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2416L’intérêt des chroniques de Dimitri Orlov, c’est qu’elles sont en général dominées et conduites par un jugement central qui est celui de l’effondrement du Système (voir son livre sur le sujet, bien entendu). Ainsi en est-il de ce texte-ci, sur Jérusalem (reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par l'abracadabrantesque président Trump).
Pour un très grand nombre d’esprits, surtout à l’intérieur du Système certes mais aussi pas mal parmi les antiSystème, le sujet (Jérusalem dans ce cas) est délimité, marqué, borné, “contrôlé” si l’on veut bien comprendre ce que l’on veut dire, – et “contrôlé” par un raisonnement que le Système nous suggère constamment, un raisonnement par cloisonnement qui empêche d'embrasser l'ensemble du paysage. Par conséquent le sujet ainsi traité pourrait nous entraîner, sous une plume quelconque, vers la nième et ennuyeuse plaidoirie pour l’une ou l’autre des parties en présence, ou pour les deux pour ceux qui se taguent d’“objectivité” ; avec toujours les mêmes arguments vieux d’un demi-siècle, les mêmes vœux pieux, les mêmes dénonciations terribles, les mêmes sollicitations de l’affectivisme, etc.
Avec Orlov, rien de tout cela, parce que chez lui l’occasion fait le larron. L’affaire Trump-Jérusalem est une bonne occasion d’embrasser le comportement et le fonctionnement des dirigeants du système de l’américanisme, et de ce système lui-même, leur mœurs de gangsters et de racketteurs, leur évolution dans un univers qui est un complet simulacre plutôt de type téléréalité avec l’actuel président. De là, on en vient au seul sujet qui importe, dans tous les cas c’est aussi bien notre opinion à toutes les occasions répétées, qui est l’effondrement du Système, et donc celui des États-Unis qui sont aujourd’hui dans une posture avantageuse et selon une dynamique exemplaire pour y parvenir.
Bref, un homme bien de son temps dans le bon sens, Orlov, pour pouvoir observer son temps complètement de l'en-dehors, à distance de sécurité contre l'infection et avec l’ironie qu’il faut, avec l’indépendance qui importe pour nous donner la mesure de l’insanité de la liberté à laquelle les zombies-Système s’affirment attachés avec passion. Disant cela, on semblerait loin de Trump-Jérusalem, alors qu’on y est en plein, comme dans bien d’autres choses, comme dans tout ce qui participe à cette superbe mécanique d’autodestruction. Tout cela fait partie du même programme, et Orlov ne cesse jamais de nous le rappeler.
Le texte d’Orlov, publié originellement sur le site de l’auteur (Club Orlov) le 14 décembre 2017, est traduit et publié en français par Le Sakerfrancophone, ce 19 décembre 2017 (précision : « Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Cat »). En plus de saluer Orlov bien entendu et ô combien, nous remercions chaleureusement Le Sakerfrancophone pour cette traduction.
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En regardant les commentaires de la semaine dernière, depuis que Donald Trump a fait sa déclaration en reconnaissant Jérusalem comme la capitale d’Israël, on a l’impression que tout le monde est désorienté. La plupart des analystes ont essayé de trouver un sens profond à ce geste, mais leurs résultats ont été pauvres, et je suggère qu’ils abandonnent leur lecture dans le marc de café et les entrailles de chèvre et se concentrent plutôt sur ce qui est évident. Et ce qui est évident pour moi, c’est que la décision de Trump est cohérente avec un ensemble de traits qui ne sont pas spécifiquement les siens mais qui sont plus généralement américains et de plus en plus exprimés, alors que les États-Unis entrent dans la phase terminale de leur dégénérescence.
Pour rappel, Jérusalem est un site historique sacré pour trois des religions du monde – le christianisme, l’islam et le judaïsme – et qui doit être administré d’une manière qui les respecte toutes. Ce fait est reconnu en droit international, et de jure, selon le Plan de partage des Nations Unies pour la Palestine de 1947 : Jérusalem reste un corpus separatum, bien que de facto depuis 1967, il ait été illégalement occupé par Israël, qui l’a déclaré unilatéralement comme sa capitale jusqu’à maintenant. Cette décision a été condamnée par la résolution 478 du Conseil de sécurité des Nations Unies en 1980. Plus récemment, des propositions ont été faites pour reconnaître Jérusalem partagée comme la capitale d’Israël et de la Palestine dans le cadre du processus de paix régional.
Étant donné le caractère persistant de Jérusalem en tant que poudrière des tensions religieuses et politiques, prête à exploser à tout moment dans un conflit armé, l’utiliser pour satisfaire les revendications irrédentistes sionistes est avant tout un geste stupide. Mais je crois qu’il y a une cohérence dans cette stupidité si on combine plusieurs traits clés qui se trouvent présents à peu près partout dans les États-Unis contemporains.
Le premier trait clé est que le droit international est ignoré, comme le font généralement les États-Unis. En vertu de quelle autorité juridique les troupes américaines sont-elles déployées sur le territoire syrien, qui est le territoire d’une nation souveraine membre de l’ONU ? Alors ? Aucune. En vertu de quelle autorité légale Trump a-t-il décidé de bombarder de manière inefficace une base aérienne syrienne en réponse à des attaques chimiques présumées, mais non prouvées, par le gouvernement syrien dans la province d’Idlib en avril 2017 ? Encore une fois, c’est le fait du roi. Les Américains ont-ils vu cela comme un problème ? Non, pas du tout. Ce ne sont que deux exemples particulièrement flagrants, mais il y en a beaucoup d’autres.
Veuillez également noter au passage que le mépris américain pour le droit n’est pas spécifique au droit international. Sur le plan intérieur, si les lois étaient toujours appliquées fidèlement et impartialement, un certain nombre de grands opérateurs de Wall Street et Hillary Clinton (pour n’en nommer que quelques-uns) seraient en prison maintenant…
Mais revenons à Jérusalem : l’irrédentisme sioniste, qui revendique Jérusalem comme capitale israélienne en se basant sur l’idée qu’elle faisait jadis partie de la province romaine de Judée, a à peu près autant de validité en droit international que ma prétention à moi, étant un lointain descendant du Grand Khan Ögedei, de revendiquer le droit d’aller camper devant Vienne et de prendre d’assaut les portes de la ville (un événement qui aurait dû se dérouler vers 1241 de notre ère si la mort prématurée du Grand Khan n’était pas survenue fortuitement). Mais cela n’a aucune importance pour Trump qui, comme le ferait un Américain, ne se soucie nullement du droit international. De quoi se soucie-t-il alors ? Cela nous amène au…
Deuxième trait essentiel : aux États-Unis, toute la politique est basée sur la vente au détail de faveurs personnelles. Le voyage de Trump en Arabie saoudite était essentiellement un grand racket avec des cheikhs pour les forcer à promettre d’acheter des centaines de milliards de systèmes de défense antiaériens américains très inefficaces qui ne peuvent pas abattre les missiles Scud de l’ère soviétique lancés sur l’Arabie saoudite par les Yéménites et d’autres. Son voyage au siège de l’OTAN à Bruxelles a été l’occasion d’un autre racket sur les Européens, les obligeant à… dépenser plus d’argent pour ces mêmes armes. Trump agissait moins comme politicien que comme un représentant de commerce pour les sociétés d’armement américaines. Encore une fois, ce ne sont que deux exemples, mais il y en a beaucoup d’autres.
Avec Jérusalem aussi, tout était une question d’argent. Un magnat sioniste des casinos, milliardaire, a généreusement financé la campagne électorale de Trump en se basant sur sa promesse qu’il reconnaîtra Jérusalem comme étant israélienne, et il l’a fait, en tant que cadeau pour Hanoucca, juste à temps pour les vacances. « Paix sur la Terre aux hommes de bonne volonté » en effet ! [Luc 2:14] Il a pour ainsi dire vendu Jérusalem à ses amis sionistes, et, étant un flagorneur débauché de l’immobilier, il a enrobé le tout dans un argument de vente : il veut négocier une très bonne affaire pour « Israël et les Palestiniens » (un magnifique petit groupe de musique klezmer qui joue dans les bar mitzvahs à travers tout le pays). Et s’ils signent tout de suite, il leur offrira un kit complet de golfeur et un séjour tous frais payés dans son fabuleux Mar-a-Lago Resort en Floride. Est-ce que cela sonne comme complètement délirant ? Oui, et cela nous amène…
Troisième trait essentiel : aux États-Unis, la réalité n’a plus d’importance. Tout n’est plus maintenant qu’un grand reality show. Les faits sont ces choses gênantes qui peuvent contredire l’histoire préférée de quelqu’un et vous forcer à la changer. Il est donc préférable de simplement les ignorer. Au lieu d’énoncer leurs positions ou de faire des propositions, les Américains répètent simplement des mantras. Ainsi, par exemple, le secrétaire d’État américain, Rex Tillerson, fait des démarches et exhorte la Russie à remplir ses obligations en vertu des accords de Minsk sur l’Ukraine. Vous pourriez demander : quelles sont les obligations de la Russie en vertu des accords de Minsk ? Eh bien, il n’y en a pas. Lisez les textes des accords ; vous ne les trouverez pas là.
Autre exemple : à l’heure actuelle, tout le monde sait que les États-Unis n’ont absolument aucune option militaire pour forcer la Corée du Nord à accepter un désarmement nucléaire ; tout a déjà été essayé. Les Nord-Coréens ont été intelligents et pleins de ressources, et voyant ce qui est arrivé à des pays comme l’Irak et la Libye, qui avaient volontairement désarmé, ils ont plutôt choisi de rejoindre les rangs des nations nucléaires et l’ont manifestement démontré. La réalité est qu’il n’y a qu’une voie pour avancer : négocier. Mais les Américains préfèrent vivre dans un monde imaginaire où ils pourraient complètement détruire la Corée du Nord d’un claquement de doigt. Encore une fois, ce ne sont que deux exemples, mais il y en a beaucoup d’autres.
Quelle est la réalité en ce qui concerne les négociations internationales sur le statut des territoires israéliens et palestiniens allègrement proposées par Trump lors de l’événement Hanoucca de la Maison Blanche ? C’est que si et quand ces négociations auront lieu, les États-Unis n’y joueront probablement aucun rôle. Regardez les récentes négociations internationales sur le règlement politique de la situation en Syrie maintenant que le califat a été vaincu. La Russie, la Turquie et l’Iran y ont participé, mais les États-Unis n’étaient même pas présents.
Les raisons de cette absence sont évidentes. Premièrement, pour être valables, les négociations internationales doivent avoir une base en droit international et s’appuyer sur un ensemble de faits convenus. Il est donc inutile de les conduire alors qu’un des acteurs bafoue le droit international et opère dans un espace où les faits sont de facto ignorés, préférant réciter des mantras au lieu de s’engager dans un dialogue constructif. Deuxièmement, le but des négociations de paix internationales est de promouvoir la paix et non de promouvoir la guerre. La déclaration de Trump sur Jérusalem a donné lieu à des manifestations de masse qui comprenaient la destruction des drapeaux américains et des effigies de Trump et l’utilisation de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc, blessant des centaines de personnes. Inutile d’inclure dans les négociations de paix des acteurs qui agissent pour exacerber et promouvoir les conflits. Ce qui nous amène au…
Quatrième et dernier trait essentiel : les États-Unis exacerbent et favorisent les conflits partout, tant sur leur sol qu’à l’étranger. Cette dernière confrontation entre Juifs et Palestiniens n’est qu’un symptôme d’un problème beaucoup plus vaste.
Par exemple : le Comité international olympique a récemment interdit aux athlètes russes de participer aux prochains Jeux olympiques d’hiver sous le drapeau russe. C’est basé sur de fausses preuves achetées par les Américains à un criminel russe en fuite du nom de Rodchenkov. Apparemment, le gouvernement russe était derrière une organisation de dopage à grande échelle ; cette allégation a depuis été réfutée. Les faits sont que les athlètes russes sont certainement les plus fréquemment testés, et sont donc parmi les plus propres. Mais ce ne sont que des faits, ils ont donc été ignorés. Au lieu de cela, les athlètes russes ont été dépouillés des médailles remportées lors des derniers Jeux olympiques, et sous la pression des États-Unis, toute l’équipe russe a été exclue. Cet exemple est particulièrement bon, car il combine tous les traits clés précédemment identifiés : il bafoue le droit international en donnant du poids à de fausses preuves et à des décisions fondées sur des allégations réfutées ; il ignore les faits qui contredisent le récit du « complot autour du dopage de l’État russe » ; il ignore la réalité que ces actions causent de grands dommages au mouvement olympique ; et cela exacerbe le conflit international en forçant une grande partie de la population russe à s’irriter activement de l’influence américaine.
Aux États-Unis, tout est fait pour opposer les hommes aux femmes (en utilisant l’hystérie du harcèlement sexuel), les Blancs contre les Noirs (en utilisant le mouvement des « Black lives matter »), les libéraux contre les conservateurs (en utilisant les Antifa), les « de souche » contre les immigrés… Tous ces conflits sont activement promus, avec un objectif unique et simple, qui est de générer un écran de fumée assez dense pour obscurcir le conflit principal entre l’oligarchie kleptocratique et la population américaine. L’objectif est de conduire la population – dont le travail n’est plus nécessaire et dont l’entretien est simplement un surcoût – à disparaître le plus rapidement possible. À cette fin, toute forme de conflit, national ou international, est très utile, tout comme les opiacés synthétiques, les fusillades de masse, les aliments bourrés de toxines, le système d’extorsion autour des médicaments et la police ultra-violente et militarisée.
Mais tout cela n’est qu’un écran de fumée derrière lequel on peut organiser un vol massif. Une règle fondamentale de la kleptocratie est que moins il reste à voler, plus il faut voler, et cette règle est suivie partout. Un bon exemple concerne la réforme fiscale qui passe actuellement devant le Congrès américain. C’est une manière de pousser le pays à s’endetter davantage tout en enrichissant l’oligarchie déjà bien gavée.
Si vous n’aimez pas cela (et pourquoi serait-ce le cas ?), soyez assuré qu’il n’y a rien que vous puissiez faire à ce sujet. Si vous êtes américain et que vous n’aimez pas Trump, peut-être voterez-vous dans quelques années pour un kleptocrate différent qui, avec tous les autres kleptocrates, continuera à vous voler aussi longtemps que vous aurez des réserves. Et rassurez-vous, ils continueront tous à montrer fidèlement les quatre traits que j’ai décrits ci-dessus : ils ignoreront fermement la loi, locale et internationale ; ils utiliseront la politique du commerce de détail pour vendre le pays par petits bouts ; ils ignoreront la réalité aussi longtemps que possible ; et ils provoqueront et exacerberont tous les conflits imaginables. La fin du règne du Léviathan américain sera assurément « méchante et brutale ». Nous devrions certainement espérer qu’elle sera également « courte ».
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