Semaine du 28 mai au 3 juin 2001

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Chevénement, candidat présidentiel de l'antimondialisation?


La France continue à se distinguer et à innover, plus ou moins àson avantage selon le point de vue de celui qui émettra un jugement. Cette fois, il s'agit de la possibilité d'un candidat d'envergure nationale (pour l'élection présidentielle de 2002) qui se déclarerait en s'appuyant sur la thèse de l'opposition à la mondialisation (ou, plutôt, à la globalisation), et il s'agirait de Jean-Pierre Chevénement. Ce qui doit arrêter, au-delà des spéculations et des considérations de politique intérieure, c'est l'événement lui-même, qui doit être mesuré à l'aune de sa résonance internationale à terme. L'acquisition par le mouvement de l'antimondialisation d'un statut de première importance dans l'élection fondamentale de la république française, dans une des grandes démocraties occidentales et une des puissances importantes dans les relations internationales, constituerait sans aucun doute un événement marquant pour ces mêmes relations internationales: le mouvement de l'antimondialisation passerait à une dimension nouvelle de la politique. D'autre part, cette candidature aurait nécessairement, d'une façon complémentaire qui va de soi, une dimension également officielle de défiance, sinon d'hostilité aux États-Unis, encore plus qu'à l'hégémonie exercée par cette ''hyperpuissance''.

L'événement est bien dans la mise en cause officielle de toutes ces “valeurs” auxquelles toutes les directions occidentales sacrifient peu ou prou, même si certaines d'entre elles n'en pensent pas moins et, parfois, laissent passer des considérations critiques à cet égard.(On parle d'une ''mise en cause officielle'' dans la mesure où Chevénement et son parti sont des acteurs complets de la vie démocratique, parfaitement intégrés dans cette vie démocratique, hors de tout extrémisme rejeté par le régime, Chevénement lui-même ayant été ministre à plusieurs reprises ces dernières années, — mais, également, avec autant de démissions [3] que de ministères). Si elle se concrétisait, cette candidature contribuerait, peut-être de façon décisive, à faire sortir le mouvement de l'antimondialisation de sa marginalisation dans le jeu politique institué des directions politiques occidentales.


Pearl Harbor revisité: une tentation révisionniste lourde de sens


Hollywood fait bien les choses: la sortie du médiocre film Pearl Harbor a remis au goût du jour l'évocation historique de l'événement, et, surtout, la polémique qui s'y rattache. Il y a, autour de Pearl Harbor, aux États-Unis, une école révisionniste d'une très grande puissance, qui garde aujourd'hui toute sa vigueur malgré les attaques constantes qui sont lancées contre elles par les tenants de l'idéologie officielle (et de la version officielle). Un événement actuel introduit en plus une dimension politique légale non négligeable: la présence dans les mains du président GW Bush d'une recommandation du Congrès ordonnant la réhabilitation des deux officiers qui commandaient à Pearl Harbor le 7 décembre 1941, l'amiral Kimmel de l'US Navy et le général Short de l'US Army (les deux hommes avaient été sanctionnés par Roosevelt le 16 décembre 1941, pour n'avoir pas pris les mesures nécessaires de préparation à la riposte à une possible attaque japonaise). La dimension politique de cet ensemble de faits épars est résolument actuelle puisqu'une telle révision reviendrait de facto à donner un crédit considérable à cette école révisionniste qui affirme, avec de très nombreux arguments et des faits observés à l'appui, que Roosevelt a favorisé cette attaque, ou/et l'a délibérément permise en cachant (notamment aux deux officiers, Kimmel et Short) les informations qu'il avait à ce sujet. Cette thèse appuie toute une forte critique de la politique de Roosevelt qui est à la fois la justification fondamentale et l'occasion historique du passage d'une politique isolationniste à la politique internationaliste (engagement outremer) actuelle. Ainsi, par analogie évidente, la réhabilitation des deux hommes constituerait un argument important pour ceux qui, aujourd'hui, critiquent la politique d'engagement US à l'extérieur et demandent un désengagement américain contre la politique internationaliste officiellement suivie par Washington.


L'attaque au marteau de Charles Krauthammer le bien-nommé: un avertissement sans frais (pour l'instant)


Il faut lire l'article du columnist Charles Krauthammer, paru dans le Weekly Standard (du 4 juin), organe des républicains idéologues, dits neo-conservatives (ou, en abrégé, neo-con): ''The Bush Doctrine, — ABM, Kyoto and the New American Unilateralism''. Il s'agit d'un article extrêmement argumenté, qui plaide pour un unilatéralisme (néo-unilatéralisme) agressif US, mélange de désengagement de certaines, voire de la plupart des solidarités internationales des États-Unis, et d'autre part d'interventionnisme ponctuel militaire et très violent, apprécié du seul point de vue de l'intérêt des États-Unis. Il ne fait guère de doute que l'article de Krauthammer, qui est présenté avec beaucoup d'insistance par le Weekly Standard (référence centrale et illustrée à la une, article de tête du magazine, etc), représente un argumentaire qui peut servir de référence à l'aile neo-con de l'administration GW Bush, et même, d'une certaine façon, un argumentaire qui pourrait être un canevas plus large pour l'orientation stratégique de toute l'administration, et, aujourd'hui, des États-Unis eux-mêmes. Les propositions sont très brutales, bien dans la manière de Krauthammer, et recommande l'emploi systématique de la puissance militaire américaine là où les conditions sont jugées comme justifiant un intérêt suffisant des États-Unis, et cela selon le seul jugement des États-Unis. Krauthammer justifie absolument le refus américain du Protocole de Kyoto au nom du refus américain de se lier à un engagement international qui risque de mettre en cause la souveraineté des États-Unis. Le texte de Krauthammer représente le texte le plus argumenté et le plus puissant pour tenter de redéfinir la position américaine dans le monde, et la stratégie américaine après l'après-guerre froide.


L'Angleterre à l'heure de la passion idéologique: un climat de feu et de haine


Les électeurs britanniques, même s'ils se disent en majorité contre l'Europe (encore faut-il voir de quelle Europe l'on parle), s'intéressent plutôt aux questions quotidiennes (sécurité, qualité de la vie, bon fonctionnement des chemins de fer privatisés, etc). L'Europe n'a pas été très fortement présente dans la campagne électorale, — sauf dans la classe politique, et la nuance est de taille. Entre conservateurs extrémistes tendance-Thatcher et travaillistes, les échanges ont été stupéfiants par leur force et leur intensité. Il s'agit d'un véritable déchaînement, frisant l'hystérie, essentiellement de la part des conservateurs extrémistes. Thatcher a repris fermement du service, pour mener cette campagne très extrême sur un ton qui la connaît, mais qui n'avait jamais atteint auparavant cette intensité. Diverses publications “de campagne” de Thatcher en témoignent. Il est incontestable que le phénomène dépasse le simple climat de campagne ou la question du caractère acariâtre d'une ancienne Premier Ministre. Il y a, en Angleterre, du côté de la frange extrémiste des tories un climat extraordinaire par son outrance, qui fait craindre à certains analystes des débordements illégaux éventuels. Lorsque la baronne Thatcher écrit que ''Tony Blair is committed to the extinction of Britain'' et que son élection prochaine (probable) s'apparente àun ''elective dictatorship'', nous ne sommes plus dans un débat électoral. Il s'agit d'un appel aux armes, d'un appel à la désobéissance civique, à l'insurrection politique.

C'est aujourd'hui le climat en Angleterre, bien plus tendu, bien plus explosif que dans aucun autre pays européen. Politiquement et pour notre compte, on doit conclure deux choses: l'engagement européen de Tony Blair et des travaillistes (et, sans doute, d'une partie des conservateurs) est une chose sérieuse, et ce constat vaut pour la défense; la résistance des anti-européens et des atlantistes, avec le soutien officieux et irresponsable des Américains, ne relève plus du débat politique mais de la passion idéologique aux abois, et il risque de mettre en danger, au moins, l'unité du parti conservateur; certains observateurs craignent même que les dégâts aillent au-delà d'une éventuelle rupture du parti conservateur et menacent l'équilibre et la stabilité de la démocratie britannique.