Virage eschatologique (ou : regarder Ailleurs)

Ouverture libre

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Virage eschatologique (ou : regarder Ailleurs)

Le commentaire qui suit a été écrit suite à la seule lecture du commentaire de Jean-Paul Basquiat au F&CChangement de point de vue” (31 août 2010), commentaire intitulé “La crise US n’est-elle pas une illusion?”. Depuis, j’ai lu l’Ouverture libre de M. Baquiast, “Le déclin de l'Amérique: réalité ou illusion?” (2 septembre 2010), qui développe son propos, et j’ai rajouté cet incipit et ainsi qu’un bref addendum en fait de texte. Mais laissez-moi donc reprendre ici l’extrait qui m’a initialement fait réagir (“La crise US n’est-elle pas une illusion?”) :

«Je commence à me demander si la crise – sinon l'effondrement – des USA, que nous observons et commentons tous, ne serait pas en fait une illusion. Le cœur du système de puissance demeure peut-être plus fort que jamais. J'entends les différents MIC (militaires et civils) , le soft power de la communication, les réseaux de contrôle du monde entier (par ex. le SAIC) et finalement une “élite de super-riches”, les milliardaires en $ jouant sur la scène internationale avec la plus grande aisance. Tous ces intérêts se fichent pas mal de l'effondrement de la société américaine pauvre, comme de celui de l'Europe et autres alliés.»

L’hypothèse de Jean-Paul Baquiast d’une espèce de Globalia (roman de Rufin), d’une élite de super-riches enfermée dans une bulle et contrôlant le monde avec le “meilleur” des moyens du système actuel et continuant de vivre comme si de rien n’était alors que tout le reste s’effondre autour d’eux (j’exagère un peu), ne me semble pas très plausible. Certes, le cœur du système possède encore une puissance “brute” écrasante, certes, nos élites s’en fichent du reste… Mais à l’instar des thèses exposées par les auteurs de ce site, je pense que la puissance du système est dotée d’une fragilité à la mesure de cette puissance (et si l’on fait un peu de rhéologie, les choses fragiles ne montrent aucun signe de déformation sous les contraintes qui vont augmentant au contraire des choses plastiques qui y répondent en se déformant progressivement – mais, arrivé à un certain point, la rupture est brutale et complète).

Pour moi, les super-riches, les élites etc., tout ceux qui sont en mesure aujourd’hui encore de profiter de l’état catastrophique où l’ensemble se trouve, tout ceux-là ne vivent pas dans la stratosphère : ils dépendent totalement du système (l’anthroposystème moderniste), et ce système dépend à son tour de la participation de tous les gens, vous et moi compris (sans aller dans le détail : il dépend au moins de la grande majorité des populations du bloc occidentalo-américaniste plus, au moins, celle des BRIC en sus des élites du monde entier).

Et si ces gens, tous ceux n’appartenant pas à cette élite, le 99% des gens restant, commencent à vaquer à leurs affaires, comme la population de la Gaule Rhodanienne le fit en 451 après JC, se détournant un beau jour de Rome à l’occasion d’une crise quelconque de plus, et regardant ailleurs, s’organisant autrement (en l’occurrence localement, et avec les Burgondes), alors Rome n’est plus rien… et d’ailleurs, moins de vingt après, le dernier président des Etats-Unis, heu, excusez-moi, je veux dire : le dernier empereur romain, fut déposé dans l’indifférence totale… Sic gloria mundi transit.

N’oublions pas que tout le système (je souligne “tout” trois fois), tout le système moderne tel qu’il peut être appréhendé dans sa plus grande globalité, est organisé sur la base du pétrole (ou des hydrocarbures fossiles, 80% de l’énergie), sur la base de la “plus value” (au sens marxiste et capitaliste) gagnée sur la consommation des biens mobiles (et accumulée à la seule extrémité supérieure de la “chaîne de production ”), et sur la base de l’American Dream comme justification de la chose auprès de l’armée des gens nécessaires à faire fonctionner l’ensemble…

Notre système, pour puissant et hautement technologique qu’il soit, avec les moyens qui vont avec, dépend de ces trois toutes petites choses qui peuvent le mettre à terre si elles viennent à défaillir. (En systémique et langage des ingénieurs, c’est ce que l’on appelle des éléments critiques, je crois.)

Sans l’un (le pétrole) ou l’autre (la “plus value” inexorablement extorquée par les tranches supérieures de revenus, et ce de manière quasi exponentielle), dont la disparition entraîne automatiquement celle du troisième (l’American Dream), adieu veaux, vaches, cochons : plus de système moderniste, plus d’anthroposystème moderniste, plus de fortune, plus de dollars, plus de bourse électronique, plus de serveurs électroniques globaux, plus de lignes aériennes “de grande consommation”, plus d’armée d’expatriés ni de cadre administratifs globalisés et globalisant, plus d’armée high tech ou même façon seconde guerre mondiale non plus d’ailleurs, plus de satellite, plus de production de plastique ni de composant électronique, plus d’industrie de surveillance, plus de communication mondialisée ni plus aucune structure de la globalisation ni plus rien de ce qui fait justement la puissance de notre “contre-civilisation”…

Pour partir à un tout petit bout de la chaîne (ou à l’un de ces trois tout petits éléments critiques), comment pensez-vous que l’armée de géologues et consorts, de tous les pays, de toutes les conditions sociales, continuent à faire de la prospection sur le terrain (parce que cela reste en l’occurrence intrinsèquement incontournable), donc en étant en contact avec ce que serait la réalité sociale de ce terrain dans votre hypothèse (Globalia), si leur travail n’avait plus la légitimité de l’American Dream (œuvrer pour le maintien, à défaut de la croissance, de la classe moyenne, dans le cadre d’un système technique mondialisé) ? On se retrouverait, en pire, dans cette situation des ingénieurs et autres cadres scientifique soviétiques qui ne croient plus au système et qui ne travaillent plus, qui perdent toute motivation etc. (voir à ce sujet le film L’affaire Farewell de Christian Carion avec Emir Kusturic)…

J’imagine plutôt un monde où l’immense masse des gens nécessaires à faire tourner le système – paysans, agriculteurs, techniciens, scientifiques, ingénieurs, cadres des pharmacochimiques, banquier, vendeurs, développeurs, enseignants, journalistes, pigistes, traders, électriciens, informaticiens, universitaires, commerciaux, livreurs, chauffeurs, municipaux, et j’en passe et des meilleurs et je m’excuse d’en oublier tant, tant il est impossible de les citer tous vu qu’on s’y retrouve tous – bref, j’imagine cet immense peuple se détourner du centre du système devenu creux pour se recentrer sur leurs nécessités vitales immédiates devenue leur priorité, tout comme les paysans, artisans, préfets des villes, évêques, commerçants, soldats, mercenaires, administrateurs des provinces se sont détournés de Rome, un beau jour de l’an 451, décidant de ne plus envoyer leur impôt à Rome, devenue une structure vide, inutile, inefficace… et se sont concentrés sur les structures locales et régionales encore efficaces, les ont développées etc. C’est ainsi que sont nés, petits à petits et de manière fort agitée certes (le “désordre organisé” du F&C du 3 septembre 2010), de nouvelles entités, organisations, royaumes, principautés, comtés, pays. De nouvelles “relations internationales”. De nouvelles langues aussi, français ici, roumain là, espagnol ailleurs encore. De nouvelles cultures donc, une nouvelle civilisation…

Christian Steiner

Post Scriptum

Je viens à peine de finir ceci qu’un article (Ouverture libre du 2 septembre 2010) fait part de ce sentiment croissant de la population américaine (occidentale ?) vis-à-vis des dirigeants : "The Elites Have Lost Their Right to Rule”».

Et que la dernière vidéo de Paul Jorion (http://www.pauljorion.com/blog/?p=15540) dit en substance : le système financier, grâce aux “régulations” mises en place aux Etats-Unis et en cours d’adoption par l’U.E – sous l’influence soigneuse de ce même système financier, est juste en train de racler les fonds de tiroir avant fermeture définitive de la boutique (ce sont les paris sur les fluctuations de prix, mais aussi les boni de 50%, les bénéfices non réinvestis etc.).

Et que le F&C du 3 septembre 2010 fournit une analyse et des exemples précis de ces réorganisations régionales et eschatologiques (au jour le jour, inédites), passant outres les anciennes contraintes du système en place qui ont perdu toute pertinence, toute importance , pour mieux répondre aux contraintes plus immédiates de leur environnement proche…

Addendum après la lecture de l’article “Le déclin de l'Amérique: réalité ou illusion?” (2 septembre 2010):

L’argument nouveau amené par cet article et qui pourrait invalider mon propos est que le système est en train de muer (M. Baquiast parle de “nouveau système anthropotechnique”, basé notamment sur la SAIC etc.), et que par conséquent il pourrait se défaire de sa dépendance aux trois “éléments critiques” que j’ai cités (pétrole, élite financière tirant sa richesse de l’extorsion pécuniaire grâce à la notion de “plus-value” autour duquel tout notre système économique est organisé, du producteur de lait au super-riche, et American Dream).

Mais cette mue ou tentative de réforme, que le système tente manifestement de mener à bien principalement au niveau le plus sophistiqué et élevé du système (SAIC, contrôle de l’élite technique), en est-elle vraiment une, ou n’est-ce que la poursuite des tendance naturelles du système (technologisation croissante et contrôle “communicationnel” ou armé le cas échéant comme en Irak, ou “sécuritaire” comme ici en Europe, du monde entier etc.) ?

Si ce n’est que la poursuite de ses tendances “naturelles” vers la sophistication, alors elle reste intrinsèquement dépendant des éléments critiques situé à sa base, et donc excessivement fragile, d’autant plus fragile…