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Article : L’énigme Derrida

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Génitif et destruction sémantique

jc

  03/11/2022

Derrida : « Le propre d’une culture c’est de ne pas être identique à elle-même. Non pas de n’avoir pas d’identité mais de ne pouvoir s’identifier, dire “moi” ou “nous”… Que dans la non identité à soi ou si vous préférez la différence avec soi. Il n’y a pas de rapport à soi, d’identification à soi sans culture de soi comme culture de l’autre, culture du double génitif et de la différence à soi…».

I. Génitif.

La lecture de la locution "culture du double génitif" a engendré chez moi un mécanisme de type pavlovien (génitif -> destruction sémantique -> déconstruction -> Derrida), Thom considérant le génitif comme un opérateur de destruction sémantique. Peut-être les citations qui suivent inspireront-elles les linguistes et/ou les logocrates (je ne suis ni l'un ni l'autre) :

- "(...) le génitif correspond à la destruction sémantique du concept, dont seul un élément — le plus souvent, la localisation spatio-temporelle — est conservé. Exemple : dans l'expression « le chien de Paul », Paul n'a plus rien d'humain ; tout ce qui reste sémantiquement de l'individu Paul est sa localisation spatio-temporelle. Le génitif est donc une opération qui dissocie la figure de régulation du concept, pour en extraire les éléments
susceptibles de servir à la détermination du nom régi." (MMM, Langage et catastrophe)

- "Les schémas embryologiques interviennent essentiellement pour décrire ce qu'on appelle le génitif. Comme j'essaierai de vous le montrer, le génitif est une opération qui est à la fois de construction, c'est-à-dire d'analyse, et de synthèse du concept, mais, à la différence de ce qui se passe en embryologie, elle semble a priori réversible."  (je rappelle que pour Thom la pensée conceptuelle est une embryologie permanente).
 (génitif -> destruction sémantique -> déconstruction -> Derrida)

II. Identification  du "soi" et de "l'autre". Thom toujours :

- "Je suis tenté de croire que l'aspect fondamental de la signification est celui-là : l'identification du sujet avec une forme extérieure." .


 

Un sourd et des aveugles - Bon voyage mon capitaine

Didier Favre

  06/11/2022

Il ne disait rien à un sourd qui faisait semblant de le comprendre. Il a continué en parlant à des sourds qui faisaient semblant de le comprendre. Toute sa vie, il était parfaitement conscient de sa vacuité, de son néant ainsi que du néant de la personne en face de lui, terrifiée de devoir admettre son ignorance.

Cela le ferait passer d’être intelligent et cultivé, au point d’être sur la première ligne du front de la pensée philosophique à un humain faillible ayant devant lui un très long chemin à parcourir avant de comprendre quoique ce soit à un très petit morceau de ce qu’il prétend maîtriser. Il passerait du statut d’intellectuel dominant le monde à ces petites gens silencieuses et timide car sachant qu’elles ne savent rien ou si peu. Il passerait du maître de la pensée à une personne ayant absolument besoin d’un guide pour se retrouver dans à peu près n’importe quelle situation.

Sa décontraction m’apparaît comme la réalisation qu’il existait beaucoup de Droug dans le monde intellectuel, beaucoup de sourds prétendant comprendre le non sens qu’il émettait.

Une très belle histoire me revient à l’esprit et elle va dans ce sens.

Quand « L’Etre et le Néant » de Sartre a paru la première fois, c’était durant l’occupation allemande de la France, à Paris. Le papier manquait au point de limiter le nombre d’exemplaires à 1000. Cela n’a nullement empêché tout Paris de l’avoir lu et de le commenter dès sa parution (Ici, j’ai un doute sur la vitesse de lecture affichée.). Cela me semble physiquement impossible. C’est horriblement long à lire et je le trouve difficile à comprendre. Pire, je suspecte l’existence de bien plus de 1000 personnes souhaitant afficher leur maîtrise de ce texte rien qu’à Paris. Nous touchons là au ridicule de la situation.

Là où ce ridicule explose est que, selon mes souvenirs de cette histoire, ce livre comportait une coquille énorme. Son chapitre 13 était absent et le chapitre 11 (peut-être un autre) se retrouvait deux fois dans tous les exemplaires de cette édition. C’est la plus grande coquille de ma connaissance. Ce n’est pas la meilleure partie du ridicule de la situation.

Je savoure cette histoire car elle me dit que personne, absolument personne n’avait remarqué cette coquille. Pour moi, cette absence me dit que personne n’avait compris ce livre ou personne n’avait atteint le chapitre 13 dans le cas où ce livre avait été lu.

Tout le milieu intellectuel français du temps (je doute que cela se soit amélioré) comprenait aussi bien ce texte que le professeur sourd de Derrida et lui mettait également une bonne note.

Déconstruire devient ici et selon les considérations de ces deux histoires, la mise en évidence de ce néant intérieur, de cette incapacité à remarquer une absence du chapitre 13 et la répétition du chapitre 11 de « L’Etre et le Néant », de l’incapacité de ce professeur à remarquer que le discours de Derrida n’avait absolument aucun sens. Cette absence totale de sens est le moyen choisi par Derrida pour effectuer sa déconstruction.

Ce que ce professeur lui a involontairement enseigné est que l’autorité peut ne rien comprendre et prendre tout de même une décision, que les gens soumis à cette autorité joueront le jeu quelqu’il soit. Tout cela recouvre un néant sans la moindre légitimité et que la seule chose qui tient tout cela ensemble est la puissance du système en place.


PS : Apparemment, le vieux capitaine est de retour sur le pont.