Snapback” et le choix de l’Iran

Les Carnets de Peiman Salehi

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Snapback” et le choix de l’Iran

L'Iran restera-t-il neutre si une guerre éclate entre l'OTAN et la Russie dans les pays baltes? Un précédent en formation.

Il est tentant d’analyser la politique étrangère de l’Iran en des termes binaires : résistance ou neutralité, engagement ou prudence. Mais le paysage géopolitique actuel défie de telles simplifications. Alors que la perspective d’une confrontation militaire directe entre la Russie et l’OTAN s’intensifie notamment dans la région baltique, une question centrale se pose : l’Iran prendra-t-il partie dans une guerre mondiale potentielle ou poursuivra-t-il sa stratégie d’ambiguïté calculée ?

Pour y répondre, il faut comprendre que nous vivons une transition chaotique. Le moment unipolaire qui a suivi la guerre froide touche à sa fin. Un monde multipolaire est en train d’émerger, mais son architecture reste instable. Dans ce contexte volatil, les décisions de l’Iran ne seront pas uniquement dictées par des engagements idéologiques ou des alliances traditionnelles, mais par des évolutions structurelles notamment l’effondrement des normes diplomatiques occidentales, incarné par la possible réactivation du mécanisme de snapback prévu par la résolution 2231 du Conseil de sécurité.

Ce mécanisme, intégré à l’accord nucléaire (JCPOA), permet à tout signataire de rétablir unilatéralement les sanctions des Nations Unies d’avant 2015 contre l’Iran. Si ce mécanisme est réactivé, –  ce qui semble de plus en plus probable d’ici octobre 2025, –  cela marquera la fin définitive du consensus diplomatique libéral qui gouvernait jusqu’alors les affaires internationales. Pour l’Iran, ce ne serait pas simplement une nouvelle trahison. Ce serait l’effondrement officiel de toute illusion restante d’une réintégration dans l’ordre mondial dirigé par l’Occident.

Les conséquences seraient majeures. Un tel événement contraindrait l’Iran et sans doute une bonne partie du Sud global à abandonner définitivement l’illusion d’un système international juste et fondé sur des règles. L’attrait des alliances multipolaires comme les BRICS+, l’Organisation de coopération de Shanghai ou les alternatives au système SWIFT ne serait plus théorique, mais vital.

Dans un tel contexte, la posture de l’Iran face à un conflit OTAN-Russie ne peut être évaluée à partir de ses politiques actuelles. Jusqu’à présent, le rôle de l’Iran dans les conflits globaux a été prudent et ambigu. Durant la guerre en Ukraine, le soutien supposé de l’Iran à la Russie par des transferts de drones par exemple, est resté flou et non confirmé. Téhéran a blâmé l’OTAN sur le plan rhétorique, mais sans s’engager militairement de manière décisive. Même lors de la guerre historique de 12 jours entre Israël et l’Iran, la Russie est restée distante, se contentant d’un soutien diplomatique.

Cela illustre un schéma plus large : aucune des puissances opposées à l’Occident, – Iran, Russie, Chine, – ne semble encore prête à transformer leur coordination stratégique en alliance militaire formelle. Malgré des sommets trilatéraux réguliers, des déclarations de soutien mutuel et des objectifs partagés, il existe un écart important entre les mots et les actes. Ce n’est pas une faiblesse, mais un réalisme stratégique : chacun connaît le coût d’une mauvaise estimation dans un monde encore instable.

Ainsi, sauf rupture globale majeure comme l’activation du snapback, l’Iran ne devrait pas participer directement à un conflit européen. Il continuera à exprimer sa solidarité, à renforcer ses liens militaires avec la Russie dans l’ombre, et à intensifier son alignement diplomatique. Mais une présence militaire directe ou des frappes en réponse à un blocus de Kaliningrad par l’OTAN ? Peu probable.

Cependant, si le snapback est déclenché en octobre 2025, les règles du jeu changeront. À ce moment-là, l’Iran n’aura plus aucun intérêt à maintenir ne serait-ce que les apparences de modération diplomatique envers l’Occident. La République islamique a respecté le JCPOA pendant près d’une décennie. Si l’Occident choisit malgré cela de violer l’accord, la confiance de l’Iran dans les mécanismes internationaux sera irrémédiablement brisée.

Cet effondrement forcerait Téhéran à recalibrer sa stratégie. Il accélérerait son pivot vers l’intégration eurasiatique pas seulement sur le plan économique ou diplomatique, mais aussi en matière de sécurité. Ce choix ne concernerait pas seulement l’Iran, mais refléterait la logique émergente des blocs géopolitiques. Si des pays comme la Russie, l’Iran, la Chine, le Venezuela veulent survivre à la prochaine décennie de sanctions et de guerres hybrides, ils devront rendre leurs partenariats opérationnels.

À ce moment-là, la neutralité ne serait plus soutenable. L’Iran pourrait participer à un éventuel conflit OTAN-Russie par exemple en exerçant une pression stratégique dans le détroit d’Ormuz ou en soutenant les Houthis en mer Rouge. Ce ne serait plus impensable, mais cohérent avec son identité post-occidentale.

Cela dit, l’Iran ne cherche pas la guerre. Il privilégie les réponses calibrées, les escalades progressives et la dissuasion multidimensionnelle. Mais l’incapacité croissante de l’Occident à respecter ses propres engagements laisse à Téhéran de moins en moins d’alternatives diplomatiques. Si le Conseil de sécurité devient un outil de coercition américaine comme dans le cas du snapback, le multilatéralisme s’effondre.

Dans un tel scénario, la logique iranienne passerait de réactive à proactive. Au lieu d’attendre les sanctions, Téhéran chercherait à définir le nouvel ordre mondial avec ses alliés du Sud. L’ère de la passivité asymétrique prendrait fin. La question ne serait plus « Faut-il s’aligner ? », mais « Quand, comment, et où ? »

Et dans ce monde-là, si l’Europe devient un champ de bataille, l’Iran pourrait non seulement choisir son camp, mais aussi contribuer à redessiner la carte.