Semaine du 27 mai au 2 juin 2002

Journal

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 891

le dollar va mal, donc l'euro va bien, — ou vice-versa

Le 30 mai, l'euro atteint son plus haut niveau face au dollar depuis 15 mois, soit $0,94. Les prévisions sont plutôt roses pour la monnaie européenne, note Le Monde du 31 mai. L'article cité rapporte les prévisions dans ce domaine, avec la perspective ''magique'' de la parité et au-delà.

«  Alors que, en début d'année, les économistes, échaudés par le comportement de la monnaie unique qui leur avait souvent donné tort, avaient avancé des pronostics très prudents du cours de l'euro pour la fin de l'année (qu'ils annonçaient à moins de 0,90 dollar), ils ont ressorti des tiroirs leur scénario optimiste. Les experts d'UBS Warburg s'attendent à ce que l'euro touche la barre de 1 dollar avant la fin de l'année, pour se diriger avant la fin de 2003 vers 1,05 dollar avec un dollar à 115 yens. Ceux d'HSBC CCF affichent pour leur part un objectif de 0,93 dollar pour la fin juin et à 0,95 à fin septembre. »

On peut détailler techniquement cette situation et cette perspective optimiste pour l'euro. Cela fait partie du jeu habituel des économistes et des financiers, qui voient l'histoire du monde un peu à la façon d'un graphique, — dans ce cas, le graphique de l'évolution des rapports euro-dollar depuis l'arrivée de la monnaie européenne. On n'y trouvera pas de surprise considérable. Ces explications techniques font partie du train classiques des commentaires économiques et financiers, qui est en général une duplication du même commentaire accepta l'hypothèse de l'uniformité du monde, comme s'il existait un commentaire ''globalisé'' à l'instar d'une économie gratifié du même qualificatif. Cette approche tient pour acquise ou tend à tenir pour acquise la globalisation du monde par l'économie. Exemplaire de cette démarche intellectuelle, ce passage de l'article commentant effectivement la situation :

« Victime d'un climat de pessimisme, le billet vert accuse le coup des incertitudes concernant l'amélioration de la conjoncture américaine. Même si les Etats-Unis ont affiché au premier trimestre des chiffres exceptionnellement vigoureux de reprise (5,6 % de croissance en rythme annuel du produit national brut, 8,6 % de hausse de la productivité), l'économie s'appuie encore sur le restockage et le dynamisme de la consommation des ménages sans redémarrage de l'investissement des entreprises, une composante essentielle. Cette situation déséquilibrée laisse planer des doutes dans l'esprit des investisseurs sur la pérennité et la durabilité de la croissance américaine. »

Par ailleurs, l'intérêt de ce même commentaire est de nous montrer que l'essentiel est moins le triomphe de l'euro que le déclin de la puissance du dollar. C'est ce que nous dit l'article en question, in fine, lorsqu'il y est indiqué, en guise d'explication pour le renforcement de la position de la monnaie européenne : « ''Vive l'euro'', entend-on depuis quelques jours dans les salles de marché. ''Merci le dollar'', devrait-on plutôt proclamer. »

Derrière tout cela, il y a évidemment un ''climat'' qui intègre d'autres données que les données économiques. Il s'agit du climat aux États-Unis puisque la nouvelle est plus le déclin du dollar que l'affirmation de l'euro. Considéré d'un point de vue différent du point de vue économique, ce constat est aussi bien logique tant il est vrai qu'à cet égard les États-Unis mènent l'évolution des grandes situations internationales. Le constat éminemment politique qu'on peut faire à propos du climat américain qui explique l'évolution économique avec la chute du dollar, est résumé par le constat de la plus grande incertitude, et d'une incertitude inquiète. Nous nous en laissons facilement conter par les 70%-75% de soutien de la population à GW, qui représentent une attitude obligée, le conformisme patriotique que les événements imposent à une population réputée pour son comportement extrêmement moutonnier dans les matières politiques. Cela n'empêche aucunement cette incertitude du climat américain, essentiellement en raison de circonstances préoccupantes depuis l'attaque du 11 septembre : la mise en évidence des extraordinaires faiblesses du système de sécurité nationale, la poursuite d'une guerre qui s'avère de plus en plus fantomatique, l'absence de résultats dans la lutte contre le terrorisme, les limites surprenantes des capacités militaires américaines (incapacité d'enchaîner d'une campagne en Afghanistan dans une opération offensive contre l'Irak), l'expansion du gouvernement et ses interventions plus que suspectes dans le domaine des droits civiques. Une autre raison majeure de cette incertitude, en-dehors des événements liés à 9/11, c'est l'effondrement de la confiance dans l'état et l'activité du business américain, désormais perçu comme soumis à une corruption structurelle sans précédent (affaire Enron et la suite).

Dans ce contexte, le fait de cette économie qui redémarre mal ou moins bien que prévu à cause du climat incertain constitue, un peu à la manière d'un cercle vicieux, un argument supplémentaire pour alourdir encore ce climat. L'évolution économique existe également comme un indicateur plus précis que le reste pour permettre aux Américains d'exprimer leur humeur dans ce champ sans qu'ils puissent être soupçonnés de manquer de patriotisme, sans qu'eux-mêmes se considèrent comme manquant de patriotisme. L'activité boursière américaine est un indice de cette expression de l'inquiétude américaine. Elle est extrêmement médiocre et sans aucune perspective. Les activités qui en dépendent, les investissements et cette sorte d'activité sur l'argent en circulation qui a entretenu jusqu'ici l'essentiel de la puissance économique américaine, sont elles aussi touchées. La conséquence comptable est la baisse du dollar. Il faut donc voir dans cette baisse autre chose qu'un événement économique. De même, la montée parallèle de l'euro sera perçu, par Washington, comme un événement politique bien plus qu'économique, qui pèsera sur les relations politiques avec l'Europe

Portrait de GW durant son périple en Europe

Le voyage de GW en Europe se termine par le sommet de l'OTAN à Rome. L'un des résultats de ce voyage aura été de mettre en évidence, pour les divers dirigeants européens et leurs entourages qui l'ont rencontré, certains aspects de la personnalité de GW Bush, notamment à l'occasion de détails anodins plus encore que grâce aux conversations politiques qui n'ont eu guère de substance. En effet, l'une des caractéristiques de GW est d'éviter des entretiens trop substantiels, trop précis, où il devrait éventuellement montrer certaines opinions et appréciations personnelles. L'un des traits caractéristiques de GW dans certaines de ces conversations, lorsqu'il est tout de même question du fond des choses, est l'intense religiosité du personnage, qui rappelle à cet égard Ronald Reagan. (Jacques Delors, qui avait rencontré Reagan à plusieurs reprises, disait que l'un des aspects les plus déroutants, voire les plus agaçants du personnage, était sa propension à « citer systématiquement la Bible dans le courant d'une conversation politique » ; malgré ses convictions religieuse connues, Delors trouvait ce trait assez peu constructif pour la discussion politique. Mais, semble-t-il, à la différence de Reagan, GW n'a pas systématiquement cette attitude et sa religiosité peut ne pas apparaître du tout si la conversation ne l'y invite pas alors que Reagan avait ce comportement de façon systématique.)

GW est apparu très isolé durant le voyage, et isolé par un entourage très attentif à lui éviter tout contact extérieur. A une question d'un journaliste sur ce qu'il pensait de la ville de Berlin, il a répondu qu'il n'en avait rien vu parce qu'il est maintenu « dans une bulle » par les mesures de sécurité et le reste. GW a montré qu'il était resté très “provincial”, très fermé sur les contacts avec l'extérieur, ce qui se retrouve également dans sa propension à séjourner dans son ranch du Texas et, surtout, à recevoir des visiteurs étrangers dans ce ranch. Il a fait diverse ''gaffes'' de provincial (son attitude vis-à-vis des vins français et du caviar russe), sans grande conséquence mais qui servent à mieux cerner le personnage.

Un autre aspect du personnage qui est apparu est sa mauvaise humeur dans les conditions de fatigues et ses relations mauvaises avec la presse. GW est prompt à perdre son sang-froid devant les questions des journalistes dans certaines conditions. C'est un autre aspect de son comportement public qui s'affirme de la sorte, qui n'est pas sans rapport avec la solitude personnelle où il se trouve. Cet aspect, cette mauvaise humeur qu'il laisse percer à cause de la fatigue qui lui est imposée par sa fonction présidentielle donnent à certains l'impression étrange que GW n'est pas encore vraiment ''entré'' dans sa fonction présidentielle, qu'il la considère encore et toujours comme une fonction usurpatrice de sa vie normale ; cela conduit évidemment à se demander s'il entrera jamais dans cette fonction.

Une source, qui a suivi le sommet de l'OTAN et a pu observer le président américain, et également échanger des impressions avec d'autres personnes qui l'avaient approché durant son voyage, note que GW Bush apparaît comme « un homme qui est finalement assez déroutant, qu'il est vraiment très difficile d'apprécier, de mesurer, qui reste assez mystérieux. Il apparaît comme un homme sans rien d'original dans le sens de quelque chose d'originel, quelque chose qui lui soit propre, qui soit de sa nature même. On dirait qu'il est tout entier dans un rôle, une fonction qui lui est totalement étrangère et, qu'en un sens, il a complètement abdiqué l'idée de penser par lui-même, ou plutôt qu'il a abdiqué l'idée d'exprimer une pensée qui soit de lui-même, — sans qu'on sache s'il a ou non de ces pensées personnelles. » La source parlait, éclairée par le comportement de GW une semaine plus tard, lorsque, rentré aux USA, il annonçait que la dégradation de l'environnement accéléré était désormais un fait reconnu par son administration et qu'il convenait tout de même de n'entreprendre aucune action contre cette dégradation. La source estimait qu'une telle attitude dénote effectivement un refus de prendre la moindre responsabilité personnelle car, selon cette source, un homme responsable n'enchaînerait pas deux attitudes aussi contradictoires, aussi évidemment dénuées du sens de la responsabilité dans une situation qui décrit la possibilité rapprochée de catastrophes majeures.