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Article : Réenchanter le monde / Ars magna

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Nature Vs travail

Alex Kara

  15/08/2019

Je suis tout à fait d'accord sur le fait que la société moderne nous a coupé de la nature, en la sortant de nos vie (75% des Français vivent en ville) et en la détruisant. Les grands champs de l'agriculture mécanisée, plats comme des tables de billard, ce n'est plus tout à fait la nature.

Je risquerai tout de même une nuance : les fêtes paysannes ressemblent un peu aux fêtes d'entreprises de nos jours, dans la mesure où la hiérarchie était là aussi très présente, et souvent terrible, par exemple pour les paysans pauvres, les enfants ouvriers etc.

Le journalier était quasiment un vagabond, contraint de travailler pour survivre, parfois pas payé, dormant souvent avec les animaux etc. (ça devait être l'hubert-isation de l'économie… ha ha) (non je n'ai pas honte)
Le départ de ces journaliers pour les villes industrielles au début de la Révolution Industrielle a été un facteur fondamental de la mécanisation des campagnes, et de la disparition des paysans.

Comme 80% de la population habitait la campagne avant la Révolution Française, une grande partie de la vie spirituelle et artistique s'y déroulait, donc il y a aussi eu l'appréciation de l'esthétique et de de la nature, mais aussi un travail terrible et une structuration hiérarchique sans pitié (et pour cause, il s'agissait aussi souvent de survie pure et simple).

Réenchanter le monde / Natura magna

jc

  16/08/2019

Dans le lien "société techniciste" de l'article de PHP qui renvoie à l'article "Heidegger et la question de la technique" de Wikipédia, il est rappelé que pour les Anciens Grecs "teknè" désignait aussi bien l'art de l'artiste que le métier de l'artisan. Dans notre société contemporaine il y a une nette bifurcation de sens entre l'art et la technique, illustrée par la différence, grain de sable divin selon PhG¹, entre la cathédrale -disons de Reims- et les tours modernes -disons de Doubaï-,

Aristote disait que c'est la "teknè" qui imite la nature: nous avons l'idée du soufflet parce que nous avons des poumons, de la pompe parce que nous avons un coeur, de l'ordinateur parce que nous avons un cerveau. Dans notre contre-civilisation c'est l'inverse: le poumon est un soufflet, le coeur une pompe et le cerveau un ordinateur; la sacralisation contemporaine de la technique au lieu de la sacralisation de la nature (Jacques Ellul a joliment formulé cette inversion: notre contre-civilisation sacralise ce qui désacralise ce qu'ont sacralisé toutes(?) les autres civilisations).

Qu'est-ce qui a permis cette inversion? La confiance en la raison humaine occidentale -la déesse raison- illustrée par la phrase suivante -pour moi ahurissante- tirée du tout début de la préface de la deuxième édition de la "Critique de la raison pure":

"La raison, tenant d’une main ses principes, qui seuls peuvent donner valeur de lois à des phénomènes concordants, et de l’autre  l’expérimentation qu’elle a conçue d’après ceux-ci, doit s’approcher de la nature, certes pour être instruite par elle, mais non toutefois comme un élève, prêt à entendre tout ce que le maître veut, mais en la qualité d’un juge en exercice, qui contraint les témoins à répondre aux questions qu’il leur soumet."

Qu'est-ce que la rationalité? PhG examine la question dans l'article "La crise de la raison (humaine)²". La rationalité codifiée dans l'organon d'Aristote est-elle naturelle? Pour Thom "la rationalité n'est, au fond, qu'une déontologie dans l'usage de l'imaginaire" et la logique naturelle est embryologique: "La classe engendre ses prédicats, comme le germe engendre les organes de l'animal. Il ne fait guère de doute (à mes yeux) que c'est là l'unique manière de théoriser ce qu'est la Logique naturelle."

Pour moi la citation suivante extraite de "Théorie de la signification de J.W. Uexküll illustre parfaitement l'inversion entre la raison humaine et ce que PhG qualifierait, j'en suis convaincu, de raison suprahumaine:

“« Le mécanisme de n'importe quelle machine, une montre par exemple, est toujours construit de manière centripète, c'est à dire que toutes les parties de la montre, aiguilles, ressorts, roues, doivent d'abord être achevées pour être ensuite montées sur un support commun.
Tout au contraire la croissance d'un animal, tel le triton, est toujours organisée de manière centrifuge à partir de son germe; d'abord gastrula il s'enrichit ensuite de nouveaux bourgeons qui évoluent en organes différenciés.
Dans les deux cas, il existe un plan de construction; dans la montre, il régit un processus centripète, chez le triton, un processus centrifuge. Selon le plan les parties s'assemblent en vertu de principes opposés. »

La citation de Uexküll rappelle l'analogie faite par Bergson entre outil et organe. Pour Aristote l'âme est au corps ce que la vue est à l'oeil. Pour ceux qui croient que c'est la fonction qui crée l'organe -mon cas-, nous avons des yeux pour voir. Entre mécanisme et vitalisme³, il faut choisir son progressisme. Quelle est notre fonction ici-bas? Imiter des robots conçus par "notre" raison humaine?


¹: https://www.dedefensa.org/article/dialogues-3-le-grain-de-sable-divin

²: https://www.dedefensa.org/article/glossairedde-crisis-la-crise-de-la-raison-humaine-1

³: "La synthèse ainsi entrevue [MMM, "Une théorie dynamique de la morphogenèse"] des pensées "mécaniste" et "vitaliste" n'ira pas sans un profond remaniement de nos conceptions du monde inanimé."