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1377A Venise se tient le Festival du film annuel, et nous nous intéressons à une déclaration du metteur en scène US Brian De Palma qui présente son film Redacted, — le récit d’une atrocité, d’un crime de guerre (viol d’une jeune fille, assassinat de membres de sa famille) par un soldat US en Irak. Ce film fait partie de l’offensive anti-guerre massive de Hollywood que nous avons déjà signalée.
Les déclarations de De Palma sont intéressantes du point de vue de l’actualité, mais aussi du point de vue de la situation du système de l’américanisme, de la situation de l’“information” telle que nous la communiquent les structures dont c’est la fonction, de la situation de la “réalité” en général. Une dépêche AFP du 31 août nous donne ces indications :
«A US film laying bare the ugly reality of the Iraq war seared the big screen at the Venice film festival on Friday, with director Brian De Palma saying he hoped it would help end America's military occupation.
»“The pictures are what will stop the war,” De Palma told a news conference after the press screening of the movie, “Redacted”.
»Centering on the actual March 2006 rape and murder of a 14-year-old Iraqi schoolgirl by US soldiers who also slaughtered three family members, the film is a response to what De Palma sees as sanitised media accounts of the war seen in the United States.
»“All the images we have of our war are completely constructed — whitewashed, redacted,” said De Palma, who is best known for such violent fictions as “Carrie” and “Scarface”.
»“One only hopes that these images will get the public incensed enough to get their congressmen to vote against the war,” he added.
»“Redacted” hits hard with its dramatic reenactment of the conditions, attitudes and stresses that led up to the real-life crime.»
Ces déclarations de De Palma sont non seulement “intéressantes”, elles sont extraordinaires. Plusieurs remarques peuvent être faites.
• La tradition veut que Hollywood soit la première machine de communication de masse à avoir suivi une politique de transformation systématique de la réalité américaniste,— sorte de virtualisme avant la lettre. L’esprit assez particulier du public US permettait cela, ce public prenant souvent les films comme représentatifs de la réalité. Toute la période de “l’âge d’or des studios” fut une entreprise systématique de représentation optimiste de la réalité américaniste. Même des films dits “avancés” (Les raisins de la colère, de Ford), même s’ils décrivaient une situation de misère, attribuaient cette misère à des groupes d’intérêts et ne mettaient pas en cause le système ni les autorités le représentant. Ce fut sensible notamment pendant la Grande Dépression. La “chasse aux sorcières” de l’immédiat après-guerre, qui vit la collaboration zélée des patrons des studios, confirma qu’il y avait des consignes américanistes pour le cinéma.
• Hollywood changea à partir des années 1960, avec l’apparition de producteurs indépendants. Les réactions de contestation des années 1960 furent transcrites au cinéma souvent dans un esprit plutôt apolitique (vaguement idéologique et surtout anarchiste et contre-culturel), dans tous les cas n’interférant pas dans la politique directe. Les films sur le Vietnam, contestant et condamnant cette guerre (Coppola, Kubrik, Stone, etc.), furent réalisés après la guerre, quand la condamnation du conflit était devenue générale. Même le film fameux sur le Watergate (Les hommes du président, de Redford) attaque un homme et ses pratiques (Nixon) et fait, au contraire, indirectement l’apologie du système (la presse, surtout) en décrivant sa capacité à abattre l’imposteur.
• Le cas actuel est complètement différent. Hollywood attaque une guerre en cours, qui n’a jusqu’ici pas été mise en cause officiellement par le système. Son attaque est beaucoup plus fondamentale parce qu’elle intervient comme un facteur politique dans une polémique politique gravissime en cours. De Palma l’indique nettement, — quel contraste avec Les hommes du président! «…the film is a response to what De Palma sees as sanitised media accounts of the war seen in the United States. “All the images we have of our war are completely constructed — whitewashed, redacted”.»
• C’est ici qu’on peut relever l’élément le plus extraordinaire de cette intervention de De Palma. Hollywood, “l’usine à rêves”, le virtualisme américaniste avant la lettre, s’affirme comme la force qui va imposer la réalité contre toutes les autres forces, la presse notamment, qui en sont normalement les comptables les plus précis, — dans tous les cas, selon la “narrative” classique. Pour synthétiser le propos, De Palma affirme qu’il va rétablir la “réalité” à l’aide de ses propres moyens subjectifs de virtualisation (le cinéma), à partir d’une critique entièrement justifiée de nos moyens traditionnels d’information; il “reconstruit” la réalité à l'aide de ses moyens de virtualisation, contre la deconstruction de la réalité par les moyens d'information. C’est tout le système politique, de la communication et de l’information qui est accusé paradoxalement de la tare de “virtualisme américaniste” par la force qui en fut la représentante originelle.
• Une telle intervention doit nous conforter dans la conviction que l’information, et donc la description de la réalité, est aujourd’hui un domaine où n’existe plus aucune objectivité instituée, un domaine qui est l’enjeu d’une bataille féroce. Tout cela justifie nos conceptions de “subjectivité objective” et l’affirmation que la qualité des sources et des commentaires ne peut plus dépendre d’une réputation et d’un statut désormais complètement usurpés, qu’au contraire réputation et statut (la presse, les pouvoirs officiels) sont désormais la référence fondamentale de l’imposture.
Mis en ligne le 1er septembre 2007 à 10H46
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