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860Intéressant article et article significatif paru dans Le Monde du 19 juin 2001, «Europe: pour aller plus loin». Parmi les signataires, le Commissaire européen Pascal Lamy, déjà mis en évidence quelques jours plus tôt par des déclarations extrêmement fortes dans Le Monde, àpropos de l'affaire de la fusion GE-Honeywell. Ce qui importe ici est moins le contenu de l'article que cette présence d'un Commissaire européen, ajoutée à son intervention à propos de GE-Honeywell. Cet ensemble indique, d'une part, le sens de l'urgence de la situation, et, d'autre part, la condition actuelle à la Commission européenne, où les personnalités sont plutôt conduites àagir de façon individuelle, et hors du cadre d'un Collège où la présidence n'a jamais su insuffler une vision et une action collectives. D'une façon plus générale, il faut parler de ce que nous nommons «l'urgence de la situation», particulièrement ressentie aujourd'hui dans les organes européens, et particulièrement à la Commission, secouée par les événements du sommet de Göteborg (la contestation dans les rues, marquant un peu plus le décalage entre le public et les dirigeants européens) et de plus en plus inquiète d'un élargissement qui se rapproche et pour lequel l'Europe n'est certainement pas préparée. En agissant comme il le fait, et même s'il est d'abord perçu d'un point de vue français, Lamy exprime aussi, et peut-être d'abord, une urgence et une inquiétude au niveau européen.
A quelques heures d'intervalle, deux circonstances, illustrées ici par deux articles, mettent en évidence l'extraordinaire extension du domaine de la justice globalisée: d'une part, il y a la simple occasion d'une présentation de son dernier livre par Henry Kissinger au National Press Club de Washington; d'autre part, il y a cette affaire des avions de combat russes Su-30MK et MiG-AT, obligés de quitter le Salon du Bourget en quelques heures, le 22 juin. Dans ces deux cas, on assiste à des interventions judiciaires ou à des conséquences d'interventions judiciaires possibles qui ne sont plus contrecarrées par les frontières et qui mélangent des domaines en général perçus comme totalement étrangers, et où les impératifs habituels des États, notamment le domaine de la sécurité nationale, n'ont strictement plus aucune force de freinage. Ne parlons pas, là non plus, du contenu et des causes et motifs de ces deux affaires, qui mériteraient évidemment autant de longs développements. Constatons simplement l'extraordinaire et paradoxal désordre qui s'installe de cette façon; désordre paradoxal parce qu'il est fait de l'imbrication de facteurs qui sont habituellement des facteurs d'ordre, que ce soit les lois, les coutumes, des attitudes politiques et bureaucratiques, des principes fondamentaux plus ou moins remis en question, et ainsi de suite. A côté du désordre du tiers-monde qu'on connaît bien, «the coming anarchy» comme l'appelait en 1994 le journaliste Robert Kaplan, il existe désormais, très précisément identifiée, une anarchie d'un autre type, très sophistiquée, abondamment nourrie de principes, ponctuée de déclarations et de plaidoiries innombrables où l'on ne manque pas de mettre en évidence les nécessités à la fois de l'ordre et de la justice, et dont le résultat est l'accumulation extraordinaire d'imbroglios sans fin, juridiques, politiques, médiatiques, etc.
Le JSF (Joint Strike Fighter) a été l'anti-star du Salon du Bourget. En un sens, il était partout présent: comment le plus grand Salon aérospatial du monde pourrait-il être privé d'un programme de cette importance (3.000 exemplaires annoncés aux USA, 3.000 promis àl'export, en service jusqu'en 2050-2075, tout cela en théorie)? Le JSF était donc présent dans les esprits, dans quelques déclarations, dans les supputations; d'autre part, le JSF était complètement absent, en ce sens qu'on ne sait rien de précis et de fixé sur son destin futur, à part les habituelles affirmations pompeuses et autres des spécialistes des relations publiques. Le JSF était absent, comme s'il n'existait pas, parce que nul ne sait rien de son avenir, même si chacun affirme détenir la vérité à cet égard.
Cette formidable incertitude a encore été mise en évidence par deux déclarations à trois jours d'intervalle. Le 19 juin, le Major Général Hough, du Corps des Marines, faisait au Salon une déclaration où il garantissait que l'avenir du JSF est assuré. La cause aurait pu sembler entendue: Hough est le chef du programme JSF au Pentagone. Trois jours plus tard, Robert Martinage, du Center for Strategic and Budgetary Assessments (CSBA), présentait un rapport réalisé pour le département de la défense, où il recommande la liquidation du programme. Comme on peut le lire dans le texte en référence, le CSBA n'est pas rien puisque l'actuel secrétaire àl'Air Force James Roche et le n°2 du Pentagone Paul Wolfowitz étaient à son conseil d'administration jusqu'à leur entrée dans l'administration GW Bush, que son président Andrew Krepinevich est un protégé d'Andrew Marshall, chargé de la réforme en cours au Pentagone; cela donne une indication de l'influence que peut avoir une recommandation de Martinage et du SCBA, et même on pourrait voir dans ce dernier développement une manoeuvre de l'équipe Marshall-Rumsfeld (et Wolfowitz), par SCBA interposé, pour continuer à faire savoir que le sort du JSF n'est pas réglé, et toujours en balance, malgré les déclarations du Général Hough. Il est probable qu'on n'aura aucune indication acceptable du sort du JSF avant la QDR-II (Quadriennal Defense Review) de septembre-octobre prochain; encore, à notre sens, rien ne sera vraiment réglé, tant l'enjeu est considérable et les oppositions marquées entre des partis (pro et anti-JSF) à la puissance et l'influence également considérables. Il y a bien une “bataille du JSF”, et ses enjeux sont considérables, qui dépassent largement le seul monde de l'aviation militaire; et cette bataille pourrait bien se poursuivre après l'automne 2001, et largement au-delà. (