Semaine du 31 décembre 2001 au 6 janvier 2001

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Derrière la question du terrorisme, le vrai débat culturel aux États-Unis

Depuis quelques semaines, le chroniqueur et ancien candidat “dissident” à la présidence Patrick Buchanan est à nouveau dans l'actualité avec son livre The Death of the West — How Dying Populations and Immigration Invasion Imperil Our Country and Civilization. Dans un article qui reprend divers éléments d'une interview de Patrick Buchanan sur les questions culturelles liées à la problématique du multiculturalisme le Washington Times du 10 janvier nous donne une bonne mesure du problème et indique son actualité, c'est-à-dire l'indication précieuse que nombre d'observateurs aux USA estiment que la question du multiculturalisme aux USA est une question qui a sa place dans la crise ouverte par l'attaque du 11 septembre 2001.

Le journal écrit : « The former co-host of CNN's ''Crossfire'' [Buchanan] said he has no TV plans and, prior to September 11, ''I was going to stay with writing books. But Creators [Syndicate] called me, and said the debate is on again about intervention, the Middle East, immigration and about the cultural war and assimilation. They're all issues. I want back into the debate.'' He rejoins the debate at what he describes as a time of crisis. He warns that new immigrants are no longer adopting American values. »

La plaidoirie de Buchanan porte sur les effets pour la cohésion de l'Occident des courants migratoires, selon des arguments extrêmement pessimistes (Buchanan estime notamment que les USA sont sur la voie d'une “tiers-mondisation”, qui serait effective selon lui en 2050). Cette sorte de réflexion trouve un terrain fertile dans l'atmosphère créée par la crise du terrorisme et les problèmes que celle-ci soulève (notamment autour de thèses comme « le choc des civilisation » du professeur Huntington). Les arguments de Buchanan, que certains peuvent sans aucun doute juger excessifs, ont pour effet de troubler les esprits et de porter l'attention vers des problèmes culturels de fond qui avaient semblé écartés ces derniers temps. On trouve un exemple de cette attitude dans l'article de Tony Blankley, dans le Washington Times du 9 janvier. Cette remarque de Blankley est caractéristique pour nous montrer l'effet potentiel des arguments de Buchanan :

« Although the politically correct will be lavish with their condemnation of this book, for traditional conservative and moderate Americans of all ethnic backgrounds, this book makes it considerably harder to resist the logic of the Buchanan thesis. I will continue to resist - but with decreasing expectations of success. »

Ce débat sur “le déclin de l'Occident”, qui semblerait rapprocher les deux principaux piliers de cet Occident, les USA et l'Europe, puisqu'il semble leur désigner un danger commun et, par conséquent, un sort commun, est en réalité profondément ambigu. Américains et Européens s'entendent pour affirmer qu'il s'agit d'un débat culturel mais la réalité montre qu'il a des racines ethniques, voire liées aux races, et que le débat est par conséquent beaucoup moins unitaire qu'il y paraît, et qu'il est même le contraire. Le point principal à cet égard est que Buchanan identifie comme un des premiers dangers pour les USA l'immigration hispanique, notamment et principalement venue du Mexique. Ce thème ne rapproche nullement les USA de l'Europe parce que le Mexique est d'une part lié culturellement et ethniquement à l'Espagne et qu'il est aujourd'hui très proche de l'Espagne, donc de l'Europe ; parce que, d'autre part, le Mexique, pays catholique et d'un catholicisme d'un très grand dynamisme, est très proche du Vatican, qui est évidemment un des centres de la culture européenne. Ainsi, les thèses de Buchanan sur le The Death of the West conduisent à des situations qui mettent en évidence le contraire, c'est-à-dire la division de l'Occident. On n'ignore pas qu'on trouvera de plus en plus d'Européens pour être, dans l'occurrence envisagée ici, plus proche culturellement des Mexicains que des Américains.

« The perfect storm » va-t-il balayer Washington ? Dans tous les cas, le temps béni du scandale est revenu

Dans un article qui nous restitue bien l'atmosphère et l'ambiance washingtoniennes, depuis quelques jours, Rupert Cornwell écrit dansThe Independent, le 12 janvier :

« ''As Washington scandals go, this is the perfect storm,'' enthused a top aide of Henry Waxman, the Democrat congressman from California who leads one of half a dozen committees on Capitol Hill gearing up for hearings on the matter. You could almost sense the glee among the capital's army of scandal trackers, vastly underemployed since the departure of Bill Clinton. Democrats in particular relish the moment. Washington is a city where revenge is an industry. Is Enron going to be payback time for the Republican hounding of the previous Democratic administration? You bet. »

Effectivement, l'effondrement de la société Enron, le 3 décembre 2001, commence à avoir des conséquences politiques significatives. Le président Bush a fait une déclaration publique pour prendre ses distances de son ami, le PDG d'Enron. Des indications précises sont apparues, sur les demandes d'intervention d'Enron au gouvernement fédéral et sur des documents disparus. Des auditions vont être lancées au Congrès. Tout se met en place pour constituer le cadre habituel des scandales politiques à Washington.

En est-on pour autant au stade proprement dit du scandale ? Pas encore, même si on juge la situation prometteuse. Disons simplement que l'explosif est partout en place, qu'il reste àallumer la mèche. Pour l'instant, la situation reste dans la légalité, pour ce qui concerne le président et son personnel le plus proche. Le jeune Bush a réagi avec une certaine habileté en prenant le taureau par les cornes (au contraire de Bill Clinton, qui avait laissé le scandale de Whitewater, pourtant sans commune mesure avec Enron, miner peu à peu sa position sans qu'il prenne une mesure décisive contre lui). Certes, il est acquis qu'Enron a été un formidable bailleur de fond pour l'élite républicaine (et quelques démocrates en passant) du Texas, donc pour la famille Bush. D'ailleurs, sur les cent sénateurs en fonction aujourd'hui, 76 ont reçu des contributions d'Enron. Une âme vertueuse nommerait cela “corruption”, et à une échelle colossale. Mais, aux États-Unis où la loi organise ce qu'ailleurs on nomme corruption, et qui est nommé vertueusement “contribution électorale”, l'essentiel est de pratiquer cette activité (la corruption) en restant dans le cadre des règles du jeu (les lois). Le cas devient scandale lorsqu'on en sort.

Reste donc les cas juridiques en suspens : d'abord, les interventions d'Enron auprès des amis de l'administration, notamment le président et son ministre de la justice ; étaient-elles anodines ou sont-elles condamnables ? Ensuite, il y a les centaines, voire les milliers de documents d'Enron détruits ces derniers mois, qui éclairaient sans doute les conditions de ce qui est probablement une colossale faillite frauduleuse. Enfin, il y a les interférences possibles, et certainement sollicitées si c'est le cas, d'Enron dans l'élaboration de la politique énergétique de l'administration Bush, par une commission spéciale contrôlée par le vice-président Cheney.

D'ores et déjà, il y a scandale pour une brochette de dirigeants d'Enron, qui ont fait des bénéfices illégaux (plus de $1 milliard pour 27 dirigeants) sur le dos de la société en perdition. Ces personnes sont d'ores et déjà inculpées. Les milliers d'employés d'Enron sont sur le carreau, après avoir perdu leurs pensions, leurs participations boursière à leur société et ainsi de suite, ce qui fait de l'affaire Enron (chiffre d'affaire de $101 milliards en 2000) un archétype de la caricature de l'activité capitalistique, le double absolument négatif du modèle capitaliste que prône la globalisation. Il faut avouer que si, là-dessus, Enron devenait un scandale politique à Washington, la boucle serait bouclée.

Le scandale Enron et ses implications possibles à Washington marquent (confirment) une sorte de “retour à la normale” après les mois de tension et d'unanimisme politique obligé qui ont suivi l'attaque du 11 septembre 2001. La politique washingtonienne, où « la vengeance est une industrie », commence à reprendre ses droits. La proximité des élections mid-term, en novembre prochain, renforce la détermination des adversaires de Bush, les démocrates certes, de transformer l'essai et de faire d'Enron une machine politique pour gagner ces élections. D'une certaine façon, cette péripétie washingtonienne pourrait contribuer décisivement à banaliser la Grande Guerre contre la Terreur, d'ores et déjà en voie de s'embourber dans les concurrences bureaucratiques, et cela malgré les prévisions de l'état-major qui, à la demande du gouvernement, a estimé que ce conflit durerait six ans, — jusqu'en 2008, ce qui serait, aimable coïncidence de la planification militaire, le terme d'une administration Bush si elle était réélue en 2004.