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Article : Bataille avec le chaos

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Du Khaos sacré au chaos profane (version numérique)

jc

  03/01/2023

Je me suis déjà beaucoup exprimé sur le sujet, mais je crois que ma position est en bonne voie de stabilisisation.  Toujours en toile de fond il y a l'interpétation à donner de "ab" dans l'expression de "Ordo ab chao" : celle des franc-maçons "canal historique" constructeurs de cathédrales (ab=à partir de), et celle des franc-maçons (?) modernes, déconstructeurs de civilisation (ab = par) dont  "Maître Jacques" me semble incontestablement être une figure emblématique (0).

La métaphysique, en son sens technique, aristotélicien, est la science de l'être, l'ontologie. Si on admet qu'un concept est un être (1), la métaphysique élargit son domaine à la science des êtres.

Pour Alain Badiou, les mathématiques sont l'ontologie, et donc, par extension, l'ennoialogie (de έννοια : concept).

Je tente ici une approche pythagoricienne de la pensée de Douguine.

[ Aparté. Je commence par rappeler que pour les Anciens Grecs, les seuls nombres "réels" étaient ce qu'on appelle de nos jours les nombres entiers naturels, nos nombres rationnels étant seulement pour eux des nombres de raison, et leurs αλογα -tels √2 ou π- sont maintenant des nombres qualifiés de réels. D'une part Nombres (majusculés) entiers, seuls réels et sacrés pour les Ancien Grecs, d'autre part, nombres (minusculés) réels contemporains, serrés comme des sardines, censés former la droite réelle, dont l'immense majorité des αλογα sont littéralement innommables. Dans "Le règne de la quantité ..." René Guénon distingue soigneusement Nombres et nombres, et distingue aussi quantité discrète -qu'il assimile au nombre- et quantité continue (1). ]

Pour le Anciens Grecs 1 n'était pas un Nombre, ceux-ci commençant à 2. Dans de nombreuses traditions le féminin est pair alors que le masculin est impair. Si 2 est donc associé à la Femme, on a le choix entre 1 et 3 pour l'Homme. Associer 1 à ce dernier c'est prendre la place de l'Être indifférencié qui s'auto-engendre (l'αὐτόματως grec (2)). J'associe donc 3 à l'Homme. En formant l'arbre généalogique on a 2 et 3 en première génération (Adam et Ève), puis 2.2, 2;3, 3.2, 3.3 en deuxième génération, 2.2.2, 2.2.3, 2.3.2, 2.3.3, 3.2.2, 3.2.3, 3.3.2, 3.3.3 en troisième, etc. aux générations suivantes. À la sixième génération on a 64 descendants, et on retrouve l'hexagramme chinois avec 2 associé au yin et 3 au yang. et on remarque aussitôt que les chinois n'acceptent pas les permutations dans l'interprétation de leur hexagramme Yi Jing (3)

Le matheux basique a "évidemment" envie voir ce que ça donne en base 10. En deuxième génération il trouve 4, 6, 9, en troisième 8, 12, 18, 27, etc. et il en tire la conclusion que ce n'est plus du tout un arbre généalogique ! Que s'est-il passé pour qu'on perde en route 1 descendant sur 4 à la deuxième génération, 4 sur 8 à la troisième, 57 sur 64 à la sixième, etc. . REné Guénon nous met sur la piste :

« L’on dit même que le diable, quand il veut, est fort bon théologien ; il est vrai, pourtant, qu’il ne peut s’empêcher de laisser échapper toujours quelque [bêtise], qui est comme sa signature… ».

Où est donc l'erreur diabolique ? Un indice supplémentaire : au lieu de 3 pour l'Homme, mettre 1. Et 1 ne comptant pas puisque c'est l'élément neutre de la multiplication (jargon de matheux), on trouve 1 et 2 en deuxième ligne? 1, 2, 4 en troisième? 1, 2 , 4, 8, 16, 32, 64 en sixième, etc.

Finalement l'erreur diabolique est tout bêtement enseignée dès le CP : la multiplication est commutative. En ce qui concerne l'addition, également considérée comme commutative dès le CP, c'est un ajout, une concaténation "en bout de chaîne", et il faudrait s'interroger systématiquement pour savoir si on peut insérer ce nouveau maillon en début de chaîne ou au milieu d'une chaîne existante. Pour moi, à la suite de mon gourou Thom, "le rôle du génome apparaît finalement comme un dépôt "culturel" des modes de fabrication des substances nécessaires à la morphogenèse". Quel historien pourrait obtenir une interprétation cohérente du passé si les dates des événements marquant étaient temporellement inversées ? Mais que fait Big Pharma ? Thom encore, à ce sujet de la non commutativité essentielle à l'intelligibilité du monde (4):

J'écris en majuscules la conclusion qu'il faut tirer de tout ça :a

LA COMMUTATIVITÉ EST PEUT-ÊTRE LE FAUTEUR LE PLUS IMPORTANT DE CHAOS DANS "NOTRE" SOCIÉTÉ MODERNE .

Deux tas de trois pommes n'est pas la même chose que trois tas de deux pommes, les livres de compte des banquiers, les tableaux des statisticiens sont des torrents d'insignifiance (mais c'est à partir d'eux que sont prises les grandes décisions qui orientent notre société "moderne").

Que deviendrait dedefensa si on s'autorisait n'importe quel anagramme de ce mot ?

COMMUTATIVITÉ = HOMOGÉNÉITÉ (5) = ENTROPIE DE MÉLANGE (5) = DÉSORDRE. LA NON COMMUTATIVITÉ EST NÉCESSAIRE À L' ORDRE .

Le mathématicien français Alain Connes, médaillé Fields, spécialiste de Mécanique Quantique, se bat pour la géométrie non commutative et donne systématiquement, dans ses conférences, la métaphore linguistique de l'anagramme pour en justifier l'importance. Il rappelait dans l'une d'entre elles que la MQ s'appelait initialement la Physique des Matrices (dont les matheux savent qu'elles sont très loin de toutes commuter), et, quand je feuillette ses articles (sans quasiment rien y comprendre !) je m'aperçois qu'il s'agit plus d'algèbre non commutative que de géométrie.

Le géomètre Thom -qui a essayé toute sa vie, sans grand succès, de géométriser la MQ- écrit (7) que l'univers du Dieu/Déesse Khaos pourrait bien être un univers commutatif :

"Aristote a dit du germe, à la naissance, qu'il est inachevé. On peut dès lors se demander si tout en haut du graphe on n'a pas quelque chose comme un fluide homogène indistinct, ce premier mouvant indifférencié décrit dans sa Métaphysique; que serait la rencontre de l'esprit avec ce matériau informe dont sortira le monde? Une nuit mystique, une parfaite plénitude, le pur néant? Mais la formule d'Aristote suggère une autre réponse, théologiquement étrange: peut-être Dieu n'existera-t-il pleinement qu'une fois sa création achevée: "Premier selon l'être, dernier selon la génération".".

Pour terminer je souligne le rôle FONDAMENTAL de l'éducation à l'école primaire, catéchisme compris. Ainsi, plus haut j'ai "automatiquement" parlé d'Adam et Ève, alors que j'aurais dû parler d'Éve et d'Adam :
                   
                                       REDUCTIO AD SATANUM !


0  :  Cf. "L'ordre par le bruit" et son fameux théorème éponyme ( https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1976_num_25_1_1382 )
1 :  La contiguïté ("serrés comme des sardines") n'est pas la continuité. Cf. Guénon et son "Principes du calcul infinitésimal", en particulier ce qui concerne les paradoxes de Zénon.

2 :  En consultant l'étymologie de kathekon, j'ai découvert que le neutre s'écrit avec un omicron ( το καθῆκον) alors que le nominatif s'écrit avec un oméga (ο καθῆκως). Le 1 désigne "évidemment" ici le Dieu/Déesse hermaphrodite "ο αὐτόματως", et non le cartésien "το αὐτόματον".

3 : https://lechinois.com/oracles/yijing/64-hexagrammes.php?presentnum=999999

4 :  "Il faut réintroduire la qualité, qui est substantiellement différente de la quantité. Considérons le couple des deux premiers entiers naturels : un deux. Tout esprit non prévenu ne manquera pas de dire que la différence entre un et deux et quantitative. Ce n’est pas faux puisque deux égale un + un ; mais si l’on permute les deux nombres, il sera difficile de dire que (1,2) est strictement identique à (2,1). Dans le couple (p,q) q hérite de sa position de second une qualité particulière qui complémente la qualité « premier » de p et ces deux qualités sont qualitativement différentes. Je me permettrai de rappeler que la définition classique de l’organisation biologique se disait en latin situs partium." ( http://j-costagliola.over-blog.com/article-un-programme-pour-la-biologie-theorique-par-rene-thom-medaille-fields-preface-a-faut-il-bruler-darwin-l-harmattan-1995-52930252.html )

5 :  Douguine : "le chaos est un mélange, et ce mélange est basé sur la disharmonie, les conflits désordonnés et les affrontements agressifs".

Les jeunes enfants et l'arithmétique

jc

  08/01/2023

Pythagore : "Tout est Nombre" (N majuscule, Nombre sacré). Pythagore contre le Chaos ? Je rappelle encore une fois que René Guénon s'insurge contre le règne de la quantité profane (le nombre minusculé), mais pas contre les Nombres sacrés de Pythagore.

Dans mon précédent commentaire j'ai parlé de l'importance fondamentale de l'enseignement primaire (dès le CP), à propos de la symétrie (par rapport à la diagonale) des tables d'addition et de multiplication (symétrie = commutativité), et ai parlé à ce propos de reductio ad satanum. Ce problème de la naturalité des nombres et des opérations effectuées sur eux (addition, multiplication, plus grand, plus petit) est débattu en filigrane dans un entretien (1) que j'ai trouvé passionnant entre deux "Collège de France", Stanislas Dehaene, titulaire de la chaire de Psychologie cognitive expérimentale et Alain Connes, titulaire de la chaire de Géométrie et Analyse.

À propos de la reductio ad satanum il est piquant d'entendre (à 8'45) AC citer le mathématicien russe Arnold ( je reste donc dans le sujet ! ) reprochant aux jeunes élèves français de répondre "2 plus 3, parce que l'addition est commutative" à la question "Que vaut 3 plus 2 ?".

Dehaene dit en substance que les jeunes enfants de toujours et de partout dans le monde (des garçonnets et des fillettes de 4/5 ans sur lesquels des expériences ont été menées dans des sociétés "primitives" et "évoluées") sont déjà des mathématiciens en puissance, et ont une idée logarithmique des nombres : il y a pour eux une plus grande différence entre 1 et 2 qu'entre 8 et 9, et pour eux le milieu entre 1 et 100 est 10, et celui entre 1 et 9 est 3 (moyenne appelée géométrique par les matheux -racine carrée des extrêmes-) (2). Et là AC n'a pas eu la présence d'esprit de faire remarquer que la preuve que le fils de son ami avait trouvée -à 5 ans- qu'il n'y a pas de plus grand nombre entier était une preuve multiplicative (3) alors que "tout le monde" -moi en particulier- pense à une preuve additive parce que, à l'école primaire, on apprend l'addition avant la multiplication.

Dehaene (qui a été conseiller scientifique de Blanquer) ose dire, sans visiblement se rendre compte de l'énormité de ce qu'il dit (13'07) :

"Pour obtenir ce concept que les nombres forment une échelle linéaire, il faut déjà un enseignement mathématique." (4)

Mon gourou Thom à ce sujet :

"On sait que vers l'âge de dix-huit mois, le nouveau-né commence son babillage; il prend conscience de ses possibilités articulatoires, et -disent les spécialistes- forme à cette époque les phonèmes de toutes les langues du monde. Les parents lui répondent dans leur propre langue, et, peu de temps après, le bébé n'émet plus que les phonèmes de cette langue, dont quelques mois plus tard, il maîtrisera le vocabulaire et la syntaxe. Je verrais volontiers dans le mathématicien ce perpétuel nouveau-né qui babille devant la nature; seuls ceux qui savent écouter la réponse de Mère Nature arriveront plus tard à ouvrir le dialogue avec elle, et à maîtriser une nouvelle langue. Les autres ne feront que bourdonner dans le vide -bombinans in vacuo. Et où, me direz-vous, le mathématicien pourrait-il entendre la réponse de la nature? La voix de la réalité est dans le sens du symbole." ("De l'icône au symbole", MMM).".

Tout est dit : entre formation de l'esprit des jeunes enfants et formatage, ce sera formatage (5) ! Dehaene prépare nos jeunes pousses à bombiner dans le vide ! Le même Dehaene qui se plaint que nos enfants soient classés derniers de l'UE en mathématiques (6) !

Remarque finale. AC (10'10) : "D'une certaine manière les mathématiques ont pris le relais de la philosophie dans l'élaboration des concepts. Le langage mathématique, maintenant, a suffisamment mûri, s'est suffisamment développé pour qu'il arrive à donner un sens à des concepts courants qu'on n'arriverait pas à définir proprement si on n'avait pas le langage mathématique.".


1 :  Le goût des mathématiques – Émission Croisements (France Culture) du 28 août 2011 ( https://www.college-de-france.fr/actualites/le-gout-des-mathematiques-emission-croisements-france-culture-du-28-aout-2011 )

2 :  L'information première sur un nombre n écrit en base 2 -disons- est le nombre p de o et de 1 qui le composent (le plus grand étant un 1), c'est-à-dire son ordre de grandeur; information logarithmique s'il en est puisque, plus précisément, n est compris entre 2^p et 2^(p+1). La notion d'entropie d'information est basée là-dessus.

3 :  AC l'a dit en racontant l'histoire à une autre occasion.

4 :  Dans la preuve du théorème d'incomplétude de Gödel, il est crucial de pouvoir écrire sous forme additive des nombres entiers écrits multiplicativement (les fameux nombres de Gödel). AC en parle à mots couverts à 53'50 lorsqu'il dit que la soustraction—tortue de 1 itérée finit par l'emporter sur l'exponentiation-lièvre itérée. Ce qui semble donner raison à SD quant à la prééminence de l'addition sur la multiplication. Mais il y a clairement il y a une perte de sens quand on écrit additivement en base 10 (ou 2) un nombre écrit multiplicativement, par exemple les durées des cycles védiques ( https://esotericus.fr/le-manvantara-les-cycles-de-manu/ ) : ainsi 2160 ne représente rien que lui-même en base 10, mais multiplicativement il s'écrit : 2⁴.3³. 5¹, tous des nombres sacrés qui ont reçu une interprétation géométrique dans les civilisations les plus diverses. Multiplier vient de multi plicare : démultiplier n'est possible qu'en spatialisant. De là à dire que spatialiser permet de donner du sens là où l'algèbre ne le permet pas, c'est quasi-explicitement, je crois, ce que dit Thom :

" C'est parce que la mathématique débouche sur l'espace qu'elle échappe au décollage sémantique créé par l'automatisme des opérations algébriques. " ,

citation que les profanes du "tout numérique" avec leur quincaillerie électronique feraient peut-être bien de méditer (je pense aux concepteurs du F35 parce qu'il y a "décollage" dans la citation).

5 :  Mon interprétation : les maths, ça sert d'abord à savoir tenir les livres de comptes pour ceux qui font "le travail de Dieu" (Lloyd Blankfein) ! Règne de la quantité profane d'abord, règne de la quantité naturelle peut-être ensuite (et sans doute jamais règne de la quantité sacrée dans "notre" civilisation).

6 : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/stanislas-dehaene-c-est-un-scandale-nous-sommes-les-derniers-en-maths-de-l-union-europeenne-1395860