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En trois mois, les USA viennent d'opposer trois refus pour des transferts de technologie majeurs dans des programmes militaires àla Turquie. Le dernier en date, annoncé le 5 juillet, portant sur le transfert de technologies Boeing pour la réalisation d'un programme AEW. Cette décision (après les deux autres) est un signe convainquant de l'attitude de l'administration GW Bush pour ce qui concerne le transfert de technologie. Un tel refus, une telle succession de refus, pour un allié aussi proche que la Turquie, stratégiquement aussi important pour les USA, constituent vraiment des indications d'une réelle signification quant à l'extrême dureté de la nouvelle administration sur ces questions, et l'intention des Américains de ne tenir compte que de préoccupations intérieures. L'administration GW Bush n'a pas encore formulé de politique coordonnée sur la question, et il n'est pas impossible qu'elle ne le fasse pas, sinon, dans certains cas, d'une façon partielle et pour des raisons de relations publiques, c'est-à-dire sans conséquences. Une indication concrète, qui vaut plus que l'énoncé d'une stratégie politique, c'est la nomination de Edward C. Aldridge comme n<198>3 du Pentagone, chargé des questions d'acquisition et de coopération. Aldridge est connu comme s'intéressant beaucoup plus aux questions de gestion des processus d'acquisition qu'aux questions de coopération, et il aura énormément de travail dans la mesure où la grande réforme de Rumsfeld porte notamment sur ces questions d'acquisition. D'une façon générale, le Pentagone va effectivement être complètement accaparé par cette réforme intérieure. La question de la coopération devient largement secondaire. Dans une telle conjoncture, la bureaucratie resserre les rangs, applique d'une main de fer ses règlements dans le sens le plus restrictif, écarte toute initiative. Les Turcs viennent de s'en apercevoir. Les Européens ne tarderont pas à s'en apercevoir, à leur tour.
[Voyez aussi, pour plus de précisions sur cette question, la rubrique de defensa, dans notre publication dd&e, Volume 16, n<198>20, du 10 juillet 2001.]
Après l'extradition de Milosevic de son propre pays, c'est la Croatie qui a réagi à la sollicitation du TPI en extradant deux de ses nationaux, officiers généraux accusés de crimes de guerre durant l'exode des Serbes de Croatie provoqué en 1995 par les forces croates. La décision du gouvernement croate a aussitôt été suivie d'une crise au sein du cabinet, avec la démission de quatre ministres. Cette évolution du TPI était inévitable, dans la mesure où le sentiment général dispensé par l'appareil médiatique, est qu'il y avait une tendance anti-serbe très nette dans ce qui avait été fait jusqu'ici. Bien entendu, il s'agit ici d'une analyse qui tient compte essentiellement de la perception d'un courant difficilement mesurable, difficilement quantifiable ; simplement, on notera que les magistrats sont également des personnages publics, qu'ils sont, comme les hommes politiques, très attentifs à leur image, et que cette image après l'extradition de Milosevic risquait d'apparaître de plus en plus partiale.
Le dilemme a été bien compris dans ce sens par la ''communauté internationale'', et des pressions se sont exercées sur le gouvernement croate ; celui-ci, nouvellement investi après l'ère Tudjman et en réaction contre celle-ci, avec la bénédiction démocratique de la ''communauté internationale'', ne pouvait résister longtemps : ces équipes, constituées pour répondre aux critères extérieurs (OTAN, UE, etc), n'ont pas la légitimité pour résister aux pressions et dépendent effectivement de leurs mentors extérieurs, auxquels ils peuvent refuser une demande si pressante. Les inculpés croates ont donc été extradés, mesure qui a immédiatement entraîné une crise au sein du cabinet, de la part des ministres les plus nationalistes (les accusés sont des ''héros'' des nationalistes croates). Les perspectives deviennent plus délicates en Croatie, avec un gouvernement rendu ainsi plus fragile, et des lendemains difficiles (l'actuel gouvernement pourra-t-il rester en place?). Après la Serbie, c'est le second pays de l'ex-Yougoslavie touché par cette nouvelle sorte de déstabilisation. En effet, la justice internationale, instituée dans le cas de l'ex-Yougoslavie en 1993 sous des pressions médiatiques exercées sur les dirigeants occidentaux extraordinairement sensibles à cet environnement, acquiert aujourd'hui de plus en plus d'autonomie d'action. Elle se sent soutenue par l'essentiel de l'appareil médiatico-virtualiste contre lequel les dirigeants occidentaux sont totalement désarmés. Le résultat se marque en situations politiques locales de plus en plus fragiles, de plus en plus précaires, c'est-à-dire une pression déstabilisatrice constante que personne n'arrive plus àfreiner efficacement, et qui devrait apparaître de plus en plus irrésistible. Il s'agit d'une évolution pour le moins étrange, par rapport à ce que prévoyaient les experts en stratégie au début du conflit. Ce ne sont ni les forces armées, ni les batailles, ni les massacres, qui conduisent à la déstabilisation, mais toutes les mesures, par ailleurs appréciées comme logiques et raisonnables, sinon justes en théorie, qui sont prises pour tenter d'aménager la paix et la stabilité en ex-Yougoslavie. Il s'agit d'une morale quasiment orwélienne, mais dans le sens ubuesque : les instruments de stabilisation générateurs systématiques de déstabilisation.
Le sentiment du journaliste de Sarajevo, Zltko Dizdarevic, observant le 3 juillet Milosevic devant ses juges, au Tribunal de La Haye, était bien celui-ci : « On peut se demander qui est le vainqueur ici. » On commence aujourd'hui à mesurer toute la complexité, la confusion, les contradictions du procès Milosevic. Et tout cela aura le temps de se développer, si l'on se réfère aux perspectives de durée du procès : de 2 à 10 ans selon l'optimisme ou le pessimisme de la source citée. La Haye va devenir un centre international d'étude, de planification et de spéculation juridiques, avec des armées d'avocats bataillant pour tenter d'imposer des arguments, voire même tenter d'obtenir des révisions ou d'autres implications (beaucoup de rumeurs du côté de Milosevic sur l'hypothèse de possibles inculpations de dirigeants occidentaux). N'essayons pas de tracer ici une prospective nette, mais bien de mesurer l'importance du climat et l'effet aussi bien sur les psychologies, voire, dans certains cas, sur les politiques elles-mêmes. Comme on a vu une déstabilisation s'installer dans les pays qui extradent leurs nationaux accusés par le TPI, on voit à La Haye s'installer une autre sorte de déstabilisation, juridique, avec des affrontements transnationaux qui impliquent aussi bien les gouvernements, des organisations non gouvernementales, des groupes de pression et les magistrats eux-mêmes. Là encore, comme dans l'interprétation précédente, il s'agit d'une sorte de déstabilisation qui était totalement imprévisible lorsque le drame yougoslave a éclaté, une déstabilisation soft, par le haut. Elle n'en est pas moins ''efficace''.