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Le sommet de Tianjin de l’OCS : une étape décisive vers la multipolarité et ses implications pour le Sud global
Le sommet tenu à Tianjin les 31 août et 1er septembre 2025 par l’Organisation de coopération de Shanghai a marqué une étape décisive dans la trajectoire de cette structure vers un rôle central dans la gouvernance mondiale et dans la réaffirmation d’un ordre multipolaire en gestation. L’OCS, née au tournant du millénaire d’un noyau de coopération régionale centré sur la sécurité et la stabilisation des frontières, s’est progressivement transformée en un forum stratégique qui rassemble aujourd’hui la Chine, la Russie, l’Inde, le Pakistan, plusieurs pays d’Asie centrale et, plus récemment, des partenaires observateurs et associés issus du Moyen-Orient et de l’Afrique. Cette extension reflète une dynamique qui dépasse largement le cadre asiatique et qui intéresse de plus en plus le Sud global, en quête d’alternatives au système international dominé par l’Occident depuis la fin de la guerre froide. À Tianjin, les déclarations officielles et les accords signés ont confirmé l’ambition des participants de consolider une vision du monde fondée sur le respect de la souveraineté, le rejet de l’unilatéralisme et la recherche d’une intégration économique fondée sur la complémentarité plutôt que sur l’imposition de règles extérieures.
L’un des éléments les plus commentés du sommet fut le discours du président chinois, qui a présenté l’OCS comme un pilier d’une «communauté d’avenir partagé», insistant sur l’importance de bâtir des liens durables entre États et peuples dans un cadre de coopération égalitaire. Cette rhétorique, qui vise à contraster avec le langage de conditionnalité utilisé par les institutions occidentales, a trouvé un écho favorable auprès des représentants de nombreux pays du Sud invités en qualité d’observateurs. Les promesses de renforcer les infrastructures de transport, de développer des corridors énergétiques transcontinentaux et de multiplier les initiatives dans le domaine des nouvelles technologies se sont accompagnées d’une série d’annonces sur le financement de projets de développement. Ces engagements traduisent la volonté de la Chine, mais aussi de la Russie et d’autres membres, de présenter l’OCS comme un cadre crédible capable d’offrir des bénéfices concrets et immédiats aux partenaires qui choisissent d’y adhérer ou d’y collaborer.
Du point de vue sécuritaire, le sommet a réitéré la détermination des États membres à combattre les menaces transnationales telles que le terrorisme, l’extrémisme et le trafic de drogues, mais il a également élargi le spectre en incluant les «menaces hybrides», catégorie dans laquelle entrent la cybersécurité, les campagnes de désinformation et les risques liés aux chaînes d’approvisionnement stratégiques. Cette approche élargie illustre la volonté de l’OCS d’adapter son agenda aux réalités du XXIe siècle et de proposer une vision alternative à celle de l’OTAN ou des alliances régionales occidentales. Le message implicite adressé au Sud global est clair : il existe un espace de coopération sécuritaire qui ne dépend pas des logiques de domination militaire de l’Occident, mais qui repose sur la protection mutuelle et l’équilibre entre partenaires.
Pour les pays du Sud, les retombées de ce sommet sont multiples. Sur le plan économique, la perspective de participer à des projets financés par la Chine ou par des banques multilatérales émergentes liées à l’OCS ouvre la possibilité de diversifier les partenariats et de réduire la dépendance aux bailleurs de fonds occidentaux. Plusieurs pays africains ont manifesté leur intérêt à s’insérer dans les corridors logistiques et énergétiques reliant l’Asie centrale, le Moyen-Orient et l’océan Indien. De telles connexions pourraient abaisser les coûts du commerce, améliorer l’accès aux marchés et accélérer le processus d’industrialisation. Au-delà des chiffres et des projets, c’est l’idée même d’une marge de manœuvre retrouvée qui séduit : en multipliant les alliances et en diversifiant les sources d’investissement, les États du Sud peuvent mieux défendre leurs intérêts et éviter de se retrouver piégés dans une relation de dépendance unique.
Toutefois, les opportunités offertes ne doivent pas masquer les défis. L’OCS est dominée par des puissances majeures, au premier rang desquelles la Chine et la Russie, dont les intérêts stratégiques ne coïncident pas toujours avec ceux des petits pays. Le risque existe que l’organisation serve principalement les ambitions de ses membres les plus puissants et laisse en arrière-plan les besoins des partenaires plus modestes. De plus, les divergences internes sont réelles : les tensions sino-indiennes, les incertitudes liées à la stabilité de certains États d’Asie centrale ou encore les rivalités régionales au Moyen-Orient compliquent la construction d’une ligne unifiée. Les observateurs critiques soulignent que sans institutions fortes et mécanismes contraignants, les décisions du sommet risquent de rester au niveau des déclarations symboliques. Le Sud global doit donc évaluer avec prudence les avantages et les limites de son rapprochement avec l’OCS, en gardant à l’esprit que l’équilibre des rapports de force pourrait parfois reproduire des logiques de dépendance, simplement déplacées d’un centre de pouvoir à un autre.
Malgré ces réserves, l’importance symbolique du sommet de Tianjin ne saurait être sous-estimée. Dans un contexte de contestation croissante de l’ordre libéral international, marqué par la multiplication des sanctions économiques, par les guerres commerciales et par la politisation des normes, l’OCS incarne une volonté collective de bâtir une alternative crédible. Pour de nombreux pays du Sud, souvent soumis à la pression des institutions financières dominées par l’Occident ou marginalisés dans les enceintes multilatérales traditionnelles, l’existence d’un forum comme l’OCS représente une opportunité de faire entendre leur voix et de participer à la redéfinition des règles du jeu. La multipolarité n’est pas seulement une question de rééquilibrage des rapports de force entre grandes puissances ; elle concerne aussi la capacité des nations en développement à défendre leur autonomie, à promouvoir des modèles de développement endogènes et à résister aux conditionnalités imposées de l’extérieur.
En conclusion, le sommet de Tianjin confirme que l’Organisation de coopération de Shanghai aspire à devenir un acteur incontournable de la scène internationale, en offrant au Sud global un espace où s’articulent coopération économique, dialogue sécuritaire et horizon multipolaire. Si les promesses se concrétisent, les pays du Sud disposeront d’un levier supplémentaire pour diversifier leurs partenariats et renforcer leur souveraineté. Mais l’efficacité réelle dépendra de leur aptitude à négocier activement, à éviter une nouvelle forme de dépendance et à s’assurer que les projets engagés servent véritablement leurs sociétés et leurs économies. La marche vers un monde multipolaire est donc ouverte, mais son aboutissement dépendra moins des discours solennels des grandes puissances que de la capacité des nations du Sud à s’unir, à défendre leurs propres priorités et à transformer en réalité les potentialités offertes par ce nouvel équilibre international.