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Article : Glossaire.dde : le “tourbillon crisique”

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Effet Janus

jc

  17/11/2017

D'après ce que j'en ai compris, c'est l'effet Janus de la communication-Système qui, selon PhG, engendre et attise le tourbillon crisique.

Pour Thom le conflit entre deux actants se régule "idéalement" par un "à chacun son tour". L'exemple fondamental qu'il donne est celui de la prédation qu'il associe à la catastrophe "fronce". Dans son modèle il y a un cycle pendant lequel le prédateur (un chat par exemple) s'identifie d'abord à sa proie, une souris virtuelle (il désire les souris plus que lui-même), avant de redevenir prédateur réel (lui d'abord!) après avoir aperçu une souris réelle. Après capture, ingestion et digestion il s'identifie de nouveau à une souris virtuelle et le cycle recommence. Pendant ce cycle il y a, selon ce modèle, deux phases pendant lesquelles prédateur et proie virtuels coïncident: deux phases de bimodalité, alias deux "effets Janus". Thom utilise ce modèle pour expliquer comment, selon lui, se régule "idéalement" le conflit "Réel/Imaginaire", le cycle circadien faisant apparaître deux phases "Janus" pendant lesquelles "Réel" et "Imaginaire" coïncident: phases symboliques où le symbole prend son sens étymologique (phases qui sont d'ailleurs toujours un peu -parfois beaucoup!- diaboliques, toujours au sens étymologique).

Pour Thom (je crois!) on est (idéalement) "individualiste" pendant la phase consciente, (on est prédateur virtuel de son environnement -prédateur réel au moins pendant les repas…-) et (toujours idéalement) "collectiviste" pendant la phase inconsciente, (où l'on s'identifie au reste du monde, à son environnement). Cf. http://www.dedefensa.org/article/dialogues-22-de-langoisse-du-monde    

Le collectivisme et l'individualisme ont été testés spatialement au XXème siècle, l'Europe de l'Ouest bénéficiant alors d'une sorte d'effet Janus spatial, à la fois collectiviste et individualiste, jusqu'à l'effondrement de l'URSS. Les gouvernements individualistes (GB, USA, etc.) ont alors crié victoire. Mais selon le modèle thomien c'est plutôt d'une alternance temporelle (et non spatiale) individualisme/collectivisme qu'il faudrait au monde. Or le Système, par la voix de Margaret Thatcher, nous dit qu'il n'y a pas d'alternance possible et, qui plus est, qu'il n'y a pas de société ("There's no such thing as society. There are individual men and women and there are families")...

On pense et on agit comme on est. Modèle darwinien ou modèle thomien? Qui sommes-nous?

PhG insiste beaucoup sur la déficience de la raison humaine et, en lieu et place, invoque l'intuition haute, voire la raison divine. Thom propose plus prosaïquement de géométriser la pensée pour pallier cette déficience. Car c'est le vénérable principe d'identité de Parménide ("Ce qui est est, ce qui n'est pas n'est pas") qui est mis à mal (par PhG et) par Thom avec son modèle géométrique du lacet de prédation. Thom qui remarque que "La possibilité pour un sujet d'accepter comme prédicat simultanément deux contraires impose en fait son caractère étendu. Là se trouve, en dernière analyse, la réponse d'Aristote à Parménide. Une proposition comme "X est -simultanément- à la fois A et non A n'est pas contradictoire, elle impose seulement le caractère étendu de X. (Toutefois cette extension n'est pas seulement l'expression temporelle du devenir, ni nécessairement l'extension spatiale de la matière "locale" (ulè topikè).) ", et qui enfonce le clou lors de l'une de ses rares "professions de foi  platonicienne": "Dans cette confiance en l'existence d'un univers idéal le mathématicien ne s'inquiétera pas outre mesure des limites des procédés formels, il pourra oublier les problèmes de la non-contradiction. Car le monde des Idées excède infiniment nos possibilités opératoires." (pour un matheux -qualificatif que Thom, médaille Fields quand même, a toujours refusé- il faut oser!)

Bien que le lacet de prédation semble être le plus élémentaire des tourbillons crisiques, je ne pense pas* que celui que PhG a en vue pour la GCES soit le lacet de prédation associé à la catastrophe "fronce" pour le conflit entre le Système et, disons, l'anti-Système. Je crois plutôt que le Système est en permanence face à lui-même et à lui seul, que l'ultra-capitalisme prédateur est en permanence sa propre proie; il n'y a pas d'alternance, il y a au contraire inspiration permanente sans expiration (métaphore pulmonaire), tension permanente sans relâchement, systole permanente sans diastole (métaphore cardiaque), éveil permanent sans sommeil. Aucun être vivant ne peut résister longtemps à ça.

PhG: "de même y a-t-il “la dynamique crisique parvenue au stade du tourbillon crisique qui dévore le Système comme s’il [le Système] était sa principale production"."

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PhG: "» Notre idée intuitive est celle-ci : quand le volume et la densité du Temps-crisique (en état de compression) qu’accueille et entretient le “tourbillon crisique” dépassera le volume et la densité du temps-Système, le basculement se fera effectivement, et avec lui l’effondrement. Nous parlons d’un processus extrêmement rapide et puissant (l'Histoire en pleine accélération), en train de se faire, en train d’arriver à son terme."

Wikipédia: "Janus est le dieu romain des commencements et des fins, des choix, du passage et des portes".
Janus est souvent représenté "bifrons", fronts opposés, l'un des fronts, conservateur, regardant vers le passé, l'autre, progressiste, vers l'avenir. Il me semble que cette représentation symbolise assez bien le lacet de prédation thomien, mais que la symbolique serait plus forte si les deux actants étaient face à face, les yeux dans les yeux, le progressiste regardant l'avenir par delà les yeux du conservateur et le conservateur regardant le passé par delà les yeux du progressiste.

Il y a en effet peut-être plus qu'une contraction du temps-aïon (le temps atemporel de l'éternité, vide d'événements) en temps-chronos (le temps de l'action, porteur d'événements catastrophiques), comme le suggère PhG, mais, toujours peut-être, carrément une inversion sinon du temps, du moins de la perception qu'on en a. C'est ce que (me) suggère la "petite phrase" du lamarckien Thom dans son article "Structure et fonction en biologie aristotélicienne": "Toute fonction apparaît alors comme un pli des temps sur l'espace-temps". Suggestion confortée d'une part par les expériences de Benjamin Libet (on prend conscience du déclenchement de l'acte de prédation d'une forme prégnante après ce déclenchement) et par des considérations venant de la Mécanique quantique (Thom: "on pourra donner pour le caractère "déclenchant" de la forme prégnante un modèle inspiré de l'effet tunnel bien connu en Mécanique quantique.").

En voilà assez pour aujourd'hui. Pour moi, plus que jamais, Philippe Grasset et René Thom défrichent, chacun à leur manière -si différente-, un même nouveau monde dont je sens confusément, tel Rantanplan, et espère qu'il pourrait être celui de demain.


* Je pense plutôt à l'une des catastrophes généralisées répertoriées par Thom dans "Stabilité structurelle et morphogénèse".

Évolution crisique tourbillonnaire des sociétés

jc

  29/08/2021

À la recherche d'une citation de Maistre à un moment où je m'intéresse aux mécanismes victimaires (mon commentaire du 28/08/2021), je retombe sur cet article du glossaire que j'ai jadis commenté (le temps passe…). En reparcourant l'article je suis arrêté par "le Système porte en lui, dès sa création et dans son développement, sa propre destruction. L’on retrouve ainsi, dans un cercle parfait d’une raison transcendantale retrouvée, l’équation surpuissance-autodestruction qui porte toute notre démarche.".

Avec l'idée qui s'impose en moi depuis peu (mais un peu plus tous les jours) qu'il y a un lien entre le théo de théorie et le théo de théologie* (lien étymologique?) j'ai découvert l'article de l'anthropologue Lucien Scubla** (https://www.persee.fr/docAsPDF/hom_0439-4216_1995_num_35_135_369950.pdf) qui pourrait, selon moi, placer l'évolution du Système (de sa naissance à sa mort) dans le cadre plus général de celui de l'évolution cyclique de toute société humaine selon l'opposition dikè/hubris (partie III de l'article).

Extrait (p.57) : " Mais nous apprenons, au surplus, que le bouclage du mythe, c'est-à-dire le retour de la dikè royale, s'opère par le
truchement d'un nouvel actant, le roi1 ou anti-roi, qui n'est ni le bon roi de l'âge d'or, ni le mauvais roi de la race d'argent.", citation qui renvoie quasi-directement, selon moi, aux quatre âges d'un manvantara et à "Autorité spirituelle et pouvoir temporel" de René Guénon.

* Thom : "Selon beaucoup de philosophies Dieu est géomètre; il serait peut-être plus logique de dire que le géomètre est Dieu".
** Scubla suggère dans cet article qu'il suffit de la catastrophe "fronce" (à ma portée intellectuelle*** -je crois…) alors que le mathématicien-philosophe Petitot suggère qu'il faut faire appel à la catastrophe "double fronce" (double cusp en anglais), beaucoup plus compliquée que les sept catastrophes thomiennes, pour situer la célèbre formule canonique du mythe (qui est aussi, selon Scubla, la formule canonique du rite) de Claude Lévi-Strauss.
*** Pour moi les sept catastrophes élémentaires de Thom sont les sept premiers barreaux de l'échelle de Jacob (qui en compte une infinité).
 

Évolution crisique.1

jc

  29/08/2021

La citation de Maistre que je cherchais pour illustrer le .0 :

« On a remarqué, avec grande raison, que la révolution française mène les hommes plus que les hommes la mènent. Cette observation est de la plus grande justesse… [...] Les scélérats mêmes qui paraissent conduire la révolution, n’y entrent que comme de simples instruments ; et dès qu’ils ont la prétention de la dominer, ils tombent ignoblement. »

On voit, à la lecture de l'article de Scubla, la difficulté qu'ont les anthropologues structuralistes contemporains à intégrer la notion de structure dynamique stable (et non simplement statique, comme par exemple une charpente). Intégration visiblement réussie par PhG dans cet article du glossaire.