Forum

Article : Opérationnalité de la Nostalgie

Pour poster un commentaire, vous devez vous identifier

Question vocabulaire et de son usage ; sinon usure .

Christian Feugnet

  01/06/2019

On avait esperance , espoir , utopie , idéal , etc ....ces notions sont devenues tellement frelatées et banalusées qu'elles ne peuvent plus convenir .
Certes la nostalgie , associée à la mélancolie ( renaissance) comme pathologie , tristesse , inaction , résignation ...pourquoi ne pas la retourner comme un gant puosque plus d'usage .
Pourquoi ne pas forger un nouveau vocable , non plus .
Sans vouloir dire que ce soit adapté , je pense à un autre domaine avec "disruption" , qui selon moi provoque au moins une interrogation .

Utopie et oxymore

jc

  04/06/2019

PhG: "La sagesse, aujourd'hui, c'est l'audace de la pensée."

Thom: "S'il est vrai que tout lieu a une limite, fût-elle irréelle comme un horizon,alors l'utopie se donne comme programme d'aller au delà. Il n'est pas étonnant que l'utopie et l'oxymore aient partie liée. Tous deux résultent de l'effort de briser les limites que l'esprit humain s'est à soi-même imposées: contraintes logiques, car l'oxymore est la transgression de la règle¹ qu'Aristote avait posée en logique pour sa définition du Genre par les contraires, transgression des contraintes intuitives que nécessite l'espace à 4 ou n>4 dimensions dans la représentation de l'espace."

Cette citation est tirée de la fin du court article (4 pages) "Topoï de l'utopie"², article qui pourrait appeler un "Logoï de l'ulogie"³ que, peut-être, nous allons découvrir au détour du tome III de "La Grâce de l'Histoire" (La nostalgie? L'âme poétique? La recherche de l'Unité perdue?)


Dans cette lutte prodigieuse entre le topos et le logos.


¹: Thom n'hésite pas à transgresser le principe aristotélicien de non-contradiction (alors que dans sa conceptualisation d'un topos Grothendieck fait, lui, le choix de transgresser le principe du tiers exclu): "Dans cette confiance en l'existence d'un univers idéal, le mathématicien ne s'inquiétera pas outre mesure des limites des procédés formels, il pourra ignorer le problème de la non-contradiction." (AL p.561)
(Il est pour moi clair que l'oxymore ne peut prendre sens que si l'on transgresse le principe de non-contradiction.)

²: https://www.ecole-alsacienne.org/CDI/pdf/1301/130112_THO.pdf

³: "Il suffit d’un mot, d’une phrase, d’une citation à placer en tête, la chose inspiratrice qui ouvre la voie et là-dessus se déroule le texte, à son rythme, entièrement structuré, avec sa signification déjà en forme et en place. Je n’ai rien vu venir et j’ignore où je vais, mais j’ai toujours écrit d’une main ferme et sans hésiter… et toujours, à l’arrivée, il y avait un sens, une forte signification, le texte était devenu être en soi… C’était un instant de bonheur fou."  https://www.dedefensa.org/article/le-desenchantement-de-dieu

Être de raison et raison d'être

jc

  11/06/2019

Pour moi un être véritable a sa raison d'être. Il suit que la véritable rationalité, la véritable raison, doit être telle que tout être de raison ait sa raison d'être, sa finalité.

Dans un monde où chaque être a sa raison d'être règne nécessairement -presque par définition- un ordre, une harmonie et un équilibre (trilogie chère à PhG). Aussi l'introduction dans un tel monde d'êtres de raison qui n'ont pas nécessairement de bonnes raisons d'être (les engins automobiles, les ordinateurs, les robots ...) ne peut que perturber cet ordre, cette harmonie et cet équilibre (métaphoriquement un peu comme une construction neuve faite sans étude d'impact sur les constructions déjà existantes): on aura reconnu là le progrès à coups de soit-disant destructions créatrices de notre contre-civilisation triomphante).

Il y a eu il y a près d'une dizaine d'années sur ce site une série de dialogues entre Jean-Paul Baquiast¹ et Philippe Grasset qui concerne, selon moi, directement la nuance ci-dessus entre êtres ayant leur raison d'être (que défend PhG) et êtres de seule raison (que défend JPB). Dialogues passionnants dans lesquels est clairement posée la question du progrès; question à laquelle les deux protagonistes donnent une réponse diamétralement opposée: une réponse quasi-darwinienne -déjà évoquée plus haut- dans le cadre conceptuel imposé par le Système pour JPB², une réponse résolument antiSystème et nostalgique pour PhG: "Le seul progrès qui vaille consiste à vouloir retrouver l'Unité perdue³".

(Chacun peut mesurer le mur d'incompréhension qui sépare JPB de PhG en lisant le "Le grain de sable divin" par PhG et sa réponse "L'individu dans l'Histoire" par JPB. Il me semble que l'indistinction faite par JPB entre les tours de Doubaï et les cathédrales "du temps des cathédrales" illustre assez parfaitement l'indistinction qu'il fait entre être de raison et être qui a sa raison d'être.)

L'intérêt(?) que je vois à ce commentaire est que ces deux façons diamétralement opposées de concevoir le progrès renvoient à deux façons -pour moi inattendues- également diamétralement opposées de transgresser les deux principes logiques du tiers exclu et de non-contradiction édictés par Aristote dans son Organon.

(En Occident il faut peut-être remonter à Aristote et son Organon pour que l'intuition des présocratiques commence à s'effacer devant la technique de la preuve, effacement qui parvient à son comble avec "The laws of the thoughts" de Boole et les écoles formalistes qui ont suivi (philosophie analytique, etc.). C'est seulement dans un passé récent que l'on commence à oser braver les principes aristotéliciens du tiers exclu (logique intuitionniste) et de non contradiction (logique paraconsistante).)

L'intuitionnisme mathématique⁴ ouvre la voie à de nouveaux êtres de raison dont les plus connus sont les topoï de Grothendieck, voie qui est en cours d'exploration depuis maintenant un demi-siècle. Une version "duale" de ce concept de topos a été proposée par les philosophes belges Lambert et Hespel dans un article "De la topologie de la conciliation à la logique de la contradiction"⁵; article dont je ne comprends pas pourquoi les mathématiciens ne s'en sont pas emparés car l'approche topologique montre que la dualité entre principe du tiers exclu et principe de non contradiction renvoie à la dualité ouvert/fermé dans un espace topologique, à la dualité  faisceau/conciliation, dualité mathématisée que l'on peut, je crois, traduire pour les non-matheux par la dualité construire/fonder (cf. p.319).

Extrait (p.320) qui va clairement, selon moi, dans le sens du progrès tel que le conçoit PhG (et tel que je le conçois): "Le seul progrès qui vaille consiste à vouloir retrouver l'Unité perdue":

"Car -et c'est là le point crucial- tout ce qui est doit résulter d'une conciliation. Tout se qui est se trouve, en effet, doué d'unité. il n'est rien qui ne soit un tout. Pour le dire autrement l'unité est une condition nécessaire de tout être, même multiple⁶. Ou, comme l'énonçait cet autre métaphysicien [autre que Spinoza -précité dans l'article] qu'était Leibniz: "Ce qui n'est pas véritablement "un" être n'est pas non plus véritablement un "être"."

On peut bien rassembler différents objets, on ne formera pour autant un être, mais tout au plus un "être de raison". Rendre compte de quoi que ce soit exige donc de rendre compte de son unité. Or (...) c'est justement ce à quoi parvient une conciliation."

Pour moi la rationalité, la raison, s'est progressivement subvertie: d'une part en éliminant l'intuition présocratique au profit de la formalisation, et d'autre part en éliminant le recours à l'analogie (pour les "modernes" comparaison n'est pas raison ...). Avec le désastreux résultat que l'on connaît.

Selon moi Grothendieck a choisi la voie de la logique intuitionnisme et le constructivisme qui va avec alors que Thom a choisi la voie de l'intuition et la logique paraconsistante -et donc la topologie de la conciliation-: "Dans cette confiance en l'existence d'un univers idéal, le mathématicien ne s'inquiétera pas outre mesure de la limite des procédés formels, il pourra oublier les problèmes de la non-contradiction. Car le monde des Idées excède infiniment nos possibilités opératoires, et c'est dans l'intuition que réside l'ultima ratio de notre foi en la vérité d'un théorème -un théorème étant avant tout, selon une étymologie aujourd'hui bien oubliée, l'objet d'une vision.".

Voici pour terminer une citation de J.V. Uexhüll extraite de sa "Théorie de la signification", citation qui illustre, selon moi, les problèmes soulevés par les propos ci-dessus entre être de raison (humaine) et être ayant sa propre raison d'être:

"Le mécanisme de n'importe quelle machine, telle une montre, est toujours construit de manière centripète, c'est-à-dire que toutes les parties de la montre -aiguilles, ressorts, roues- doivent d'abord être achevées pour être ensuite montées sur un support commun.
Tout au contraire, la croissance d'un animal, comme le Triton, est toujours organisée de manière centrifuge, à partir de son germe; d'abord gastrula, il s'enrichit ensuite de nouveaux bourgeons qui évoluent en organes différenciés.
Dans les deux cas, il existe un plan de construction: dans la montre, il régit un processus centripète, chez le Triton, un processus centrifuge. Selon le plan les parties s'assemblent en vertu de principes entièrement opposés."

(Thom: "La classe engendre ses prédicats comme le germe engendre les organes de l'animal. Il ne fait guère de doute (à mes yeux) que c'est là l'unique manière de théoriser ce qu'est la Logique naturelle.")
.

¹: https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Paul_Baquiast

²: Cf. son "Le paradoxe du sapiens : êtres technologiques et catastrophes annoncées".

³: Cf. "La Grâce de l'Histoire", tome II, p.342.

⁴: Rien à voir avec l'intuitionnisme de Bergson (critiqué par Guénon).

⁵: Pdf disponible actuellement sur la toile.

⁶: Cf. éventuellement "Individuation et finalité", Thom, Apologie du logos.

Utopie et oxymore.1

jc

  13/06/2019

Nostalgie, utopie, inconnaissance.

PhG: "En observant les divers aspects du mot “utopie”, une seule chose me retient et me fais finalement adopter le terme, mais bien sûr une chose fondamentale : son étymologie, de ce mot formé par Thomas More à partir du grec “aucun lieu”. Effectivement, et cela est si bien trouvé (moi qui ignorais l’origine du mot “utopie”), – songez-y, que la “nostalgie” soit une “utopie”, c’est-à-dire “aucun lieu”, un nulle part qui représente une sorte de “partout” ; c’est-à-dire, dirais-je en poursuivant ma perception de la définition, “aucun lieu“ dans le présent, ni nécessairement dans le futur que ce présent prétend imposer, mais “partout” (tous les lieux) dans le passé dont la nostalgie rend compte en faisant le choix des plus sublimes et donc en substituant au passé mécanique de nos mémoires, le véritable passé, celui qui suggère des accès à l’éternité …
Ce n’est que dans ce sens que la “nostalgie” me paraît une “utopie”, mais alors quelle puissance, quelle ampleur, quelle hauteur !"

Denys l'Aéropagite: "C’est alors seulement que, dépassant le monde où l’on est vu et où l’on voit, Moïse pénètre dans la Ténèbre véritablement mystique de l’inconnaissance : c’est là qu’il fait taire tout savoir positif, qu’il échappe entièrement à toute saisie et à toute vision, car il appartient tout entier à Celui qui est au-delà de tout, car il ne s’appartient plus lui-même ni n’appartient à rien d’étranger, uni par le meilleur de lui-même à Celui ⁴échappe à toute inconnaissance, ayant renoncé à tout savoir positif, et grâce à cette inconnaissance même connaissant par-delà toute intelligence.”

                                              ————————————————————-

Lorsqu'on lance un moteur de recherche  sur le mot "logocratie" on constate que ce terme est inconnu du Wikitionnaire. Il apparaît -de façon guère élogieuse d'ailleurs- dans le toupictionnaire¹. Je suppose que George Steiner, auteur de "Les logocrates" a esquissé les contours d'une telle définition. Je retiens celle que donne PhG²: "messager de mots et d’un langage dont je ne me crois aucunement le propriétaire, ni même l’inspirateur."

Jouer avec les mots peut parfois permettre d'ouvrir de nouveaux horizons³. Topos et logos appellent topologie mais aussi logotopie⁴, logocratie appelle topocratie. Ainsi l'utopie, qui concerne le topocrate, appelle l'ulogie (l'oxymore), qui concerne le logocrate.

De même qu'une utopie peut renvoyer soit à "aucun lieu" soit à "tous les lieux" (cf. les citations introductives), de même une ulogie (un oxymore) tel que "A et non A" peut renvoyer soit à une incohérence (version forte du principe de non-contradiction) soit à une plénitude (Dieu, tout puissant, peut tout et (donc) le contraire de tout…; le chat de Schrödinger peut être à la fois vivant et mort…).

Logiquement (logotopiquement?) on est devant l'oxymore comme devant un mur, on ne rien en dire à cause du principe de non-contradiction. Mais c'est possible topologiquement (et c'est même très simple) à condition de remettre en scène -et même en vedette- le concept de frontière honni par les globalistes. Il suffit pour cela de lire l'introduction -très politique!- de l'article "De la topologie de la conciliation à la logique de la contradiction⁵" des philosophes belges Lambert et Hespel, que l'on peut résumer grossièrement ainsi: la conciliation des concepts souverains A et non A est possible et se fait sur leur frontière commune. Ce qui exige que ces concepts aient une frontière (et même une frontière commune), c'est-à-dire en langage topologique mathématisé que ce soient des ensembles fermés -ce dont les globalistes ne veulent pas entendre parler avec leur société "ouverte"-.

Dans le rôle absolument crucial, vital, joué par les frontières, Lambert et Hespel rejoignent donc Régis Debray avec sa poétique et politique "Éloge des frontières" et René Thom avec ses axiomes métaphysiques ABP (l'Acte est le Bord de la Puissance) et FBM (la Forme est le Bord de la Matière). Il y a là pour moi des arguments extrêmement puissants et profonds en faveur du souverainisme (et en défaveur du globalisme).


¹: http://www.toupie.org/Dictionnaire/Logocratie.htm (site trotskiste? Toupie est une anagramme du mot utopie, est-il rappelé sur ce site)

²: http://www.dedefensa.org/article/confession-dun-trois-quarts-de-siecle

³: "Il suffit d’un mot, d’une phrase, d’une citation à placer en tête, la chose inspiratrice qui ouvre la voie (...)"
https://www.dedefensa.org/article/le-desenchantement-de-dieu

⁴: "Je dirai la chose ainsi encore : la portée de ce que Lacan peut être amené à nous proposer avec ses élaborations autour des objets mathématiques, tels que la bande de Moebius et l'entrelacs borroméen, est moins de l'ordre de la topologie (élaboration d'un discours sur la question des lieux) que de ce que j'appellerai la logotopie (élaboration de lieux sur la question des discours)."
(René Guitart, Evidence et Etrangeté, p.28, PUF, CIPh, Paris, 2000).

⁵: Disponible actuellement sur la toile.

Utopie et oxymore.2

jc

  14/06/2019

Sous-titre: Apologies du logos et du topos.

C'est au départ par jeu et par plaisir du jeu que je me suis auto-promu topocrate (néologisme maison) pour m'opposer au logocrate PhG. Me prenant au jeu j'en arrive aujourd'hui à penser que le point de vue topocratique a un intérêt parce que je crois que l'intelligence artificielle aura beaucoup plus de mal à mimer une intelligence humaine qui s'exprime topocratiquement qu'une intelligence qui s'exprime logocratiquement.

Je pense aujourd'hui que, dans son bouquin "Apologie du logos", Thom fait non pas seulement une apologie du logos et également une apologie du topos (en insistant sur la continuité du passage d'un point de vue à l'autre) avec une préférence marquée pour le point de vue topocratique:

"Ce n'est pas un hasard si, finalement, l'une des meilleures applications de la théorie des catastrophes est encore le modèle de l'agressivité du chien proposé par Christopher Zeeman. Malgré son caractère non quantitatif, qui a suscité la dérision des scientifiques professionnels, il a l'avantage inestimable de montrer ce qui fait la supériorité d'un modèle géométrique sur une construction conceptuelle. Expliquer linguistiquement son contenu oblige à des paraphrases compliquées dont la cohérence sémantique n'est pas évidente." (AL p.33)

Thom défend l'idée d'une origine géométrique de la structure des langues naturelles (cf. "L'homo loquens", SSM 2ème ed., pp.309 à 315). L'existence d'une telle théorie a son intérêt bien évidemment en général, mais en particulier sur site car PhG y a jadis écrit:

"Ma perception intuitive, – avec moi, vous aurez toujours l’embarras de ce qualificatif redoutable, – m’invite à considérer le darwinisme comme la description d’un processus, mais nullement du sens de ce processus. Hors du jeu de mots inévitable, je parle bien de “sens” selon la définition de «Idée intelligible à laquelle un objet de pensée peut être rapporté et qui sert à expliquer, à justifier son existence» (selon le Robert). Le darwinisme me semble ainsi complètement acceptable dans cette place que je lui accorde d’intuition (quoiqu’avec l’une ou l’autre réserve, dont celle-ci que je cite de seconde main et qui me paraît capitale justement pour le cas signalé ici, – d’après Georges Steiner dans Les Logocrates : «Il est intéressant de signaler que Thomas Huxley¹, vers la fin de sa carrière, en arriva à la conclusion que le darwinisme n’avait offert aucune explication plausible des origines du phénomène du langage»). Par conséquent, je suis (au sens de “suivre”) le darwiniste que vous êtes, mais avec des réserves importantes qui concernent justement le fond de notre débat." (Introduction du dialogue III avec JP Baquiast "Le grain de sable divin").

En fait l'ambition de Thom est de géométriser la pensée, c'est-à-dire, au fond, de donner de l'épaisseur à ce que disait jadis Confucius: "Une image vaut mille mots" (cf. la citation de AL p.33 ci-dessus):

"L'ambition ultime de la théorie des catastrophes, en fait, est d'abolir la distinction langage mathématique-langage naturel qui sévit en science² depuis la coupure galiléenne." (AL p.409)

Le problème de passer du point de vue topocratique au point de vue logocratique est joliment formulé par Thom: "Comment comprimer la pâte continue des phénomènes dans le moule des actions déjà verbalisées?".


Dieu et le géomètre, même combat.

1. PhG et l'origine divine du langage:

PhG³: "Dans cet extrait [d’un texte en préparation pour le troisième tome de La Grâce de l’Histoire], nous parlons d’une conférence que Georges Steiner donna sur les “logocrates” (conférence à l’UCL de Bruxelles en 1982, repris dans Les Logocrates [George Steiner, L’Herne, Essais et philosophie, 2003]). (Les mots en gras des citations de Steiner le sont par l’auteur.)

« “Le point de vue ‘logocratique’ est beaucoup plus rare et presque par définition, ésotérique. Il radicalise le postulat de la source divine, du mystère de l’incipit, dans le langage de l’homme. Il part de l’affirmation selon laquelle le logos précède l’homme, que ‘l’usage’ qu’il fait de ses pouvoirs numineux est toujours, dans une certaine mesure, une usurpation. Dans cette optique, l’homme n’est pas le maître de la parole, mais son serviteur. Il n’est pas propriétaire de la ‘maison du langage’ (die Behausung der Sprache), mais un hôte mal à l’aise, voire un intrus… ”

» Parmi les “logocrates”, ou ceux qui peuvent s’en approcher, Steiner cite Joseph de Maistre, pour qui bien entendu l’origine ne peut être que transcendantale (Steiner : Pour Maistre, “[i]l existe un accord ontologique entre les mots et le sens parce que toute parole humaine est l’émanation immédiate du ‘logos’ divin.”) ; l’originalité de Maistre, son sens foudroyant de l’Histoire et de la métaphysique de l’Histoire, font que, naturellement, nous dirions par la force des choses divines et comme par une exigence logique de la métahistoire, le langage tient un rôle considérable dans les affaires politiques et historiques des hommes, et en mesure la hauteur, sinon qu’il en est même la mesure, la cause et la conséquence à la fois…

» “[Maistre] fit valoir la congruence essentielle existant entre l’état du langage, d’un côté, la santé et les fortunes du corps politique de l’autre. En particulier, il découvrit une corrélation exacte entre la décomposition nationale ou individuelle et l’affaiblissement ou l’obscurcissement du langage : ‘En effet, toute dégradation individuelle ou nationale est sur-le-champ annoncée par une dégradation rigoureusement proportionnelle dans le langage… ”

2. Thom et l'origine géométrique du langage: voir plus haut.

3. Thom: "Selon beaucoup de philosophes, Dieu est géomètre; il serait peut-être préférable de dire que le géomètre est Dieu" (extrait de "Infini opératoire et réalité physique", que je n'ai pas lu)

Il ressort pour moi clairement que pour phG comme pour Thom l'origine des langues naturelles est ... naturelle, elle n'est pas culturelle (l'origine d'une langue naturelle ne résulte pas de conventions culturelles entre ceux qui la pratiquent -même si, bien entendu, l'arbitraire du signe -entre autres- joue culturellement d'une langue à l'autre-: pour moi Thom et PhG se placent résolument dans le cadre du réalisme (philosophique) qui seul peut permettre d'espérer retrouver une certaine sacralisation du langage (et non celui du nominalisme qui, lui, permet toutes sortes de logorrhées):

PhG³: "Ce jugement [de Steiner] nous frappe par sa fulgurance et son évidence, lorsqu’on compare le langage d’un de Gaulle et celui d’un président français courant, la hauteur tragique d’une part, la grossièreté primaire ou la mollesse ébahie d’autre part. Il n’y a pas aujourd’hui un seul orateur de la vérité de notre situation crisique dans le champ du politique, sinon le Russe Poutine dans certaines de ses interventions. Cette pauvreté semblable à une campagne dévastée par la sécheresse et réduite aux brûlures infécondes d’une terre massacrée mesure la souffrance de nos contemporains et explique notre empressement à chercher nos références dans notre-passé, comme lieu d’élection d’une éternité perdue, comme seule raison d’être de notre nostalgie… »


¹: Thomas Huxley a été auparavant un fervent supporter de Darwin. (Source Wikipédia)

²: Thom: "Il faudrait beaucoup d'outrecuidance pour croire qu'il existe une frontière stricte et bien définie entre Science et Non-Science."

³: https://www.dedefensa.org/article/du-bon-usage-de-poutine

Du Matérialisme du XIXème au matérialisme du XXIème

jc

  16/06/2019

PhG: "J'ai la majuscule facile."

Dans le tome II de "La Grâce de l'Histoire", PhG fait à plusieurs reprises la distinction entre Matière (majusculée) qu'il associe au Mal et matière (minusculée) dont il dit plutôt du bien et dont il promet de faire l'un des thèmes centraux du tome III¹: "(...) elle [la matière minusculée] n'est certainement pas que le Mal, -comme Rodin justement le démontre, et les cathédrales avec lui, (...)".

Je n'arrive pas à me faire une idée, même imprécise, avec les éléments dont je dispose, de ce que PhG entend par matière; il me faut attendre le tome III avec le guère encourageant:

"(...) certains reprocheront à l’auteur la complexité de ses phrases, voire leur hermétisme. Je me rends bien compte de cette complexité “voire de cet hermétisme” et n’ai aucunement l’intention, ni de m’en expliquer, ni de demander qu’on m’en excuse. Il m’apparaît impossible de traiter le sujet que j’ai choisi autrement que je ne l’ai fait, tout comme il m’apparaît impossible, dans la démarche que je suis, de traiter un autre sujet que celui que je traite. A cet égard, je me perçois entièrement comme un logocrate, comme si les remarques, les reproches, les souffrances que j’imposais à mes lecteurs ne dépendaient pas vraiment de moi."

À la suite d'Aristote et de Thom², je pense que nous sommes un corps-âme; et par suite, je pense aussi que nous ne pouvons pas dissocier sans précaution la matière et la forme, la puissance et l'acte, le sujet d'étude de l'objet d'étude³, l'essence et l'existence, etc., comme le font si facilement les scientifiques (les scientistes?) modernes avec leur prétendue "objectivité".

Pour moi la Matière n'a pas d'âme alors que la matière en a une (la cathédrale de Reims a une âme alors que les tours de Doubaï n'en ont pas): les modernes ont transformé une physique qui avait une âme -la physique aristotélicienne est une physique du vivant, une biophysique- en une physique qui n'en a pas. (Et la pensée contemporaine dominante -la pensée Système- a détruit l'harmonie entre la matière et la forme aristotéliciennes pour en faire la Matière et la Forme modernes (rigidité formalisante des Matérialistes -pour moi typiquement la mélenchonie, mais aussi la macronie, l'attalie, etc.) avec les effets catastrophiques que l'on constate actuellement.)

Je vois le matérialisme (m minuscule) du XXIème siècle comme un néo-aristotélisme, c'est-à-dire un aristotélisme relooké "à la Thom". Au contraire du Matérialisme (M majuscule) du XIXème siècle qui, selon moi, ignore le vivant -voire le nie-, je suis convaincu que ce matérialisme⁴ du XXIème siècle est tout-à-fait écolo-compatible.

Je verrais même bien se constituer un parti politique néo-matérialiste écolo "à visage humain" autour des idées thomiennes, idées que, quant à elles, je qualifierais volontiers de supra-humaines⁵ (il suffit de lire l'oeuvre de Thom pour s'en convaincre).



¹: Cf. le tome II, pp. 412 et 413.

²: Thom: "C'est sans doute sur le plan philosophique que nos modèles présentent l'apport immédiat le plus intéressant. Ils offrent le premier modèle rigoureusement moniste de l'être vivant, ils dissolvent l'antinomie de l'âme et du corps en une entité géométrique unique." (SSM, 2ème ed., pp. 320 et 321)

³: Il semble maintenant acquis chez les physiciens "quantiques" que l'on ne peut percevoir sans être également perçu, que le sujet observateur perturbe toujours l'objet qu'il observe -et qu'il est, en retour, toujours perturbé par lui-.

⁴: Jean Largeault: "Thom, qui à la rigueur aurait de la sympathie pour un matérialisme, rejette le réductionnisme qui rattache tous les phénomènes à un seul type de forces naturelles (physico-chimiques)." (AL, préface, p.27)

⁵: Thom (topocrate!): "En dépit de mon admiration pour ce dernier [Aristote], je reste platonicien en ce que je crois à l'existence séparée ("autonome") des entités mathématiques, étant entendu qu'il s'agit là d'une région ontologique différente de la "réalité usuelle" (matérielle) du monde perçu. (C'est le rôle du continu -de l'étendue- que d'assurer la transition entre les deux régions.) (ES pp. 244 et 245)

La nostalgie de l'Unité perdue?

jc

  16/06/2019

PhG (citant Daniel Vouga à propos de Maistre et Baudelaire):
"Le progrès, le seul progrès possible, consiste à vouloir retrouver l'Unité perdue." ("La Grâce de l'Histoire", tome II, p.342)

Celles et ceux qui parcourent mes commentaires se souviennent peut-être que l'une de mes utopies -le mot est actuellement à la mode sur Dedefensa- est de voir l'instauration d'un régime où les femmes et les hommes sont à égalité de responsabilité¹ dans la gestion des affaires publiques, style "Les femmes au palais du Luxembourg, les hommes au palais Bourbon, faisant chambre commune à Versailles (à la recherche de l'Unité perdue ...)".

Dans "Le mythe de la virilité", bouquin que je trouve de bonne tenue², la philosophe Olivia Gazalé fait mention:
- de civilisations dans lesquelles les responsabilités étaient (et parfois sont encore) partagées entre les deux sexes;
- de cosmogonies dans lesquelles apparaissent des dieux-déesses hermaphrodites pouvant suggérer une nostalgie de l'Unité perdue;
- des considérations biologiques contemporaines où j'ai appris qu'il existait effectivement actuellement quelques rares humains hermaphrodites: "les hermaphrodites véritables possèdent un un testicule et un ovaire" (p.470).

Je viens de découvrir que Thom apportait de l'eau à mon moulin³, agrémentant ainsi mon utopie d'une note pour moi réaliste. C'est dans SSM (2ème ed., pp.190 à 192) au paragraphe "Chréodes génitales" du sous-titre "Modèles en épigenèse tardive". Vu ma nullité crasse en embryologie "classique", il est hors de question pour moi de résumer ce qui est dit dans ces trois pages. La base à partir de laquelle Thom développe ses modèles de formation des parties génitales mâle et femelle chez le Métazoaire est la catastrophe "Ombilic parabolique", parfois appelée catastrophe "Champignon" car les figures générées par la forme mathématique de cette catastrophe rappellent le champignon "Phallus impudicus". Pour moi on est quasiment dans le supra-humain. Et je me demande si Thom n'en a pas conscience puisqu'il prend la peine de justifier l'audace de sa pensée en bas de la page 192:

"On pourra objecter à toutes ces analogies une bonne part d'arbitraire; un mathématicien pourrait même prétendre, avec raison, qu'on pourrait construire des courbes tout aussi significative à bien moindres frais; à cela je ne puis guère répondre que j'ai été conduit à ces équations par la théorie des singularités structurellement stables, avec le postulat supplémentaire d'une symétrie bilatérale en [la variable] x et l'hypothèse de la stabilisation de l'ombilic elliptique."

Dans le paragraphe suivant il va à l'encontre des nombreuses cosmogonies dans lesquelles nous serions descendants de dieux-déesses hermaphrodites:

"Si l'embryon humain présente une structure hermaphrodite jusqu'à un âge avancé, ce n'est sans doute pas, comme le voudrait la loi de récapitulation, parce que nous eûmes de lointains ancêtres hermaphrodites; mais plutôt parce que l'épigenèse, ayant à construire des mâles et des femelles, a trouvé plus économique de construire d'abord la situation seuil, quitte ensuite à infléchir, pour un court laps de temps, l'organisation dans un sens ou dans l'autre."

Unité passée et perdue ou Unité à venir?

Remarque finale:

 Je ne résiste pas, à l'intention des logocrates, à l'envie de rappeler que Thom part également de cette même catastrophe "Ombilic parabolique" pour proposer un modèle des automatismes du langage⁶ (SSM 2ème ed., pp. 311 à 315): "Le gamète émis par le concept n'est autre que le mot (le nom correspondant). L'émission verbale apparaît alors comme un véritable orgasme." (p.314)


¹: Ce qui, pour moi, n'implique pas automatiquement l'actuelle sacro-sainte égalité devant la loi.

²: Qui répond, entre autres, au bouquin pour moi de nettement moins bonne tenue "Le premier sexe" de Éric Zemmour.

³: Ceux qui me lisent savent que je ne peux pas résister à ce genre d'arguments.

⁴: Thom rappelle ce constat p.192.

⁵: Et me renvoie d'une part à la célèbre citation de Galilée ("Le livre de la nature est écrit en langage mathématique ...") et d'autre part à l'étrange citation thomienne "Selon beaucoup de philosophes, Dieu est philosophe; il serait peut-être plus logique de dire que le géomètre est Dieu."

⁶: PhG: "Il suffit d'un mot, d'une phrase ... C'était un bonheur fou."

De Reims à Dubaï, de la plume au clavier: nostalgie

jc

  17/06/2019

Tout est dans le titre.

Comment qualifier ce lent processus qui nous a amenés de la cathédrale de Reims aux tours de Doubaï¹ et de l'écriture à la plume, avec pleins et déliés (et pâtés…) à l'écriture standardisée et assistée qui nous est maintenant pratiquement imposée? Je propose: dévitalisant, dénaturant, artificialisant, mécanisant, désenchantant, mortifère…

Thom:

- "Si notre langage nous offre une description relativement correcte du monde, c'est qu'il est -sous forme implicite et structurale- une physique et une biologie. Une physique, parce que la structure de toute phrase élémentaire est isomorphe (isologue) à celle des discontinuités phénoménologiques les plus générales sur l'espace-temps. Une biologie, parce que tout concept à caractère concret est isologue à un être vivant, un animal." (MMM, "Topologie et signification", conclusion)

- "Une lettre est un animal stylisé." (citation dont je ne connais malheureusement pas le contexte)

Peut-être la mouvance antiSystème, que l'on peut qualifier, je crois, actuellement de gazeuse, pourrait-elle se cristalliser -faire morphogenèse- autour de l'idée de revitalisation, de renaturation, de réenchantement du monde?

À suivre quelques citations thomiennes au sujet des rapports du naturel et de l'artificiel, du vitaliste et du mécaniste:

- "La synthèse ici entrevue entre les pensées "vitaliste" et "mécaniste" n'ira pas sans un profond remaniement de nos conceptions du monde inanimé" (MMM, "Une théorie dynamique de la morphogenèse", conclusion)

- "La science veut construire la vie à partir de la mécanique, et non la mécanique à partir de la vie."

- "L'hypothèse réductionniste devra peut-être un jour être retournée: ce sont les phénomènes vitaux qui pourront nous expliquer certaines énigmes de la matière et de l'énergie. Après tout, n'oublions pas que le principe de la conservation de l'énergie a été exprimé pour la première fois par von Mayer, un médecin."

- "Encore une fois, comme disait Aristote, ce n'est pas la nature qui imite l'art, c'est l'art qui imite la nature. C'est parce que nous avons implicitement le schéma de la pompe réalisée dans le coeur que nous avons pu ultérieurement construire des pompes technologiques. Et maintenant les gens vous disent, le cerveau, c'est un ordinateur. On continue ..."

Le progrès, le seul progrès qui vaille, c'est de retrouver l'intelligibilité perdue. (Pour paraphraser Daniel Vouga.)


¹: Pour Reims et Doubaï, lire ce qu'en dit PhG dans "Le grain de sable divin".