Un exercice interne à la Commission européenne, — “La Commission et le chat”, conte-Breydel de Noël

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Un exercice interne à la Commission européenne, — “La Commission et le chat”, conte-Breydel de Noël


Comme on dit dans les feuilles belges, un “vent favorable” nous a gratifiés d’un texte de type européen, certainement inédit quant à sa diffusion publique. Il s’agit d’un “conte de Noël” qui a eu l’honneur d’une diffusion interne à la Commission, sorte de cadeau de Noël si l’on veut.

Nous ne savons rien, — promis, juré, — de l’identité de l’auteur ; dans tous les cas, c’est là notre position officielle. Tout juste le vent favorable nous a-t-il autorisés à dire qu’il s’agit d’un fonctionnaire européen d’un très haut niveau, du plus haut niveau possible, même.

Bonne lecture.


La Commission et le chat


Un conte de Noël, décembre 2003...

Le Secrétaire général manqua s'étouffer ce matin-là lorsque son directeur ''Ressources'', escorté de deux chefs d'unités inquiets, lui tendit la facture de l'entreprise chargée du nettoyage : le montant affichait une hausse de 10%. Une heure quotidienne devait en effet être consacrée à la chasse aux déchets alimentaires éparpillés dans le Breydel par des fonctionnaires discrètement solidaires d'Olive.

Olive est un jeune chat, noir et blanc sale, qui a spontanément adopté pour foyer l'immeuble aux drapeaux qui abrite la Présidence de la Commission. Hiératique et attendrissant, il veille avec les agents de Securis, la société de sécurité, sur les allées et venues des personnels. Olive, bien qu'élevé par lui-même, se comportait en chat sociable et délivrait des ronrons affectueux aux fonctionnaires et visiteurs s'attardant à le câliner.

Le Secrétaire général ordonna immédiatement la rédaction d'une circulaire interne visant à interdire de nourrir le chat et organisa une réunion inter-services : humanité et efficacité administrative devaient se conjuguer pour trouver une solution à la pagaille actuelle.

Il proposa d'affecter la mission de nourrir l'animal au poste de sécurité qui présentait l'avantage d'une présence permanente et qui se verrait remettre à cet effet une portion quotidienne en provenance des cuisines de Sodexo.

Securis objecta que l'entretien d'un chat n'entrait pas dans les 179 missions répertoriées dans son cahier des charges et que ceci serait contraire à la nouvelle norme de productivité que venait de lui fixer la Commission au terme d'une étude d'impact approfondie. On ne pouvait lui demander tout et son contraire.

Le service des pompiers, sollicité, évoqua un sous-effectif chronique : il avait assez à faire, côté animalier, avec les pigeons qui s'écrasaient chaque été, en apprentissage de vol depuis les sommets du Breydel. D'ailleurs, la sécurité exigeait de tendre un filet sur la chaussée d'Auderghem, au pied du Breydel. Le Secrétaire général serait responsable si un pigeon fracassait le crâne du Président. Sauf, bien entendu, si ceci était convenablement signalé dans sa déclaration d'assurance annuelle.

La DG Budg s'insurgea devant l'ampleur du coût potentiel et demanda aux DG Ecfin et Eurostat une étude sur le risque statistique de voir un pigeon assommer a) le Président, b) un fonctionnaire, c) un visiteur. Les pompiers répondirent que la sécurité n'avait rien à faire du coût ni des statistiques : un lieu était sécurisé ou ne l'était pas. Le service juridique approuva.

Le Secrétaire général bougonna. L'affaire se présentait mal et le mutisme des directions générales témoignait de leur mauvaise volonté à collaborer. La porte s'entrouvrit à cet instant sur l'adjoint du chef d'unité (toujours inquiet) pour lui passer un message. Le chef d'unité s'illumina et le Secrétaire général vit le papier voleter (comme les pigeons du Breydel, pensa-t-il, vaguement inquiet) de main en main jusqu'à lui. A la lecture du message, il poussa un soupir victorieux : les hôtesses d'accueil se portaient volontaires pour nourrir le chat.

C'est alors que le service juridique demanda la parole et le Secrétaire général eut un mauvais pressentiment.

Le service juridique exposa que Sodexo avait une mission, pour laquelle l'entreprise recevait des subventions publiques, qui consistait à nourrir les personnels de la Commission et non des chats : fournir de la nourriture à cet effet était donc illégal. Dire le contraire nous exposerait à un grave risque contentieux devant la Cour et nous ferait perdre beaucoup de notre crédibilité. La DG Budg renchérit et évoqua le spectre de la Cour des comptes et de la Cocobu qui ne manqueraient pas de relever le fait, de le transformer en attaque contre la Commission, voire en crise politique.

La DG Sanco releva qu'Olive devait de toutes façons être titulaire du nouveau passeport européen pour les animaux domestiques. Elle souligna que, pour d'évidentes raisons d'hygiène, la nourriture réservée au chat devrait être stockée dans un réfrigérateur à part. Il faudrait prévoir une subvention d'équipement spécifique pour Sodexo et une modification de son cahier des charges. La DG Budg, d'une voix lasse, exigea un redéploiement au sein de la subvention globale de Sodexo.

La DG Admin signala qu'il faudrait prévoir de toute manière une dotation de fonctionnement permanente pour frais divers d'entretien (litière, shampoing sec, vermifuge...) pour le chat, plus les frais vétérinaires.

La DG Budg, exaspérée, critiqua les gestionnaires qui ne résolvaient les problèmes que par des hausses de crédits. Vu la gravité des finances communautaires, compte tenu de la réduction de la ressource PIB à l'horizon 2005, et la nécessaire exemplarité du Secrétariat général, il fallait au contraire afficher des économies sur les frais administratifs. En l'espèce, deux solutions immédiates au moins étaient à porter de main : abandonner le chat dans le parc du cinquantenaire ou l'offrir en cadeau au secrétaire général adjoint du Conseil.

Cette suggestion sema trouble et confusion, une partie des gestionnaires étant également amis des félins. La DG Press ajouta que la Commission se privait d'une valorisation sympathique de son image de marque à peu de frais. La dernière enquête Eurobaromètre montrait un effritement inquiétant : l'indice de popularité de la Commission, qui gravitait d'habitude autour de 10% venait de tomber à 8%. Olive pouvait devenir une mascotte porteuse de sens dotée d'une forte dimension affective.

La DG Budg ricana : elle voulait bien garder le chat en échange de campagnes de promotion inutiles à 10 Ms mais pariait qu'on se retrouverait in fine avec les deux.

Le Secrétaire général se tourna alors vers la DG Admin et l'office de gestion des infrastructures en proposant de délocaliser le chat à Luxembourg. Il y avait sûrement une possibilité d'hébergement quelque part sur le Kirchberg.

Les frères siamois de l'Admin et de l'Office, soudés dans le même rejet, s'exclamèrent que les services luxembourgeois ne joueraient pas les variables d'ajustement du site bruxellois. On ne pouvait d'un côté créer une taxe sur les effectifs des DGs et de l'autre les augmenter avec des chats! En outre, les syndicats ne manqueraient pas de demander la création de 5 emplois pour prendre soin de l'animal en permanence, compte tenu de l'accumulation des jours de congés à apurer.

Le Secrétaire général, excédé, mit fin à la séance en déclarant que le problème du chat devait trouver une solution dans les meilleurs délais.

48 heures plus tard, sa secrétaire lui tendit une poignée de tracts de l'intersyndicale qui manifestait son soutien à Olive : ''Solidarité avec Olive'', ''non à l'article 50 pour Olive'', ''aujourd'hui le chat, demain nos emplois'', ''la réformé broie Olive sans pitié''.

Le Président convoqua le Secrétaire général pour des explications impossibles à fournir l'affaire du chat commençait à courir tel un incendie de pampa dans l'appareil communautaire. European Voice appelait le porte-parole du Président pour le menacer d'un entrefilet si le nombre d'abonnements de la Commission n'était pas doublé dans la semaine , les ONGs du bien-être animal se mobilisaient ; le président d'un groupe parlementaire l'avait appelé. Bref, le Secrétaire général disposait de 24 heures pour résoudre la question du chat.

Le Secrétaire général organisa illico une deuxième réunion inter-services.

Le service juridique, soucieux de réparer le trouble qu'il avait initialement semé, arriva avec une solution. Il suffisait de transformer les apports en nature en flux financiers et de régulariser ceux-ci par un acte de base spécifique, approuvé par l'autorité budgétaire. Une dotation ''chat'' serait ainsi identifiée dans le budget communautaire. Olive pourrait porter un badge réglementaire. Les hôtesses assureraient son ''career development review''. Et la Sodexo pourrait créer un tarif ''petit animal''.

La DG Budg bondit: on confondait le Breydel avec un zoo ; le contribuable européen ne paierait pas pour financer les chats.

Le Secrétaire général s'imagina un bref instant en directeur de zoo et pensa, au vu de la faune qui s'agitait dans la salle, qu'il avait toutes les compétences requises pour en devenir un.

Le service juridique rétorqua que le chat ne serait pas subventionné mais rémunéré comme prestataire de services. Tout le monde savait qu'il attrapait des souris et des rats. Il était ainsi le premier et sans doute le seul à répondre aux conditions du service économique d'intérêt général telles que fixées par l'arrêt Altmark.

La DG Comp s'inquiéta: la mise en concurrence avait-elle eu lieu ? Que se passerait-il si d'autres chats bruxellois étaient évincés ?

La DG Env demanda une étude : le chat présentait-il le meilleur rapport qualité-prix du point de vue du développement durable ? Surtout, était-on bien sûr qu'il ne serait jamais transporté plus de neuf heures d'affilée dans un quelconque véhicule : la nouvelle réglementation communautaire devait être respectée sur ce point.

La DG Admin dit qu'en tout état de cause le chat n'aurait pas droit au remboursement de ses frais de mission.

L'IAS proposa de réaliser un benchmarking dans divers pays de l'Union avec rapport d'étape transmis à la Cocobu dans un mois, projet de rapport final remis à l'Olaf dans deux et rapport définitif pour les journalistes dans trois. Le Secrétaire général devrait rapidement proposer une lettre de mission au Président.

Le service juridique émit la possibilité de créer une agence qui hébergerait juridiquement le chat, une solution ''in house'' (''in mouse'' cria un plaisantin). Bien entendu, tous les Etats membres et le Parlement européen devraient être présents au conseil d'administration de l'agence.

Le Secrétaire général trouva finalement la solution : le chat était un expert de haut niveau dans une compétence rare - la chasse aux souris -, et pouvait donc être agent temporaire à long terme.

La DG Budg rejeta cette solution : connaissant les gestionnaires, Olive serait d'ici 2 ans ''santérisé'' et transféré dans le corps des fonctionnaires. Mieux valait un contrat de prestations.

Simultanément un conflit éclata au sein du secrétariat général : aucune direction ne voulait avoir le chat dans son organigramme.

Finalement, il fut proposé à la Commission une décision ''ad hoc'' pour 2004. Le Commissaire chargé des relations extérieures s'écria : ''mettez des eurocrates autour d'un chat et ils le transforment en fonctionnaire !''. On lui répondit qu'Olive était trilingue. Et le vote fut acquis à l'unanimité.

C'est un Secrétaire général heureux qui, ce jour-là, la veille des vacances de Noël, quitta la salle de la Commission, rejoignant son bureau où Olive était confortablement installé dans une corbeille.

Olive ne leva pas la tête pour regarder la décision de la Commission : elle était trop occupée à lécher les 5 chatons noir et blanc qui sommeillaient dans la corbeille...

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