aristote (et pour Thom) c'est l'art qui imite la nature, et non l'inverse…

Je termine par une comparaison entre la vision de l'ordo ab chaos que j'imagine être celle de J. Attali (et de beaucoup d'autres avec lui) et celle de Thom. Dans le cas du chaos créé par une violente explosion (Bikini 1946, Beyrouth 2020) émerge un ordre sous forme (sic!) d'une forme structurellement stable (associée à la plus compliquée des sept catastrophes élémentaires : la catastrophe ombilic parabolique): un champignon.

Héraclite : "Le Maître dont l'oracle est à Delphes ne dit ni ne cache; il signifie", que Thom traduit en langage contemporain : "La nature nous envoie des signes qu'il nous appartient d'interpréter".

MM dit vers 14'30 qu'il faut repérer le roi clandestin de la centralité souterraine et propose la métaphore d'une nappe phréatique. Je pense que la métaphore d'un réseau mycorhizien (6) ( est plus pertinente, d'une part car elle renvoie directement au réseau Internet et aux réseaux de neurones qui permettent les bouillonnements intellectuels locaux dont MM pense, et moi aussi, que c'est d'eux qu'émergera les idées-mères (dont parle MM à 14') de la nouvelle civilisation qui va remplacer l'actuelle (qui en état de mort cérébrale), et d'autre part car elle donne une idée de ce que pourrait être le roi clandestin lorsqu'il aura émergé de sa clandestinité : un phallus impudicus erectus. À 51'45 MM parle d'ordo amoris. Ordo ab chaos guidé par l'ordo amoris? Quand le sexe d'un homme est en érection, ceux qui s'en rendent compte savent très bien interpréter ce signe.

Thom : "C'est Konrad Lorentz qui dans son discours Nobel a énoncé la formule : « Toute analogie est vraie ». Je crois la formule aventurée : il faut la munir d'un addendum : Toute analogie, dans la mesure où elle est sémantiquement acceptable, est vraie. Ainsi, dans ce domaine de l’analogie, le sentiment d'acceptabilité sémantique entraîne sa propre vérité. C'est là un puissant moyen d'investigation métaphysique (la métaphysique étant entendue ici en son sens technique : science des êtres en tant qu'êtres…).".


1: https://www.dedefensa.org/article/rapsit-usa2022-carlson-gabbard-couple-maudit

2: https://www.dedefensa.org/article/face-a-lenigme-du-sphinx-ukrisis-1

3: Et j'ai aussitôt pensé à l'article "L'ordre par le bruit" * de J. Attali où il nous est doctement asséné, théorème à l'appui, comment il faut penser l'économie des temps modernes (nous sommes en train de voir le résultat!):

"Le théorème de l'ordre par le bruit énonce alors que lorsqu'une structure d'énergie organisée par de l'information est agressée par un bruit, non lisible par le code structurant, le "bruit" peut finir par structurer l'organisation en une nouvelle hiérarchie, fondée sur un nouveau niveau informationnel, lui-même définissant un ensemble de nouveaux codes par rapport auxquels tout autre niveau informationnel est bruit." (*: Article extrait de "La notion de crise", Persée, (disponible sur la toile). Je n'ai pu résister à l'envie de fouiner plus avant sur la toile pour savoir si JA était ou non franc-maçon: il l'est.

4: https://www.dedefensa.org/article/dialogues-3-le-grain-de-sable-divin

5: https://www.youtube.com/watch?v=C8hW7cULkX4

6: https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9seau_mycorhizien

Michel Maffesoli.1.1

jc

  31/03/2022

Dans mon commentaire du .1, qui est essentiellement un commentaire de la conférence "Nostalgie et sacré", j'ai oublié  de faire l'analogie suivante (une de plus) entre le pouvoir en place (pétrifié, en état de mort cérébrale) et le réseau grouillant, sur la toile et ailleurs, qui tente d'imaginer la suite stratégie K contre stratégie r, qui parle d'elle-même losrqu'on transpose les stratégies écologiques K et r aux idées (pensée unique du TINA contre grouillement d'idées éparses): https://fr.wikipedia.org/wiki/Mod%C3%A8le_%C3%A9volutif_r/

Comme l'a écrit Thom en 1980 -choc pétrolier- (je ne connais pas le contexte précis):

"Faute de pétrole, on en sera réduit à revenir aux Idées…".

Peut-être à prendre au sérieux dans le contexte actuel…

Michel Maffesoli.1.2

jc

  03/04/2022

[ Dans le 1.1 un lien correct est : "Modèles évolutifs r/K": https://fr.wikipedia.org/wiki/Mod%C3%A8le_%C3%A9volutif_r/K ]

Je reviens sur "Ordo ab chaos" et "Ordo amoris", évoqués par MM (apprenant que "Ordo amoris" est le titre d'un texte de Saint Augustin).

Selon moi il y a une nette différence entre l'ordre depuis de chaos -pour moi la traduction correcte du "ab" latin- et l'ordre par le chaos -qui semble être l'option prise par la modernité occidentale (1)-.

L'ordre depuis le chaos c'est pour moi tout autre chose. Cela nous force à nous interroger sur l'existence d'un tel ordre et sur la façon de le trouver. C'est là que l'amour (pour Saint Augustin(?) et l'intelligence -l'empathie- pour Thom (?) interviennent. Et on est, à mon avis, inéluctablement amenés à croire en l'existence d'un tel ordre supra-humain. C'est ce qu'a refusé Aristote, se séparant là de son maître Platon, comme le note Thom dans ES (p.167):

"Enfin, last but not least, Aristote évoque la présence, par analogie, de l'idée abstraite d'architecture dans la construction et la programmation des organogénèses. On voit ici ce qu'il y a de contradictoire avec la philosophie fondamentalement matérialiste d'Aristote : les Idées platoniciennes n'existent pas, mais il faut bien quelque chose comme une Idée pour diriger tout cet ensemble." (Et Thom continue en proposant un modèle pour combler cette lacune…)".

Tous ces préliminaires pour en arriver à MM -le titre de ce commentaire…-, qui me semble être sur cette longueur d'onde lorsqu'il parle d'ordo ab chaos et, ici, d'ordo amoris (51'15):

44'10: "Retour du numineux"; 44'25: "Ontologie du sacré"; 44'30: "Penser l'étant à partir de l'être (Heidegger) alors que c'est exactement l'inverse qui s'est fait durant la modernité: on a essentiellement pensé l'étant en oubliant le fondement de cet étant.".

Pour MM fin d'une époque où séparation, différenciation, individualisation, atomisation, auront dominé, début d'une époque où ce seront la réunion, l'intégration, la tribalisation qui domineront. Entre ces deux époques: une période pendant laquelle se superposent ce qui meurt et ce qui est en gestation (ce qui est à naître). Période typique de bimodalité -on notera le nombre de fois où MM dit "en même temps" ou assimilé-, que Thom modélise par sa catastrophe "fronce". MM refuse donc les séparations nettes -à la Freud, dit-il-, et précise (35'45): "Je ne suis pas de ceux qui considèrent qu'il y a des ruptures brusques": MM est pour moi un sociologue (c'est ainsi qu'il se considère) qui est un penseur du continu (une exception parmi les sociologues?), ce qui, en ce qui me concerne, est un intéressant point de contact avec Thom (et avec Lacan dans sa période géométrique). J'en évoquerai un autre.

En parcourant les vidéos de MM disponibles sur la toile, j'ai appris -de MM lui-même par vidéo interposée- qu'il était fils et petit-fils de mineur de fond, et qu'il croyait à la sagesse populaire. Pour moi MM est un exemple typique d'une "race" que j'appelle de mes vœux: celles des démo-aristocrates, à savoir ceux qui, issus du peuple, ont le don de démagogie (bien entendu au sens étymologique -le dada de MM- de celui qui guide le peuple). Je cite à ce propos une fois encore Machiavel :

« Ce n’est pas sans raison qu’on dit que la voix du peuple est la voix de Dieu. On voit l’opinion publique pronostiquer les événements d’une manière si merveilleuse, qu’on dirait que le peuple est doué de la faculté occulte de prévoir et les biens et les maux. »


1: À rapprocher, selon moi, de la position néo-darwinienne (hasard des mutations suivi de pression sélective), à mes yeux idée-mère de la pensée unique qui essaime un peu partout, en géopolitique, en économie, en finance (l'ordre par le bruit cher à Jacques Attali), en sociologie, etc..

Michel Maffesoli.1.3

jc

  04/04/2022

Dans le .2 j'ai écrit que je voyais en MM un penseur du continu. Il y a cependant un point, pour moi de taille, où il fait une coupure nette entre sciences dures (math, physique, chimie, etc.) et sciences molles (sciences humaines, philosophie, sociologie, psychologie, etc.), avalisant sans doute ainsi la distinction faite par les modernes: l'objectivité aux sciences dures, la subjectivité aux sciences molles. Thom ne voit pas les choses ainsi, lui qui est résolument non démarcationniste (1).

L'idée qu'on se fait de la science est évidemment étroitement corrélée à l'idée que l'on se fait de la rationalité, qu'il est d'usage d'opposer à la sensibilité. Dans l'une de ses conférences, MM donne comme exemple d'acte typiquement rationnel celui d'un homme qui utilise un bâton pour attraper un fruit (2, 48'30) et il considère que cette rationalité est spécifique de notre espèce. Thom considère au contraire que cet acte n'est pas spécifique à l'humain et est d'origine affective : c'est pour lui le désir d'attraper un fruit qui déforme la structure de régulation de l'organisme en la compliquant et il consacre deux pages de ES (pp. 73 et 74) à argumenter en ce sens, la déformation consistant à sauter de la catastrophe "pli" à la catastrophe "queue d'aronde" qui la complique. Ce point de désaccord est pour moi capital: pour Thom -et dorénavant pour moi- la rationalité est subordonnée à l'intuition : entre la rationalité que nous propose avec insistance la doxa et l'intuition, c'est fondamentalement l'intuition qu'il faut suivre: (pour ceux qui ont le don d'en avoir…) c'est ce que n'a cessé de faire Thom tout au long de sa vie (3), alors que ceux qui n'en ont pas -moi…- ont tendance à suivre la doxa sans trop se poser de questions. Cette façon de repousser la raison en position ancillaire par rapport à l'intuition ne devrait pas déplaire à PhG (et, selon moi, il a bien fait de différencier affectivité et affectivisme, ce dernier étant source de bien des maux). La lecture de la fiche Wikipédia concernant la rationalité (3) est, à ce sujet, édifiante: pour moi c'est du blablabla…

On a là, à mon avis, un point de bifurcation essentiel entre l'IN et l'IA. Thom:

"S'il est aisé de s'imaginer qu'une machine – un ordinateur, par exemple – puisse calculer et même raisonner, par contre, il est beaucoup plus difficile de concevoir une machine capable de souffrir et de jouir. C'est dire qu'en un certain sens, le problème de comprendre « objectivement » l'affectivité semble infiniment plus difficile que de se représenter l'intelligence. Il est d'ailleurs typique – à cet égard – qu'on parle beaucoup d'intelligence artificielle, alors qu'on ne se préoccupe guère, chez les spécialistes, d'« affectivité artificielle ».".

L'un des dadas de MM (c'est lui qui utilise cette expression à ce propos) est de considérer que nous vivons une période transitoire entre deux époques, l'une finissante, gouvernée par l'individualisation, la rationalisation et le progrès (chronos), et l'autre commençante, gouvernée par la tribalisation, l'affectivité et l'éternel présent (aïon). Il m'apparaît maintenant que le rationalisme des Lumières aura été à la rationalité naturelle ce que l'affectivisme selon PhG a été à l'affectivité naturelle (4). Je rappelle que, pour Thom, la rationalité ne tombe pas du ciel, mais n'est qu'une déontologie dans l'usage de l'imaginaire: pour lui -et dorénavant pour moi-, lorsqu'il y a conflit entre l'intuition et la raison (c'est-à-dire l'idée que l'on s'en fait), c'est à la raison de s'adapter (en changeant de déontologie) et non à l'intuition: toujours cette opposition fondamentale IN/IA (5).


1: "Le « philosophe de la nature » que j'envisage aura un point de vue résolument anti-démarcationniste. On peut imaginer un spectre quasi-continu joignant les assertions les plus solidement établies (par exemple un
théorème de mathématique) aux affirmations les plus délirantes. La pratique de notre épistémologue peut être ainsi décrite. Partant des points de contact obligés entre science et philosophie, il s'efforcera d'épaissir
l’interface entre science et philosophie ; il sera donc philosophe en sciences, et scientifique en philosophie.".

2: https://www.youtube.com/watch?v=BZfGzwGP_cg

3: Thom, mathématicien de formation, est allé jusqu'à rejeter les principes fondateurs de la rationalité occidentale (identité, non contradiction) pour lui préférer une autre déontologie -plus embryologique- dans l'usage de l'imaginaire.

4: https://www.dedefensa.org/article/glossairedde-laffectivisme-postmoderne

5. C'est pour moi un point de désaccord fondamental avec ce qu'écrit David Bessis dans son tout récent bouquin "Mathematica" (DB quitte les maths académiques pour se lancer -start-up en avant- dans l'IA -deep-learning-).

 

Michel Maffesoli.2

jc

  04/04/2022

J'ai annoncé dans des précédents commentaires que le point de contact le plus intéressant -selon moi- entre Maffesoli et Thom est leur foi commune en l'importance de l'imaginaire.

MM (1): (17'50): "Dans la tradition cartésienne, l'imagination c'est la folle du logis, c'est ce qui ne permet pas le bon fonctionnement du cerveau; (18'40): "Je pense que l'imaginaire décrit ce qui est et non pas ce qui devrait être. J'aime bien citer mes sources: ce n'est pas de moi, mais de Max Weber et de Nietzsche: ce qui est de fait -de facto- et pas ce qui est de jure -de droit-. Et de fait notre mentalité, depuis le cartésianisme, il y a toujours cette tendance -et c'est frappant dans le milieu que j'ai fréquenté en sociologie-, il y a toujours cette logique du devoir être, de ce que devrait être le monde, de ce qu'on aimerait qu'il soit.".

Il ressort de ce qui précède que ce que MM veut -selon moi- dire c'est qu'il faut plus se fier à son intuition qu'à sa raison (qui n'est bien souvent que la raison imposée par la doxa).

Thom :

1. "La théorie des catastrophes m'a réellement donné la clé d'un mode de pensée qui m'a permis de voir les choses sous un angle qui échappe, apparemment, à la manière standard de voir les choses. Essentiellement parce qu'on fait un saut dans l'imaginaire – mais un saut contrôlé : le saut doit être controlé. (...) Le contrôle de l'imaginaire c'est, je crois, l'essence de la rationalité."

2. "Je pense – de manière tout à fait essentielle – que l'extension des pouvoirs de l'homme sur la nature est liée à l'extension de son imaginaire."

3. "L'imaginaire a cette caractéristique d'abhorrer les frontières nettes, les objets bien délimités dans leur apparence. Quoi de plus concret qu'une pierre, forme saillante permanente s'il en fut ? C'est pourquoi la pensée rationnelle (la logique en est une forme extrême) s'efforce de ramener la propagation des prégnances à des constructions combinatoires de formes saillantes : réduire l'imaginaire au symbolique, tel est son idéal, réduire
toute propagation à une construction de solides, comme l'enfant avec un jeu de cubes (et le démiurge du Timée n'en était pas si loin)."

4. "On peut dire que les mathématiques sont imaginaires par essence…"

Thom a proposé une classification des technologies -apparemment neuve, écrit-il- "qui généralise et prolonge, dans une certaine mesure, la classification positiviste des sciences d'Auguste Comte." (AL). Sa classification s'appuie sur le trépied lacanien Réel-Symbolique-Imaginaire. On trouve dans l'article ceci:

5. "Langage, mythologie, institutions sociales sont des techniques de l'imaginaire. C'est seulement avec la mathématique qu'on voit apparaître la technologie de l'imaginaire.". (On notera que Thom ne considère les mathématiques ni comme une science ni comme une technique, mais comme une technologie : il faut lire l'article de AL pour en savoir plus sur les différences que Thom fait entre ces trois notions.)

Langage, mythologie et institutions sociales étant du domaine de la sociologie (au sens large), il y a là, selon moi, un point de contact précis à explorer entre les points de vue de Thom et de Maffesoli.


1: https://www.youtube.com/watch?v=BZfGzwGP_cg

Guerre sainte IA/IN.2

jc

  04/04/2022

Après ce détour maffesolien, je reviens à la guerre sainte IN/IA. Pour moi:

1. Il s'agit d'une guerre entre l'homme traditionnel et l'homme nouveau;

2. Malgré ses millénaires d'existence je ne pense pas que l'empire du milieu soit le pôle IN de cette guerre sainte, la Chine étant actuellement trop préoccupée à retrouver la face perdue dès le XIXème face aux Occidentaux, et ayant pour objectif affiché de finir de les avoir battus sur leur propre terrain avec leurs propres armes (l'IA! et le totalitarisme qui va avec) lors du centenaire de la révolution de Mao (1934) (1).

3. Je ne suis pas non plus convaincu que le pôle IN vienne de la restauration de l'empire russe orthodoxe (même si l'église d'Orient de Constantinople me semble en meilleur état que celle de Rome -ce n'est pas difficile-); c'est la conclusion que je tire d'un récent article de Douguine (2).

4. Faut-il suivre Michel Maffesoli lorsqu'il dit : "Je considère que la technologie est en train de réenchanter le monde", phrase qui m'a fait tiquer quand je l'ai entendue, phrase dont j'imagine qu'elle fera sursauter PhG s'il l'entend, même si MM l'adoucit aussitôt en précisant : "Synergie de l'archaïque et du développement technologique : arkhè -ce qui est premier-, c'est les tribus, la religiosité et Internet."?

5. Je ne pense pas un instant que le développement de la quincaillerie électronique puisse en quoi que ce soit aider à réenchanter le monde (mais il faut faire avec…, et Internet n'est peut-être pas un mal car il permet de relier "techniquement" entre eux des gens qui ne l'auraient pas pu se relier autrement). Mais je pense aussi que la tradition évolue, un retour en arrière pur et simple ne pouvant que nous faire retomber dans les mêmes ornières. Pour réenchanter le monde il faut une religion universelle -le terme de religion étant pris au sens de ce qui relie-: René Thom nous en propose une : "Seule une métaphysique réaliste peut redonner du sens au monde." (dernière phrase de ES, Thom signalant dans l'introduction qu'il qualifie celle qu'il propose de minimale).


1: C'est ainsi que j'interprète ce qu'écrivait jadis PhG: "C’est dire que, de ce point de vue, – et sans préjuger, surtout pas, de l’avenir, – c’est dire que notre Chinois sera emporté comme les autres et qu’il devra subir d’abord cette chute eschatologique avant de songer à se mettre à l’ouvrage." ( extrait de https://www.dedefensa.org/article/glossairedde-crisis-la-crise-de-la-raison-subvertie )

2: https://leblogalupus.com/2022/04/01/alexandre-douguine-ce-nest-pas-une-guerre-contre-lukraine-mais-contre-bhl-et-le-globalisme/
 

Michel Maffesoli.2.1

jc

  04/04/2022

En reparcourant l'article "Classification des sciences et des techniques" (AL), cité au .2, je remarque que Thom s'appuie également sur les travaux de Gilbert Durand (l'un des maîtres de Michel Maffesoli), et précisément sur son ouvrage "Les structures anthropologiques de l'imaginaire" (1963) dot MM dit en (1,18'15):

"J'ai eu pour maître Gilbert Durand, le grand anthropologue de l'imaginaire, qui a publié un livre qui lui a donné pas mal d'ennuis: "Les structures anthropologiques de l'imaginaire".

Maffesoli, Durand, Thom: des gens qui véhiculent des idées que le Système feint de ne pas voir? En tout cas ça me conforte dans l'idée qu'il y a là un point de contact entre Thom et Maffesoli.


1: https://www.youtube.com/watch?v=C8hW7cULkX4

Michel Maffesoli.1.4

jc

  05/04/2022

Dans le 1.3 j'ai opposé la rationalité telle que je pensais que la concevait MM et telle que la conçoit Thom, et je parlais alors de point de désaccord capital. Après nouvelle audition de (1) à ce propos (48'30) je tempère mon propos (avec plaisir, toujours en rapport avec cette idée de rapprochement Thom-Maffesoli) car MM dit (49'10) qu'il a écrit un livre intitulé "Éloge de la raison sensible", distinguant ainsi entre raison et rationalisme, et allant -je présume et j'espère- dans le même sens que Thom sur ce point.

1: https://www.youtube.com/watch?v=BZfGzwGP_cg
 

Michel Maffesoli.3

jc

  05/04/2022

J'aime décidément beaucoup ce que dit et écrit MM, sur le fond comme sur la forme, peut-être -en fait- un peu plus sur la forme (MM démagogue -bien entendu au sens étymologique-) que sur le fond (MM démo-aristocrate).

En tout cas MM c'est pour moi "demos" d'abord: "Je crois à la sagesse populaire" (1, 2'45), et cite à ce propos Saint Thomas (2, 5'55): "Toute autorité vient du peuple: Omnis autoritas a populo ",
- que je complète par Machiavel: « Ce n’est pas sans raison qu’on dit que la voix du peuple est la voix de Dieu. On voit l’opinion publique pronostiquer les événements d’une manière si merveilleuse, qu’on dirait que le peuple est doué de la faculté occulte de prévoir et les biens et les maux»,
- de Gaulle: ""La révolution n'a pas appelé au pouvoir le peuple français, mais cette classe artificielle qu'est la bourgeoisie. En réalité il y a deux bourgeoisies. La bourgeoisie d'argent, à droite, et la bourgeoisie intellectuelle, à gauche. Mais les deux font la paire, elles s'entendent comme larrons en foire pour se partager le pouvoir, même si c'est contraire aux intérêts de la France. Tandis que le populo ne partage pas du tout ces sentiments, le populo est patriote, le populo a des réflexes sains, ... , le populo sent où est l'intérêt du pays , le populo ne s'y trompe pas souvent.",
-et Bertold Brecht: « J'apprends que le gouvernement estime que le peuple a “trahi la confiance du régime” et “devra travailler dur pour regagner la confiance des autorités”. Dans ce cas, ne serait-il pas plus simple pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d'en élire un autre?».

MM (1, 3'): "Ce qui restera de toute mon œuvre c'est le rapport qui existe entre le pouvoir et la puissance. Le pouvoir c'est ce qui est institué, ce sont nos diverses institutions, la puissance c'est ce qui vient du bas, la sagesse populaire -de mon point de vue-; quand ça marche il y a un accord entre le pouvoir et la puissance de base. Il est des moments, et je considère que nous sommes dans l'un de ces moments où il y a une déconnexion (...) L'élite actuellement a tellement peur du peuple qu'elle parle de populisme.".

Le rouge est traditionnellement la couleur du pouvoir temporel et le blanc celle de l'autorité spirituelle, ai-je lu dans le livre éponyme de Guénon. Il reste donc le bleu pour le démos, le peuple et sa puissance (bleu qui est justement la couleur démocrate US). Bleu-Blanc-Rouge. Pour moi le compte n'y sera vraiment que le jour où aura été restaurée en France une autorité spirituelle avec ce qui me semble être son attribut naturel: la mainmise sur l'éducation. C'est ainsi que j'envisage  la démo-aristocratie: avec un roseau pensant pascalien pour embellir le blanc.

Lors de l'effondrement de l'URSS le pouvoir temporel s'est effondré, mais il restait un fond de pouvoir spirituel qui, sans guère de doute en ce qui me concerne, a permis à la Russie de refaire surface en moins de trente ans.

Lors de l'effondrement occidental en cours, le pouvoir temporel va être balayé. Mais , à la différence du cas russe, il n'y a pas selon moi d'autorité spirituelle pour prendre le relais (car il n'y en a plus une digne de ce nom, because: In Gold we trust)...


1: https://www.youtube.com/watch?v=BZfGzwGP_cg

2: https://www.dailymotion.com/video/x7oya27

Michel Maffesoli.4

jc

  05/04/2022

Je reviens sur la citation de MM dans (1) faite par PhG en (2):

« Quand quelque chose s’achève, ce qui est en train de s’achever devient très violent. En polémologie, on nous a appris que les combats d’arrière-garde étaient les plus sanglants. On pressent qu’on a perdu la bataille, donc on tue ».

MM prolonge (à 24'):

"Les sociétés équilibrées sont celles qui ont, non pas dénié, mais ritualisé la violence.".

Il y a là, à mon avis, un point de contact à approfondir entre cette position de Maffesoli et celle de sociologues "catastrophistes" comme Lucien Scubla, qui suspecte fortement qu'il y a un lien entre la formule canonique du mythe (et du rite) de Lévi-Strauss et la catastrophe thomienne "fronce" (pièce qui serait, selon moi, importante pour crédibiliser la "religion laïque" thomienne).


1: https://www.youtube.com/watch?v=AzbRBFMersI

2: https://www.dedefensa.org/article/rapsit-usa2022-carlson-gabbard-couple-maudit
 

Guerre sainte IA/IN.3

jc

  05/04/2022

Je terminer (?) ces commentaires sur la guerre IA/IN par quelques mots sur l'IA. J'ai insisté sur le fait que, selon Thom -et moi à sa suite- l'IN était indissociable de l'affectivité naturelle (AN). La question se pose donc de savoir si les recherches en IA incluent ou non des recherches en AA. En fouillant sur la toile, je suis tombé sur le darwinisme neural de GM Eldeman, dont JPB, bien connu ici par ses dialogues avec PhG au début des années 2000, a fait un compte-rendu des travaux à ce sujet sur le site http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2007/81/secondnature.htm . Eldeman -> Changeux -> Dehaene -> Blanquer : un rapport avec le classement de plus en plus catastrophique du niveau de l'enseignement français?

Je rappelle qu'en ce qui concerne les mathématiques Thom a écrit au tout début des années 1970 -et figurant dans AL- un article intitulé "Les mathématiques modernes: une erreur pédagogique et philosophique?", article paraît-il le plus lu de sa production, et article dont la portée dépasse largement le cadre des seules mathématiques…

Guerre sainte IA/IN.4

jc

  12/04/2022

En parcourant l'entrée "Intuition" de Wikipédia je suis tombé sur une référence à "Symboles de la science sacrée" de René Guénon, "pavé" de 75 chapitres que je n'avais jamais consulté. Dans le chapitre 70 RG oppose métaphoriquement le cœur, siège de l'intelligence intuitive, et le cerveau, siège de l'intelligence rationnelle, opposition à rapprocher, clairement pour moi, de l'opposition IN/IA:

"les philosophes modernes se trompent étrangement en parlant comme ils le font de « principes rationnels », comme si ces principes appartenaient en propre à la raison, comme s’ils étaient en quelque sorte son œuvre, alors que, pour la gouverner, il faut au contraire nécessairement qu’ils s’imposent à elle, donc qu’ils viennent de plus haut ; c’est là un exemple de l’erreur rationaliste, et l’on peut se rendre compte par là de la différence essentielle qui existe entre le rationalisme et le véritable intellectualisme. Il suffit de réfléchir un instant pour comprendre qu’un principe, au vrai sens de ce mot, par là même qu’il ne peut se tirer ou se déduire d’autre chose, ne peut être saisi qu’immédiatement, donc intuitivement, et ne saurait être l’objet d’une connaissance discursive comme celle qui caractérise la raison.".

Il est clair que lorsqu'il y a opposition entre intuition et raison la science contemporaine donne le dernier mot à la raison (si souvent invoquée, si rarement définie…) et impose aux intuitions soit de s'effacer devant elle, soit d'avoir une certaine plasticité pour devenir compatible avec elle (1). Thom encore : "La rationalité n'est guère qu'une déontologie dans l'usage de l'imaginaire"; autrement dit, pour lui, devant l'intuition (haute ou profonde) c'est à la raison de s'adapter…

Remarque: Dans une vidéo (que, hélas, je ne retrouve plus), Stanislas Dehaene (actuel conseiller pédagogique de Jean-Michel Blanquer) s'adressant à des instituteurs a dit à peu près -je cite de mémoire- qu'il fallait corriger l'intuition des jeunes enfants qui faisaient une plus grande différence entre 2 et 3 qu'entre 8 et 9 (2). Avec ce genre d'attitude "pédagogique" je ne suis pas étonné du rang européen actuel de l'éducation française: vive l'IA, à bas l'IN !


1:  Dans un récent commentaire j'ai parlé du bouquin "Mathematica" d'un certain David Bessis -qui vient de quitter les maths académiques pour une start-up en IA-, qui fait l'éloge de l'intuition en mathématiques (c'est pour ça que je l'ai lu): mais il écrit à plusieurs reprises que c'est à l'intuition de se conformer à la raison (DB vient de quitter les maths académiques pour une start-up en IA…). Je rappelle que ce n'est pas du tout le point de vue de Thom, déjà en mathématiques (et, bien entendu a fortiori hors d'elles): "Dans sa confiance en l'existence d'un univers idéal, le mathématicien ne s'inquiétera pas outre mesure des limites des procédés formels, il pourra oublier le problème de la non-contradiction. Car le monde des Idées excède infiniment nos possibilités opératoires, et c'est dans l'intuition que réside l'ultima ratio de notre foi en la vérité d'un théorème.". (AL, p.561).

2: Ayant l'âge (76 ans dans quelques jours) où il est temps de tenter de s'affranchir des pesanteurs de son éducation, j'en suis revenu au point de ces enfants: il y a des langues -bien entendu primitives aux yeux des modernes…- où l'on ne compte guère plus loin que 8 ou 9. À partir de là un seul vocable: beaucoup…