Semaine du 24 septembre au 30 septembre 2001

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Un changement de stratégie ou une évolution vers une appréciation plus réaliste des conditions de la “guerre contre le terrorisme” ?

A partir du 24-25 septembre, la tonalité des déclarations concernant les interventions américaines pour ce qui regarde les opérations envisagées contre l'Afghanistan a changé. La rhétorique dramatique du début de la crise est abandonnée. Il n'est plus question de guerre totale, au plus haut niveau, et il est moins question de la possibilité d'opérations ailleurs qu'en Afghanistan. Sur le terrain, le déploiement des forces américaines continue, mais il apparaît qu'il s'agit plutôt de logistique, d'unités spéciales, d'unités d'appui, etc. En Afghanistan même, on signale des incursions allies (américaines et britanniques), et il s'agit d'unités spéciales, dont la mission est de collecter du renseignement, d'identifier des cibles et des points stratégiques, d'établir le contact avec des groupes anti-Talibans qui prendraient en charge une part importante des opérations terrestres.

Le contenu des déclarations officielles a également notablement changé par rapport aux premiers jours qui ont suivi l'attaque. Désormais, l'insistance est mis sur le fait que la “guerre contre le terrorisme” sera une guerre contrastée, avec certes des actions spectaculaires, mais aussi (surtout, serions-nous tentés de dire) des actions discrètes, cachées, etc. Il s'agit encore plus d'une “guerre de l'ombre” que d'une guerre comme certains conflits des années 1990 nous ont habitués, avec des actions très médiatisées, réalisées à l'aide de matériels de haute technologie. Il n'y a rien d'étonnant à cela. Le terrorisme est une activité clandestine, “à basse intensité” selon la classification des militaires, et elle concerne le domaine civil (justice, fiance, etc) encore plus que le pur domaine militaire. (La première mesure effective contre le terrorisme dans la crise actuelle a été le gel de certains avoirs financiers qui sont considérés comme aidant les réseaux terroristes.) La guerre contre le terrorisme embrasse nécessairement ces aspects contradictoires, ambigus, qui en font un conflit dont la définition ne peut en aucun cas être réduite au champ militaire pour son déroulement, ni même au seul champ idéologique pour sa compréhension.

On pourrait dire qu'il s'agit d'une “banalisation” de la crise, après la phase intense de l'émotion qui a suivi immédiatement l'attaque du 11 septembre. Dans tous les cas, ce l'est au niveau de l'appréciation prospective de son aspect opérationnel. Ben Laden a existé avant l'attaque du 11 septembre, et il était déjà un terroriste actif et recherché ; et il avait été, auparavant, un allié de la CIA, et même une “créature de la CIA”, lors de la lutte des islamistes afghans contre les Soviétiques dans les années 1980. Ces précisions que tout le monde connaît montrent que la banalisation et la relativisation de la crise, dans ses aspects opérationnels dans tous les cas, sont une fatalité. Le terrorisme et la guerre contre le terrorisme existaient avant l'attaque du 11 septembre.

Par contre, là où le choc continue à produire des effets considérables, c'est au niveau des directions de sécurité nationale occidentales, américaine surtout, et de leurs conceptions. Ces deux premières semaines de crise ont montré une division considérable au sein du cabinet américain, entre les extrémistes (faucons) et les réalistes (colombes, si l'on veut). Avec l'évolution signalée ci-dessus, ce sont les seconds qui ont pris le dessus, principalement regroupés autour du secrétaire d'État Powell. Cet affrontement continue, il est significatif du point de vue de l'équilibre des forces au sein du pouvoir américain mais il est assez artificiel par rapport à la crise elle-même. Powell, en effet, représente moins une option idéologique qu'une simple position réaliste. Ce qu'il propose, qui est un mélange d'actions diplomatiques, de pressions dans divers domaines, d'actions militaires contrôlées, correspond finalement à la diversité et à la complexité de la menace. Powell a mis en évidence le danger qu'une trop grande agitation militaire américaine faisait courir à la stabilité du Pakistan, menacé par ses intégristes islamistes, et il est vrai que ce problème de l'agitation anti-américaine est pour les Américains très fondamental. Le problème du Pakistan est certainement une des causes conjoncturelles du changement de ton et de stratégie, vers une approche plus modérée. En un sens, la guerre contre le terrorisme déclenchée le 11 septembre est entrée dans sa phase active, la confrontation avec la réalité, qui est dans ce cas d'une extrême complexité.

Il y a un front intérieur, de plus en plus clairement : la question du moral des Américains dans la crise

Les préoccupations concernant l'évolution de la situation économique sont très grandes, on s'en aperçoit chaque jour. De ce point de vue, la crise du 11 septembre a frappé l'Amérique de plein fouet, d'une façon qui pourrait apparaître comme assez surprenante par l'ampleur de l'effet, par rapport à des exemples d'autres nations frappées par des cataclysmes, des défaites ou des crises profondes, et qui n'en sont pas pour autant atteint au niveau de la psychologie, comme sont les Américains. Sans aucun doute, la dimension psychologique joue un rôle prépondérant dans l'évolution qu'on constate aujourd'hui en Amérique, et cela constituera un élément fondamental dans l'évolution économique de ces prochaines semaines et de ces prochains mois. Les Américains ont été touchés de plein fouet, secoués jusque dans leurs tréfonds par l'attaque du 11 septembre.

Le cas de Hollywood est particulièrement intéressant àcet égard. L'“industrie du cinéma”, comme on appelle cette activité aux États-Unis, est aujourd'hui dans un profond désarroi. Elle n'est pas touchée directement par la crise (quoiqu'il y ait des bruits selon lesquels des attentats « contre Hollywood » pouvaient être envisagés) mais elle cherche à comprendre ce que va devenir la psychologie américaine, comment elle-même va pouvoir s'adapter à cette évolution, dans quel sens elle va pouvoir/devoir la faire évoluer par sa production. Par exemple, se pose la question des films de violence. Le réalisateur (très anti-Hollywood) Woody Allen, dans un commentaire sur l'attaque, a dit que celle-ci aurait « au moins une bonne conséquence », qui serait de réduire le nombre de films-catastrophe et de films de violence à Hollywood. L'industrie du cinéma montre bien, àcette occasion, combien elle se considère d'abord comme partie prenante dans une vaste entreprise de conditionnement de la psychologie et du caractère américains (ce pourquoi il faut considérer le cinéma américain, d'abord, et peut-être presque exclusivement par certains points de vue, comme un phénomène essentiellement américain et substantiellement politique). L'industrie du cinéma veut savoir l'orientation qu'elle doit prendre dans la bataille engagée pour faire surmonter sa dépression actuelle au caractère américain. Ces considérations générales n'empêchent pas que la dépression psychologique américaine touche également Hollywood : projets annulés, films retirés de la distribution, mouvement général de repli avec une tendance très nette à ramener la réalisation des films (souvent décentralisés vers le Canada et l'Australie à cause de la modicité des coûts) vers Los Angeles, dans un mouvement de facto d'isolationnisme.

Cette incertitude générale du climat américain, qui apparaît comme déterminante pour l'évolution de la situation américaine, pèse d'un poids considérable sur l'évolution et la forme de la crise. Elle tend à devenir un facteur de plus en plus indépendant du reste (de la guerre contre le terrorisme) et se confirme comme étant une crise dans la crise, puis comme une autre crise en plus de la crise du terrorisme. Dans ce cas, effectivement, on comprend de façon encore plus précise pourquoi l'attaque du 11 septembre est certainement un événement historique