Ukrisis-10 : Du plaisir de se rouler dans la haine

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Ukrisis-10 : Du plaisir de se rouler dans la haine

• En apport à un commentaire destiné à évaluer et à saluer les performances du journalisme français, démocratique et occidental concernant Poutine et la Russie. • La haine nous va bien au teint. • Contribution : dde.org et François Bousquet.

L’auteur que nous citons ici est plutôt un polémiste qui s’intéresse aux aventures idéologiques françaises. On ne peut le qualifier de pro-russe ni d’antirusse, dans le courant de la bataille de communication en cours, – quoi qu’il doive certainement apprécier le goût de la tradition dont font montre les Russes. Il n’empêche qu’étant de la “droite nationale”, ou d’extrême-droite pour les sentinelles vigilantes, à son origine et du temps de la Guerre Froide, François Bousquet dut être également anticommuniste ; et si c’est le cas, il le fut à la façon de Vladimir Dimitrijevic, fondateur des fameuses éditions ‘L’Âge d’homme’ où il travailla comme coéditeur de 1995 à 2002.

Mais là n’est pas notre propos central, qui est au contraire de montrer que l’actuelle Ukrisis est quelque chose qui doit d’abord se traiter du point de vue de la culture, du comportement intellectuel, de l’amour de la littérature (cas de Bousquet) comme apprentissage de la liberté, du caractère, voire de la référence métahistorique bien plus que du point de vue très-vite cochonné en idéologie, et dépendant entièrement des émotions sans contrôle ni crainte de la vulgarité qu’exprime l’affectivisme. C’est pourquoi Bousquet choisit de s’en prendre à cette corporation de journalistes qui choisit, elle et d’un seul mouvement, de se rallier aux tendresses du pouvoir en place et aux consignes de la bienpensance ; cela en fait des antirusses, mais plutôt par la lunette des chiottes que dans les bois chenus de la résistance ukrainiennes tant vantée.

Car c’est une guerre, comme le dit PhG, –

« C’est une guerre où “l’on est contre“ bien plus qu’une guerre où “l’on est pour”. Bien plus qu’une cause à défendre, on y trouve de si nombreuses immondices de la soumission au Système à dénoncer et auxquelles s’opposer ! »  

Bousquet, ami de Bernard Lugan et de ses ‘bastons’ mémorables au Quartier Latin, ami d’Alain de Benoist et de Patrick Buisson, bagarreur d’extrême-droite et habitué des déchirements français internes, homme d’‘Éléments’ et de ‘La Nouvelle Librairie’, juge du comportement du monde français de la presse selon les références de la liberté de l’essayiste pamphlétaire. Le tableau n’est pas triste. Il se colore de toutes les nuances de la haine, celle-ci bien calée dans le fauteuil des privilèges des bons serviteurs du pouvoir. Le spectacle est aujourd’hui un déchirement comme l’on vit rarement, au son des “valeurs“ qu’ils ne cessent de décliner, et dont la maitresse absolue, la primus inter pares transgenre, est bien la haine trônant sur son royaume aux échines courbées.

Écoutez donc la voix furieuse de Bousquet et vous aurez dans l’objet de sa vindicte l’écho d’une France dont certains se demandent sans doute comment elle put jamais être ce « cher pays de mon enfance », sinon par escroquerie, par tromperie et par simulacrerie. Bousquet, donc, le 16 mars 2022, dans son éditorial de Radio-Courtoisie.

dde.org

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Les “2 minutes de haine” contre les Russes

Connaissez-vous Pavlov, le génial Ivan Petrovitch Pavlov (1849-1936) ? Le type même du savant russe : à barbe épaisse pleine de miettes, avec un air de pope à la Dostoïevski et de révolutionnaire endimanché. Très beau, très digne, très 1900. Les Russes qui réussissent dans la vie ont tendance à laisser leur nom associé à l’invention qui les a rendus célèbres : Kalachnikov et son fusil d’assaut, Tupolev qui fait voler les mammouths avec ses gros porteurs, Stakhanov, infatigable marathonien des cadences infernales, Molotov et son cocktail vodka-allumettes-étincelles. Eh bien, c’est le cas d’Ivan Petrovitch Pavlov. De toute évidence, il devait préférer les chiens aux hommes. Ce n’est pas moi qui irait le lui reprocher. Le meilleur dans l’homme, c’est le chien, disait le merveilleux Alexandre Vialatte. Toujours est-il que c’est sur les chiens que Pavlov a exercé ses dons d’observation, qui étaient hors pair et qui lui ont valu le Nobel de physiologie en 1904. C’est lui qui a découvert les réflexes conditionnés chez le chien. Le chien salive d’abord à l’apparition des croquettes, ensuite il salive par anticipation à l’apparition des croquettes, enfin il salive toujours même quand il n’y a plus de croquettes. La russophobie est faite de la même matière. Sa fonction gastrique est similaire à celle du chien. Ses croquettes ? La haine du monde russe, le wokisme anti-slave, la poutinophobie délirante. À la vue d’un Russe, la glande salivaire du russophobe le pousse à aboyer ; et il ne fait plus que cela, aboyer, aboyer, même quand il n’y a plus lieu d’aboyer !

La liste noire de la culture russe

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais c’est fascinant ce qui se passe dans les médias occidentaux depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février dernier. C’est un festival belliqueux antirusse qui tourne en boucle comme un vieux 33-tours rayé. On se croirait plongé dans le 1984 de George Orwell. Dans sa dystopie, Orwell imagine qu’il y a chaque jour les « deux minutes de la haine », rituel quotidien de libération de tout ce qu’il y a de plus cradingue en nous. C’est à la fois un exutoire pour donner libre cours au refoulé, aux frustrations, au ressentiment accumulé, mais plus encore une forme de communion négative, d’orgie fédératrice, de socialisation par la désocialisation, comme dans les rituels avec des poupées vaudous mais qu’on épinglerait cette fois-ci sur des poupées russes.

Eh bien ces « deux minutes de la haine », c’est désormais H24. C’est à qui ira le plus loin dans la russo-satanisation. Tout ce qui est communément interdit est ici encouragé, recommandé, prescrit. Et assurément les Russes n’ont pas droit aux égards que l’on réserve ordinairement aux djihadistes, aux fous d’Allah et aux égorgeurs enturbannés. Vous n’aurez pas ma haine ! Ah, tu parles ! Eh bien, si, vous l’aurez et vous l’aurez avec toutes les options et toutes les variétés. Pas d’amalgames ! Oh que si ! Pas d’essentialisation ! La bonne blague ! Pas d’incitation au racisme ! Que nenni ! Facebook, la plus grosse plateforme de censure mondiale, n’a-t-elle pas décidé de modifier temporairement ses sacro-saintes règles d’utilisation pour autoriser l’appel à la haine des Russes. Tout à l’avenant. Quand ce n’est pas Tolstoï qui est banni, c’est Tchaïkovski qui est déprogrammé, Dostoïevski exclu, Russia Today et Sputnik débranchés, le Bolchoï mis sous embargo, et je ne parle pas de la Fifa et des fédérations d’athlétisme qui appellent au boycott de tout ce qui est russe de près ou de loin, jusqu’aux chats russes qui n’ont rien demandé et que la Fédération internationale féline a banni de ses concours. Et même l’Eurovision, qui a éjecté la Russie. On ne verra donc pas les Pussy Riot gagner le concours ; et ça, c’est plutôt une bonne nouvelle pour l’art lyrique russe.

Tuez tous les Russes, Dieu reconnaîtra les siens !

Quant à Poutine, n’en parlons pas. C’est la synthèse d’Adolf Hitler, de Gengis Kahn, de Dracula et d’Ivan le Terrible. Même Saddam Hussein n’a pas eu droit à un pareil traitement médiatique. Il fait vraiment l’unanimité contre lui. Or, l’unanimité signale toujours un dysfonctionnement majeur dans le régime des libertés. De ce point de vue, la France ne vaut pas mieux que la Russie – et encore en Russie, il s’est trouvé une journaliste pour brandir pendant le JT du TF1 local un panneau anti-guerre. Elle risque gros, j’en conviens. Mais on n’a rien vu de tel en France. Je connais bien les journalistes, j’en suis un. Les journalistes adorent les méchants, ça leur permet de s’habiller en justicier, mais c’est pour sonner l’hallali et achever la bête. Le vocabulaire de la vènerie est riche d’enseignement. La meute, la curée, le chenil. C’est Pavlov qui serait content. Et tout ça aboie en chœur, sans couac. En général, il y a un couac. Cette fois-ci, aucun. Fascinant, je le redis. L’unanimité règne à Paris comme l’ordre régnait hier à Varsovie et aujourd’hui à Kiev.

La cancel culture triomphe même ici, dans un univers qu’elle avait jusque-là relativement épargné, la géopolitique, les relations internationales. La Russie est « cancellisée », effacée, niée, avec une fureur iconoclaste digne des guerres de religion. Et c’est bien une guerre de religion qui est aujourd’hui menée, du moins en présente-t-elle tous les traits, à commencer par le premier et le plus caractéristique d’entre eux : le châtiment collectif, l’éradication définitive de l’ennemi. Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens !

Dans l’ancien ordre du monde, classique, civilisé, qui a prévalu en Europe jusqu’au début du XXe siècle, il n’y avait pas de punition collective. Au Congrès de Vienne, en 1815, c’est Napoléon qui est châtié, pas la France ni les Français. Selon le grand juriste allemand Carl Schmitt, le principal mérite de cette conception du droit international est d’avoir permis d’écarter la doctrine médiévale de « la guerre juste » qui fait de l’ennemi un « criminel » et un « barbare » à éliminer, et non un adversaire avec lequel on pouvait conclure une paix. Alors oui, les Russes auront toute notre haine, mais pas d’amalgame surtout !

François Bousquet