Forum

Article : Pour Washington, Le Caire aux abonnés absents

Pour poster un commentaire, vous devez vous identifier

Glissement imperceptible de l'opinion

Christian Merlinki

  18/08/2013

J’ai aussitôt souri à la lecture de ce bout de phrase : “...rappel des aspects antidémocratiques de la politique du président Morsi élu démocratiquement et soutenu de bout en bout par les USA, et ainsi de suite.” qui a secoué ma mémoire remontant à votre article du 30 août 2012 à 11h.53’ (un an déjà) intitulé MESSAGE DU SAPIENS-SYSTÈME FRIEDMAN À MORSI qui avançait ces deux assertions :
1° “Bien entendu, vis-à-vis d’un chef d’État (Morsi) d’un pays aussi sensible, l’administration Obama doit avoir plus de retenue qu’avec le Secrétaire Général d’une organisation dont les USA font partie. Quoi qu’il en soit, le déchiffrage ne devrait pas laisser de doute ; outre d’être un sujet de très grave préoccupation pour les USA, l’évolution de Morsi est également une situation sur laquelle les USA ont fort peu de levier de pression et par rapport à laquelle ils doivent se forcer à observer une certaine prudence fort peu dans leurs habitudes. Par conséquent et notamment, on envoie Friedman et sa grosse artillerie, et tout le monde aura compris, – et le malaise des USA par rapport à Morsi, et l’impuissance des USA par rapport à Morsi.”
2° “Si Morsi sait bien lire les choses par rapport à ce qu’on peut tirer d’enseignements du texte de Friedman et du reste des agitations qu’on peut mesurer ici et là, il devrait réaliser combien il se trouve en position de force par rapport aux “tuteurs” de l’Égypte style-Moubarak, les USA et Israël. Avec son actuelle et très audacieuse évolution, il les place en position de complète défensive, sans guère de possibilité pour eux de contrecarrer ses initiatives dans la mesure où Morsi se ménage de plus en plus de possibilités d’alternatives à la politique classique de soumission de l’Égypte au bloc BAO, – et sans savoir, dans le chef des “tuteurs“, si c’est pure tactique tout en restant dans le cadre de l’ancienne alliance, ou s’il s’agit bien d’un grand tournant stratégique. “
Je ne peux résister à rappeler ma réaction d’alors qui plonge sa lucidité dans l’actualité :
“Je ne crois pas qu’il faille s’en inquiéter du côté USA. L’attitude de Morsi correspond au joker qui vient pimenter les relations interarabes en redéfinissant leurs rapports dans le sens intrareligieux. Dans le monde sunnite, les cacochymes devront laisser la place aux relatifs mais expérimentés jeunes loups en politique internationale dont fait partie Morsi. Et son attitude est exemplaire d’adéquation avec le projet US de Grand Moyen-Orient, dont il devra symboliser la figure de proue sunnite. Même si son rôle éminent comme carte maîtresse étatsunienne est trop frais pour en dresser un bilan, le moins qu’on puisse dire est que sur le terrain de la communication il remplit à merveille les conditions pour une révolution sunnite afin de contrecarrer le chiisme rampant. Morsi n’est pas un ami des Chinois, d’Ali Khamenei ni de Poutine; s’il doit en avoir un, ce sera le futur premier ministre d’Israël. Erdogan sert une tactique, Morsi une stratégie. Le premier sera certainement balayé aux prochaines élections à la suite du coup de sifflet final des hostilités en Syrie, quelle que soit leur issue. Tout cela ne sert que la campagne américaine et ne devrait pas distraire des fondamentaux de la géopolitique, à savoir le remodelage réel du village monde. Friedman ou Frédéric Pons, quelle importance?”

Petite remarque générale sur le public et la presse

Alain Vité

  18/08/2013

Sur les sites français d’information-pravda, type lemonde.fr, lepoint.fr, lexpress, etc. une tendance “anti-système” de fond s’installe dans les commentaires des lecteurs.

Les anciens rôles sont toujours là dans ces petits théâtres : les conformistes, les rebelles énervés, les complotistes, les repentants, les trolls, etc. qui forment le bruit de fond de l’opinion des lecteurs.

Depuis quelques semaines - disons que c’est devenu consistant en même temps que l’affaire NSA/Snowden - de plus en plus de commentateurs argumentent contre l’article de journal considéré, avec argument et bon sens, et discutent entre eux, beaucoup moins agités et rebelles qu’auparavant (puisque en général, ces lecteurs faisaient plutôt partie des rebelles énervés)

Cette frange de commentateurs existait déjà avant, mais était malmenée par les pro-Occidentaux progressistes conformistes, lesquels noyaient le débat sous les arguments humanitaristes habituels, la narrative du journal (la version pour adulte de “bisou bobo, bobo parti”, où supprimer le vilain supprimerait la vilaineté)

C’était fréquent par exemple à propos de tout ce qui touche la Russie, la Syrie ou le mariage homosexuel, et ces commentateurs rétablisseurs de vérité ne dépassaient pas beaucoup le stade du bruit de fond d’ensemble.

Depuis Snowden/NSA, cette partie des lecteurs arrive mieux à se faire entendre, garde son calme, parvient à rester solide et devient une voix claire.

On le voit maintenant aussi vis à vis de l’Iran, de “la loi homophobe russe” et donc, de l’Égypte, où certains lecteurs du monde.fr et des autres sites d’information refont les articles, sans s’attarder longtemps à critiquer le journal - un peu, mais pas tant que ça - et sans que cela tourne à la guerre de tranchée avec les progressistes ; comme si quelque chose avait changé.

(Ca ne vient pas du mois d’août : les étés précédents, la médiocrité teigneuse des bien-pensants était bel et bien la couleur dominante)

Le divorce entre la presse et ses lecteurs semble donc avoir pris un tournant - temporaire ou durable, nous verrons, en admettant que toutes ces observations ne soient pas un délire de votre ivrogne de serviteur.

Le divorce est toujours là, mais moins conflictuel, plus sûr et plus posé de la part de ces lecteurs-là. Cela ressemble à quelque chose comme : “inutile de raisonner les fous, discutons entre nous sans eux, même si c’est chez eux” ou tout simplement “‘nous en sommes donc là”. Cependant que la presse continue comme si de rien n’était dans sa vision malade, alors qu’elle est parfaitement au courant des remarques des lecteurs puisqu’elle les modère. Lesquels lecteurs renouvellent apparemment leur abonnement à ces journaux que pourtant ils méprisent. D’un côté comme de l’autre, ça ne laisse pas de me surprendre chaque jour : les deux côtés sont-ils fous ?

Bref, ce n’est là qu’un commentaire à propos de commentaires sur Internet, c’est dire comme cette intervention est majeure et marquera le monde. Néanmoins, les commentateurs des sites d’informations grand public représentent justement un public considérable, et apparemment, quelque chose a changé au sein de ce vaste public ; apparemment quelque chose de ferme et d’adulte, et non une nouvelle couche de violence ou de frustration comme on aurait pu s’y attendre.

L’avenir nous dira si ces observations sont pertinentes, et le cas échant, vers quoi elles évolueront. Peut-être d’autres lecteurs de Dedefensa.org ont aussi observé cette évolution (ça me rassurerait si c’est le cas : ça m’arrangerait que ce ne soit pas moi, le fou ; ou le plus fou, en tout cas)