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878La réunion des ministres de la défense de l'OTAN du 6 juin est expressément présentée du côté américain comme une occasion décisive pour le ministre américain Rumsfeld de tenter de convaincre les pays alliés de soutenir l'attaque américaine contre l'OTAN, et cela, pourtant, dans des conditions jugées difficiles par ces mêmes Américains. C'est ce qu'exprime de façon extrêmement claire le Washington Times, qui est très proche de l'administration républicaine et sert souvent de relais pour une explication des actes de cette administration. (Le début de l'article est fort net à ce propos : « Defense Secretary Donald H. Rumsfeld faces a tough sell at NATO meetings today and tomorrow, where he will try to convince the European allies of the need for tough action against Iraqi President Saddam Hussein. »)
Cette réunion et l'interprétation qui en est donnée du côté américain illustrent bien l'usage qui est désormais fait de l'OTAN par les Américains : une enceinte de pressions américains (plutôt que de discussions entre alliés) où les Américains entendent convaincre collectivement les alliés de les suivre dans leur politique de guerre générale et à outrance contre le terrorisme. C'est une méthode particulièrement prisée par Rumsfeld et son équipe civile. Lorsqu'elle est détaillée, on découvre qu'elle consiste effectivement à maintenir une pression constante sur les pays alliés, dont les hésitations à l'égard des intentions américaines sont bien connues, sans pour cela offrir un plan et une chronologie de décision, ni quoi que ce soit qui permettraient de conclure. Les exhortations et les pressions américaines n'ont pas grand chose à voir avec une quelconque probabilité d'action (plus ou moins proche) mais représente un exercice de pure rhétorique avec un peu d'hystérie, voire un exercice d'incantation portant sur e devoir moral qui fait nécessité de mener une guerre sans faille ni hésitations contre le terrorisme. Le but est bien d'entretenir une tension et une pression permanente.
« Saddam's weapons of mass destruction will be high on his agenda for the Brussels meetings. "We know that the Saddam Hussein regime in Iraq has had a sizable appetite for weapons of mass destruction," he said after meeting British Defense Minister Geoff Hoon. "Every month that goes by, their programs mature. That is not something that is a happy prospect for that region."
» However, most European leaders — and their publics — remain skeptical about the need for military action to overthrow Saddam. That attitude was not much changed by President Bush's rallying cries during his whirlwind visit to the region late last month. Many object that the United States offers military action but has provided few ideas about what will happen once Saddam's regime is toppled. They are also worried about estimates attributed to Gen. Tommy Franks, head of U.S. Central Command, that the operation would require at least 200,000 U.S. troops and could result in heavy casualties.
»
Cette attitude singulière des Américains est clairement présentée dans le même article, lorsqu'on lit cette conclusion venant après le détail de ce qu'entendent faire les Américains pour convaincre les Européens : « U.S. officials reiterate that they are not at the stage where they are soliciting allies for possible operations against Iraq, nor have they drawn a war plan for a possible invasion. »
Cette remarque est particulièrement significative de la situation où se trouvent aujourd'hui les Américains. Cela fait maintenant six à sept mois qu'ils tentent de convaincre les Européens de soutenir cette attaque, depuis le mois d'octobre 2001. Ce qui est remarquable est que, plus la pression se confirme et s'accentue, moins la perspective de cette attaque apparaît clairement. En octobre-novembre, il était question d'attaquer en janvier-février, et les Américains étaient décidés « à le faire avec ou sans nous, et leurs pressions sont si fortes que nous serons sans doute obligés de donner notre soutien politique » (selon le constat d'un officiel français fait en novembre 2001). Aujourd'hui, nous en sommes en juin, l'attaque n'a pas eu lieu, et il est évident qu'elle n'est pas pour demain. L'attitude américaine est toujours aussi pressante, et même de plus en plus avec un Rumsfeld qui vit dans l'excitation permanente, mais la perspective de l'attaque s'éloigne avec régularité. Rappelons tout de même qu'entre temps est apparue la réalité opérationnelle américaine, c'est-à-dire le quasi-refus des chefs militaires d'envisager une telle opération avant 2003, au mieux, et sans doute même plus tard, et encore si elle se fait un jour. L'on sait que cette attitude renvoie au constat du manque de capacités des forces armées américaines de réaliser cette intervention, c'est-à-dire à l'extrême faiblesse des capacités de ces forces.
La conclusion qu'on tire de tout cela est le constat de l'extraordinaire nervosité de la direction politique US, qui n'est pas l'action, qui est même le contraire de l'action. La mobilisation permanente des alliés renvoie à la mobilisation permanente du peuple américain. Tout le monde est averti par la direction américaine de la gravité, de l'importance et de l'imminence de la crise. L'évidence montre au contraire que c'est cette direction américaine elle-même, avant tout autre chose, qui est le centre même, la cause principale et le moteur vrombissant de cette crise.
Au fond, la menace fasciste intérieure en France (Front National), c'est un peu comme l'attaque américaine en Irak. Les deux événements sont liés par l'intense nervosité du commentaire et l'absence systématique du moindre commencement de réalisation de l'événement, — étant entendu désormais que la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour fut un accident du à l'inconsistance catastrophique de la campagne électorale qui précéda autant que de ceux qui prétendent représenter les courants démocratiques majoritaires en France. Le résultat du second tour a pu faire illusion, le temps d'une ivresse de manifestations massives rassemblées dans la fièvre ; l'on a pu croire que le résultat de l'élection présidentielle consistait effectivement en une victoire de la République sur une menace fasciste soudainement apparue, ce qui aurait confirmé qu'il y a effectivement une guerre, par conséquent un ennemi. Les résultats du 9 juin, du premier tour des législatives avec le recul du Front National (et, d'ailleurs, des extrêmes en général), montrent plus simplement qu'il n'y a pas la moindre menace fasciste, que celle-ci fait partie, comme la guerre américaine en Irak, de l'exercice virtualiste massif auquel est réduite aujourd'hui la vie politique. Dans le cas de cette élection, où la pseudo-fièvre de l'élection présidentielle est retombée, les électeurs préfèrent exprimer leurs divers jugements négatifs par l'abstention qui, comme il se doit, "bat tous les records".
Pendant ce temps et sans doute comme substitut à la disparition de l'ivresse anti-fasciste de l'entre-deux tours, et effectivement comme c'est l'habitude pour chaque consultation électorale désormais, les commentateurs se lamentent à propos de la "crise de la politique". Il le font d'ailleurs avant même que le scrutin ait lieu tant l'évidence est forte de l'indifférence des Français pour ce scrutin, dans les jours qui le précèdent. Les mêmes lamentations produisent donc les mêmes commentaires, — où l'on note tout de même que l'aventure Le Pen entre les deux tours est désormais réduite à une partie d'un ensemble de phénomènes classés dans la rubrique « "accident historique" ». (selon Le Monde, effectivement, dans son édito du 8 juin : « l'accident historique qu'ont constitué, à la fois, la percée du Front national, dont le candidat s'est trouvé, pour la première fois sous la Ve République, en lice au second tour ; l'élimination prématurée du principal porte-parole de la gauche ; et, quinze jours plus tard, l'élection triomphale de Jacques Chirac, reconduit à l'Elysée par les voix mêlées de la droite et de la gauche après avoir obtenu, au premier tour, le plus mauvais score d'un président sortant. ») Les mêmes commentaires conduisent à la même leçon de morale, avec citations en renfort.
« Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on ne voit pas comment la leçon des élections législatives pourrait être différente de celle de l'élection présidentielle : le système politique français est en crise et, si rien n'est fait pour y apporter des remèdes, cette crise ira en s'aggravant. Et elle ne sera pas sans danger. "Nous savons, ou nous devrions savoir, écrivait la philosophe Hannah Arendt, que tout affaiblissement du pouvoir est une invite manifeste à la violence." Or ce qu'a confirmé le scrutin du 21 avril, au-delà de toute attente, c'est bien que le pouvoir en France, c'est-à-dire la représentation politique des citoyens, est affaibli. »
On nous annonce donc que rien n'a changé, que tout va toujours aussi mal, que le citoyen, la politique et la démocratie sont en crise, cela après ce qui avait été présenté comme un sursaut (la mobilisation après le premier tour et le vote du deuxième tour) dont on était en droit d'attendre, à cause de sa puissance, de son ampleur, de la représentation qui en avait été faite, qu'il changeât effectivement les choses. Décidément, oui, confirmons la proposition du début de ce commentaire : la menace fasciste en France, c'est comme la guerre américaine en Irak, et l'on se demande si son but n'est pas d'écarter au gré des poussées de fièvre qu'on lui ménage, la réelle appréciation des réels problèmes qui font la substance de notre crise. GW, quand il sent que le Congrès va l'interroger d'un peu trop près sur son comportement d'avant le 11 septembre, se met à crier qu'une de ses prestigieuses agences, le FBI ou la CIA qui a fait ses preuves comme chacun sait, vient d'annoncer une très prochaine attaque terroriste et qu'il n'est pas temps de céder aux billevesées de l'appréciation de son rôle. Le fascisme en France, c'est tout pareil.