Une croisée des incertitudes géopolitiques

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Une croisée des incertitudes géopolitiques

• Cette croisée concerne trois pays, L'Iran, la Chine et la Russie. • L’Iran s’interroge  sur la position et l’action des deux autres. • Par Peiman Salehi, analyste et théoricien iranien de la philosophie politique.

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Depuis plus de quatre décennies, l’Iran tient tête à l’ordre mondial dominé par l’Occident. Malgré les sanctions économiques, l’isolement diplomatique et les campagnes médiatiques, le pays a non seulement survécu, mais est parvenu à projeter une influence militaire, idéologique et géopolitique significative dans la région. Cette trajectoire de résistance fait de l’Iran un acteur central dans la recomposition actuelle du système international – une recomposition dans laquelle la Chine et la Russie jouent également un rôle majeur.

Cependant, ces deux puissances – bien qu’elles se positionnent comme les piliers d’un monde multipolaire – n’ont pas encore clarifié leur position stratégique vis-à-vis de l’Iran. Sont-elles prêtes à assumer un partenariat profond et assumé, ou se contentent-elles d’une coopération pragmatique et circonstancielle ? Cette ambiguïté stratégique soulève de nombreuses questions.

Le cas de l'attaque israélienne contre les infrastructures iraniennes au printemps 2025 est révélateur. En réponse à l'assassinat de hauts responsables iraniens, Téhéran a lancé une attaque directe contre Israël – une première historique. Or, ni la Russie ni la Chine n'ont manifesté un soutien clair ou opérationnel. Ce silence a été interprété par certains analystes à Téhéran comme une prise de distance calculée.

Il est vrai que ni Moscou ni Pékin ne souhaitent un affrontement frontal avec Washington ou Tel-Aviv. Mais cette posture prudente limite considérablement la possibilité de construire une alliance solide face à l’unilatéralisme occidental. Contrairement à l'OTAN, où une attaque contre un membre équivaut à une attaque contre tous, le BRICS n'offre aucun mécanisme de sécurité ou de solidarité de ce type.

La Russie et la Chine continuent également d'entretenir des relations économiques et diplomatiques avec Israël, ce qui limite leur marge de manœuvre. Dans le cas de la guerre d’Ukraine, Téhéran a fourni à Moscou un soutien militaire discret – notamment des drones – mais Moscou n’a jamais officialisé cette coopération ni manifesté un appui équivalent lors des tensions entre l’Iran et Israël.

Quant à la Chine, elle mise surtout sur sa diplomatie économique pour étendre son influence. Le fameux accord stratégique sino-iranien de 25 ans, bien qu’ambitieux sur le papier, tarde à se traduire par des projets concrets. Pékin semble éviter toute confrontation directe avec l’Occident sur le dossier iranien, préférant jouer un rôle de médiateur silencieux, comme cela a été le cas dans la reprise des relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite.

Face à cette prudence, certains à Téhéran s’interrogent : la Chine et la Russie sont-elles vraiment engagées dans une logique de rupture avec l’ordre occidental, ou cherchent-elles simplement à négocier une meilleure place dans le système existant ? Si leur engagement envers un monde multipolaire est sincère, l’Iran représente alors un test décisif.

L’axe Iran-Chine-Russie pourrait devenir le noyau dur d’une alternative géopolitique si – et seulement si – une véritable stratégie commune est mise en œuvre. Cela impliquerait de dépasser les coopérations sectorielles pour instaurer une architecture de sécurité collective, de coordination diplomatique et de solidarité économique. À défaut, le BRICS risque de ressembler davantage à une réunion de gestionnaires qu’à une force politique transformatrice.