Trump, comme thuriféraire du “Roi est Nu”

Ouverture libre

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

Trump, comme thuriféraire du “Roi est Nu”

• Qui est réellement Donald Trump, ou plutôt qu’est-ce qu’il a réellement apporté de différent ? • Un an après son élection, le Russe Fiodor Loukianov s’essaie à répondre. • Admettant que Trump n’a pas changé grand’chose à la politique américaniste, il observe qu’il l’a surtout pratiquée d’une façon très différente de ses prédécesseurs, sans rien dissimuler des buts réels de cette politique : sans hypocrise mais avec toute la brutalité qu’elle recèle. •  Trump est l’homme qui a levé le masque de la brutalité de la politique américaniste.

_________________________


Repris dans RT.com, un article intéressant et révélateur d’un “officiel” proche de la direction de la Fédération de Russie, intellectuel et expert russe, Fiodor Loukianov, – éditeur de ‘Russia in Global Affairs’, président du Conseil de la Politique de Sécurité et de Défense, directeur de recherche au Valdaï International Discussion Club. Il nous donne son appréciation d’une première année de Donald Trump 2.0, depuis son élection de novembre 2024. Une phrase reprise en sous-titre suffit à s’en expliquer :

« L’“ordre international fondé sur des règles” est mort et Washington agit désormais sans rien dissimuler. »

Loukianov décrit la façon d’agir de Trump : brutale, – on dirait “brut de fonderie”,  n’est-ce pas, – sans rien dissimuler, sans la moindre forme, la moindre politesse, la moindre mesure dans la présentation de l’acte, le moindre habillage hypocrite. Naturellement, il s’appuie sur la force pour obtenir bruyamment et aux yeux de tous ce qu’il veut, et tout va très bien pour lui parce qu’il est absolument persuadé qu’il est plus fort que tous les autres, que la puissance américaniste est sans limites, que rien jamais n’osera interférer avec la course “droit au but” qu’il poursuit sans souci du reste.

Première conséquence : il est multilatéraliste, ce bonhomme, comme tout le monde dans le camp anti-américaniste affirme que le monde est en train de devenir au grand dam de Washington paraît-il, – et donc nullement “au grand dam” de Trump...

« Paradoxalement, Trump est parfaitement à l'aise dans un monde multipolaire, même s'il ne se décrirait jamais ainsi. Celui qui se croit le plus puissant dans toute relation bilatérale préfère naturellement un paysage mondial composé d'acteurs disparates et inégaux. La multipolarité, certes. Mais seulement si elle est spontanée et non structurée, sans mécanismes pour atténuer les contradictions ou réduire les déséquilibres. »

Deuxième conséquence : puisqu’il n’a rien à battre d’aucune manœuvre de dissimulation, et qu’au contraire il faut montrer ses biceps, la conduite de Trump nous dit parfaitement ce qu’est le comportement américaniste en l’outrant jusqu’à la caricature :

« Mais voici le point essentiel : Trump ne transgresse pas les conventions politiques américaines. Il les exagère. Il les amplifie à un tel point que l'on finit par percevoir clairement la logique sous-jacente. »

Ici, l’on tient une explication : celle qui nous fait à la fois détester Trump, le dénoncer, et d’autre part l’applaudir, le louer. Pour parvenir à ses fins et être bien ce qu’il veut être, au profit de la toute-puissance américaniste, il lui faut cogner et cogner encore sur les globalistes et la globalisation qui n’étaient qu’une tarte à la crème cherchant à dissimuler pour les aveugles consentants cette évidence de l’ignominie insupportable de la politique américaniste-occidentaliste. Avec lui, avec Trump, il n’y a rien à rater et tout est lumineux, fort bien éclairé, évident absolument. Pour lui, les globalistes sont des adversaires à écraser puisque l’Amérique est plus forte que tout le monde et n’a pas besoin de construire des simulacres sur l’“ordre international fondé sur des règles” et toutes ces sortes de complications pour intellectuels de salon.

Évidemment, le simple accroc dans cette situation de surpuissance c’est l’illusion grandissime entretenues par tous les cerveaux américanistes, des plus brillants des intellectuels du Council of Foreign Affairs aux plus simplistes des trumpistes. Trump est le premier à cultiver ce simulacre comme une plante précieuse dans une serre protégée par une rangée de ‘Patriot’. Finalement tout le monde y croit et nous conduit à la catastrophe américaniste, pour le plus grand bien du chaos qui mélange impitoyablement les globalistes et les “règles” que nous étions censés devoir respecter pour respecter l’hypocrisie yankee.

Alors, faut-il donc tant se plaindre d’avoir un Trump à la Maison-Blanche ? Loukianov, qui est pourtant un poutiniste ultra-modéré qui n’aime pas du tout le désordre, finit par avouer qu’après tout, puisque nous y sommes, autant jouer banco et rafler la mise !

« Trump n’a pas tant transformé l’Amérique qu’il n’en a ôté le vernis. La vision d’un ordre libéral universel a disparu. La prétention que les États-Unis respectent les règles qu’ils imposent aux autres a disparu. Il ne reste que la puissance brute, affichée sans retenue, et un pays qui n’a pas peur d’agir sans s’imposer la moindre limite.

» Pour certains, cette honnêteté est rafraîchissante. Pour d’autres, elle est alarmante. Mais elle apporte au moins une chose : la clarté. Nous percevons désormais les conventions du comportement américain avec une acuité inhabituelle. Et cela pourrait s'avérer utile à ceux qui préparent la prochaine phase de la politique mondiale. »

dedefensa.org

________________________

 

 

Il n’a pas changé l’Amérique, il l’a révélée

Un an s'est écoulé depuis novembre 2024, date à laquelle Donald Trump a remporté l'élection présidentielle américaine pour la seconde fois. Il est donc plus pertinent de commencer le décompte à cette date, plutôt qu'au jour de son investiture. Le changement politique et psychologique s'est opéré immédiatement. Dès lors, l'agenda américain a commencé à se transformer, révélant ce qui, dans le comportement des États-Unis, est ancré dans les institutions et ce qui relève simplement de sa personnalité.

La personnalité de Trump est impossible à ignorer. Son sens inné du spectacle imprègne tout ce qu'il touche et peut donner aux événements une apparence plus chaotique qu'ils ne le sont en réalité. Mais voici le point essentiel : Trump ne transgresse pas les conventions politiques américaines. Il les exagère. Il les amplifie à un tel point que l'on finit par percevoir clairement la logique sous-jacente.

Le changement le plus frappant est d'ordre externe. Washington a abandonné le cadre idéologique unifié sur lequel il s'appuyait depuis des décennies. Pendant des années, « l'ordre mondial libéral » – rebaptisé plus tard « ordre fondé sur des règles » – a servi de langage aux États-Unis pour défendre leurs intérêts. Ces règles ont été écrites par l'Occident, pour l'Occident, mais présentées comme universelles. Leur existence même a créé un cadre pour les relations internationales, même si ce cadre était souvent perméable.

En 2025, les États-Unis se comportent comme si de telles frontières n'existaient plus. Si Trump a une approche fondamentale, c'est bien son insistance à traiter avec chaque pays individuellement. Pas de structure, pas d'institutions, pas de larges coalitions. Tout est personnalisé, bilatéral, transactionnel. Washington est convaincu que, dans toute confrontation directe, l'Amérique a l'avantage. Alors pourquoi diluer cet avantage en passant par des organisations où d'autres pourraient collectivement le contrebalancer ?

Les institutions deviennent un fardeau.

Cette logique explique l'irritation croissante envers les institutions que les États-Unis ont jadis bâties et défendues. Elles sont désormais perçues non comme des multiplicateurs de force, mais comme un poids bureaucratique. Les structures où les États non occidentaux jouent un rôle de premier plan – les BRICS en particulier – sont traitées avec une hostilité manifeste, non pas pour ce qu'elles font, mais pour ce qu'elles représentent symboliquement : des pays qui tentent d'unir leurs forces pour limiter la domination américaine. Dans la vision du monde de Trump, c'est intolérable.

Paradoxalement, Trump est parfaitement à l'aise dans un monde multipolaire, même s'il ne se décrirait jamais ainsi. Celui qui se croit le plus puissant dans toute relation bilatérale préfère naturellement un paysage mondial composé d'acteurs disparates et inégaux. La multipolarité, certes. Mais seulement si elle est spontanée et non structurée, sans mécanismes pour atténuer les contradictions ou réduire les déséquilibres.

Avant Trump, l'approche américaine consistait à promouvoir la globalisation économique et politique. Les États-Unis dominaient la hiérarchie et utilisaient cette position pour façonner le monde. Sous Trump, la fragmentation – économique, politique, institutionnelle – devient un outil pour atteindre le même objectif. Un monde d'entités déconnectées est plus facile à dominer pour une puissance dominante.

En ce sens, moins de choses ont changé qu'il n'y paraît. La rhétorique est différente, mais l'hégémonie américaine demeure le postulat. La politique étrangère continue de servir des intérêts étroits, désormais dépourvue des grands récits moraux qui la justifiaient autrefois. Au lieu de « défendre la démocratie », Washington ressuscite des slogans plus anciens et plus simplistes. La récente déclaration de Trump selon laquelle le Nigeria pourrait faire l'objet d'une intervention parce qu'il « maltraite les chrétiens » est une variante conservatrice de la vieille logique de promotion de la démocratie. L'appel à un changement de régime au Venezuela est soudainement lié au trafic de drogue : un problème dans lequel le Venezuela n'a jamais joué un rôle central, mais qui arrange bien Washington maintenant qu'il le souhaite. Le fait que les deux pays possèdent d'importantes réserves de pétrole et que les États-Unis cherchent à évincer la Russie et l'Iran des marchés mondiaux de l'énergie est bien sûr une coïncidence.

La puissance sans patience

Ce qui n'a pas changé, c'est la croyance américaine en la force militaire. Trump invoque fréquemment « la paix par la force », mais son interprétation est très précise. Il ne souhaite pas s'enliser dans de longues guerres. Le modèle privilégié est une frappe rapide et spectaculaire, une visibilité maximale et un engagement minimal. Ensuite, la diplomatie prend le relais, soutenue par des pressions en coulisses et une autosatisfaction ostentatoire.

Cette approche est-elle meilleure ou pire ? Cela dépend à qui vous posez la question. Certains diront qu'une honnêteté brutale, même impulsive, est préférable à une hypocrisie à plusieurs niveaux. D’autres soulignent que le style de Trump – enthousiasmes soudains, sautes d’humeur brutales, éloges hyperboliques – est intrinsèquement instable. Lorsque la première puissance mondiale agit de manière impulsive, tous les autres doivent en subir les conséquences.

Alors, comment devrait-on agir dans ce contexte ? L’hostilité de Trump à l’égard de la coordination internationale apporte un élément de réponse. Si les États-Unis persistent dans le bilatéralisme, la contre-mesure logique est l’inverse : mutualiser les ressources, coopérer lorsque c’est possible, créer des coalitions restreintes mais fonctionnelles, axées sur des objectifs précis. Non pas de grandes institutions nouvelles – impossible aujourd’hui – mais des partenariats concrets qui réduisent la vulnérabilité aux pressions américaines.

Cela est particulièrement vrai pour les États non occidentaux qui évoluent dans un ordre international turbulent. L’approche de Trump encourage la fragmentation. Ceux qui refusent de se plier à ce scénario doivent œuvrer – discrètement, avec prudence – dans l’autre sens.

Un monde de clarté, pour le meilleur ou pour le pire.

Trump n’a pas tant transformé l’Amérique qu’il n’en a ôté le vernis. La vision d’un ordre libéral universel a disparu. La prétention que les États-Unis respectent les règles qu’ils imposent aux autres a disparu. Il ne reste que la puissance brute, affichée sans retenue, et un pays qui n’a pas peur d’agir sans limites.

Pour certains, cette honnêteté est rafraîchissante. Pour d’autres, elle est alarmante. Mais elle apporte au moins une chose : la clarté. Nous percevons désormais les conventions du comportement américain avec une acuité inhabituelle. Et cela pourrait s'avérer utile à ceux qui préparent la prochaine phase de la politique mondiale.

Fiodor Loukianov