Union européenne : déceptions à tous les étages

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Union européenne : déceptions à tous les étages

Nous étions de ceux qui, il y a encore deux ou trois ans, militions, notamment sur ce site, pour le renforcement de l'Union européenne. Peut-être pas son extension géographique, mais l'extension de ses compétences. Ceci au point de recommander le passage à une structure fédérale démocratique, sur le modèle constitutionnel des Etats-Unis d'Amérique.

Cependant, nous avions suffisamment étudié la façon dont dans les années soixante, ces mêmes Etats-Unis avaient impulsé la construction d'une Union européenne conçue pour servir leurs intérêts géopolitiques et économiques. Nous n'avions donc pas d'illusion sur ce point. L'instrumentalisation de l'Europe par l'Amérique allait se poursuivre. Mais nous pensions, étant de ceux qui avaient professionnellement participé à la mise en place de l'euro, que celui-ci serait un outil très important permettant à l'Europe de commencer à s'affranchir de la domination du dollar, et par conséquent de Washington.

L'histoire allait en décider autrement

D'une part en effet les gouvernements européens, soutenus en cela par leurs opinions publiques, ne firent aucun effort pour construire ce qui aurait du être une Europe puissante, souveraine et indépendante, selon le mot de l'un d'entre nous. Ceci aurait exigé beaucoup de sacrifices de la part d'un continent qui, bien qu'encore la 3e puissance économique du monde, se refusait à investir dans les industries nouvelles et dans les sciences, au contraire de ce qu'avait toujours fait l'Amérique. Un continent qui par ailleurs refusait l'idée même de se doter d'une défense militaire en propre, face à une Amérique devenue une hyper-puissance militaire. Sous la pression des importateurs et de la grande distribution, l'objectif était devenu en Europe de consommer toujours davantage de biens et services produits ailleurs. Les services publics, encore forts dans l'Europe des années 1980, étaient désormais considérés comme des centres de coût dont il fallait se débarrasser au profit du secteur libéral, secteur lui-même profondément pénétré par son homologue américain,

Les yeux en Europe ne s'ouvraient pas encore, dans la fausse quiétude d'un continent resté, sous le parapluie américain, à l'écart des conflits. Les élites dominantes européennes, qui construisaient les opinions publiques par l'intermédiaire de médias asservis à leurs intérêts, trouvaient suffisamment de profits dans le jeu de la spéculation financière internationale, pour se donner le mal d'investir dans des secteurs à risques, en visant objectifs à long terme. Le centre de ce jeu de la spéculation financière, qui fut nommé le néo-libéralisme, se trouvant à Wall Street, à Londres, accessoirement au Luxembourg et en Suisse, les élites dominantes européennes se refusaient en pratique à tout effort de construction d'une Europe indépendante dont chaque citoyen européen aurait pu bénéficier, notamment en termes d'emploi et de formation. Ceci aurait exigé, selon le mot de Churchill, du sang de la sueur et des larmes qui les aurait éloigné de facilité des jouissances à court terme.

Un rapprochement avec la Russie

Ceci étant, ces mêmes élites européennes n'étaient pas très incitées à servir de fer de lance dans la guerre que les Etats-Unis, via notamment l'Otan, avait continué à mener sans interruption contre la Russie, la seule puissance capable de leur faire de l'ombre, même compte tenu de l'émergence de la Chine et des autres Etats du Brics. Les Européens s'accommodaient très bien au contraire d'une ouverture économique et politique vers l'Eurasie. Celle-ci permettait d'échanger dans un intérêt réciproque des potentialités différentes. Une sorte d'axe de fait euroBRics commençait à s'esquisser. Mais ceci n'était pas acceptable pour Washington. L'Amérique aurait vu ainsi lui échapper progressivement son contrôle sur les pays européens, au profit d'une Russie qu'elle avait toujours décidé, et plus que jamais, afin d'assurer sa propre cohésion, de traiter en ennemi héréditaire.

Un scénario tragique

Avec la crise financière de 2008, principalement née à Wall Street, voire provoquée par certains de ses représentants, un scénario tragique s'est ouvert pour l'Europe. Celle-ci, affaiblie, dont les élites dirigeantes se refusaient à utiliser la souveraineté monétaire que lui donnait l'euro afin d'échapper au dollar, se trouvait plus que jamais contrainte d'accepter la tutelle politique, économique et technologique (via Internet) que lui imposait l'Amérique. Le moment était donc venu pour cette dernière d'obliger les Européens à rompre tous les liens qu'ils commençaient à esquisser avec l'Eurasie, et rentrer frileusement dans le bercail américain. Mais il fallait pour cela un prétexte. Il fallait pouvoir relancer une nouvelle guerre froide, faisant de l' « ogre russe » l'ennemi à combattre, quels qu'en soient les coûts pour l'Europe.

L'affaire de l'Ukraine, provoquée quasi exclusivement par le diplomatie américaine du dollar et des forces spéciales, a fourni l'occasion que l'on connait. Inutile d'y revenir. Mais il s'agit bien en effet d'un scénario tragique pour l'Europe. Elle s'est trouvée engagée dans une guerre-éclair contre la Russie, poursuivie par une guerre des sanctions dont elle est seule à supporter les conséquences. Les rêves d'euroBrics s'évanouissent, avec les perspectives de développement qui en découlaient. En effet, la Russie se trouve rejetée, pas toujours de bon gré d'ailleurs, vers l'Asie au détriment de ses affinités européennes. Mais une fois reconvertie dans le cadre d'un Brics musclé et dédollarisée, elle n'aura aucune incitation à retrouver ses liens naturels avec l'Europe. Ce qui est perdu restera perdu.

L'Europe réagira-t-elle?

Les dirigeants européens ne semblent pas se préoccuper des suites d'une dépendance à l'Amérique qu'ils ont toujours revendiquée, François Hollande se montrant le plus extrémiste de tous à cet égard. Mais comme Washington, empêtré dans ses propres problèmes, ne fera rien pour aider les Européens, ceux-ci s'enfonceront de plus en plus dans le sous-développement. Certains optimistes pensent que les opinions européennes n'accepteront pas cela indéfiniment, que de nouveaux gouvernements seront mis en place pour sonner le réveil, sortir de l'Otan, se dédollariser en utilisant judicieusement l'Euro, renouer des contacts avec la Russie et le Brics.

Est-ce qu'une reconfiguration géopolitique majeure pourrait en résulter, comme le pensent les experts de GEAB? L'avenir le dira. Rien n'empêche en attendant ceux qui continuent, en dépit du bon sens à « croire en l'Europe », de poursuivre le combat.

Jean-Paul Baquiast